Le 27 mai se tient à Bruxelles devant le Palais de la Justice un grand sit-in rassemblant la diaspora libanaise en Europe. Des quatre coins du vieux continent, ils sont venus pour adresser un message à l’UE qui entretient, selon eux, la présence de près de 2 millions de réfugiés syriens (soit à peu près 50% de la population libanais), majoritairement illégaux. Nous avons rencontré le député du bloc « La République forte » et ancien ministre des Affaires sociales : Pierre Bou Assi qui participe à ce sit-in.
Maya Khadra – Un sit-in a lieu le lundi 27 mai devant le Palais de justice à Bruxelles contre le maintien des réfugiés syriens au Liban. Vous y participez. Quel est le message que vous voulez faire parvenir à l’UE par ce rassemblement populaire ?
Pierre Bou Assi – Je tiens à saluer d’abord tout Libanais et toute Libanaise de ma formation politique les Forces Libanaises aussi bien que celles et ceux appartenant à d’autres partis ou indépendants participant à ce sit-in.
Notre message à l’attention de l’Union Européenne est d’abord notre reconnaissance pour leur aide aux réfugiés au Liban mais surtout notre souci de dire haut et fort que le Liban n’a plus la capacité d’accueillir deux millions de réfugiés sur son sol.
Cela met en péril la nation libanaise et l’Etat libanais. L’UE, le plus grand donateur des réfugiés syriens, devrait arrêter tout financement et toute aide vu que le Liban ne peut plus supporter ce poids de réfugiés en situation irrégulière depuis 2011. Le Liban est fragile économiquement et socialement. Les Syriens sont arrivés au Liban pour des raisons sécuritaires et pas économiques. Or, ils restent dans notre pays tant qu’ils perçoivent les aides généreuses de l’UE. Il y a beaucoup de prétextes donnés pour les garder au Liban comme le refus du régime syrien de les rapatrier. Ce régime se targue de son exploit de guerre; à savoir « l’homogénéisation et la purification de la société » en Syrie. On nous parle aussi de la vie invivable et dure en Syrie, du service militaire que les réfugiés évitent en restant au Liban aussi bien que de conditions « mystérieuses » qui ne seraient toujours pas réunies pour leur retour dans leur pays. Si les conditions de vie en Syrie ne sont pas satisfaisantes pour l’UE, comment expliquer que 17 millions de Syriens y vivent encore actuellement ? S’il y a danger impérieux, ne faudra-t-il pas évacuer les 17 millions d’habitants ? Quant au service militaire, ce n’est pas le problème du Liban si la législation exige des Syriens de s’enrôler obligatoirement dans les rangs de l’armée. Nous demandons à l’UE de respecter la décision souveraine libanaise qui force les donateurs à ne plus verser de l’argent à ces réfugiés. Les Etats-Unis et l’UE ne peuvent continuer dans cette politique sans le consentement de l’Etat libanais et en dépit de la grogne sociale qui augmente jour après jour.
Maya Khadra – Quelle est la responsabilité de l’Etat libanais dans l’aggravation de cette crise ? Et celle de l’UE ?
Pierre Bou Assi – L’Etat libanais a beaucoup tardé à défendre l’intérêt national et à œuvrer pour que les aides internationales pour les réfugiés prennent fin.
Le record mondial du nombre de réfugiés par habitant est battu au Liban.
Nous sommes les seuls à atteindre ce taux effrayant de 50% de notre population en réfugiés. Mais mieux vaut tard que jamais. L’Etat libanais s’engage aujourd’hui à faire pression sur les donateurs sont l’UE afin de préparer le retour des réfugiés chez eux. Cependant, ce même Etat a failli à son devoir en se montrant laxiste dans le contrôle des frontières. L’immigration syrienne au Liban n’est pas conjuguée au passé mais au présent. Les frontières sont poreuses et les réfugiés affluent au Liban quotidiennement. L’UE, en continuant dans la dynamique d’appel du vide, encourage ce phénomène.
L’Etat libanais doit contrôler les frontières.
La tâche est ardue ave le refus catégorique qu’a exprimé Bachar el Assad en réaction à la volonté du Liban d’implanter des tours de surveillance à la frontière. L’UE risque de témoigner d’une énorme crise au Moyen-Orient et au Liban, plus précisément, en continuant à maintenir cette situation délétère qui met en péril l’identité libanaise.
Maya Khadra – Vous étiez ministre des Affaires sociales, comment avez-vous œuvré pour la gestion de cette présence sur le sol libanais ?
Pierre Bou Assi – En tant qu’ancien ministre des Affaires sociales en 2017 et 1018, en pleines hostilités en Syrie, j’avais l’obligation et le devoir de protéger les réfugiés au Liban d’un point de vue humanitaire. Et je jouais le rôle d’intermédiaire entre les donateurs et les ONG présentes au Liban. Mais depuis 2017, j’ai tiré la sonnette d’alarme sur le risque de la présence de ces réfugiés sur notre territoire national. L’enjeu est existentiel et structurel. Je le rappelais déjà dans tous mes propos quand j’étais ministre et mon parti a proposé depuis le début de la guerre en Syrie d’installer des camps à la frontière libano-syrienne dans des zones sécurisées plutôt que dans la profondeur territoriale libanaise.
Maya Khadra – Comment commentez-vous les derniers propos polémiques du SG du Hezbollah Hassan Nasrallah sur l’envoi en bateaux des réfugiés en direction de l’Europe ?
Pierre Bou Assi – Tout appel à envoyer les réfugiés syriens présents sur le sol libanais en Europe est démagogique, d’une part et criminel, d’autre part. Exhorter les réfugiés à partir à Chypre ou en Europe fera tourner la machine mafieuse des passeurs. Envoyer 2 millions de Syriens vers ces destinations nécessite une logistique énorme : 10 mille embarcations ! Que ces appels proviennent du Hezbollah, du Courant Patriotique libre (CPL) présidé par Gebran Bassil ou le parti chiite Amal est révoltant. Ne sont-ils pas les alliés de Bachar el Assad ? Ne sont-ils pas au pouvoir ? Qu’ils négocient donc le rapatriement des réfugiés avec leur allié pour leur retour. Transformer le Liban en plateforme tournante pour le passage de réfugiés en Europe encouragera ces derniers à envahir davantage notre pays afin de rejoindre l’Europe. Si les bateaux sont interceptés à Chypre ou en Grèce, les réfugiés seront renvoyés au Liban plutôt qu’en Syrie. Mais si les Syriens ne se dirigent pas vers l’Est, tôt ou tard, ils se dirigeront vers l’Ouest, en direction de l’Europe et le résultat sera catastrophique pour tout le monde. Dans ma dernière visite à New York, au siège de l’ONU, j’ai négocié avec les Allemands, les plus grands donateurs, de préparer le terrain afin que les Syriens puissent rentrer chez eux.
Maya Khadra – Y a-t-il un enjeu de déstabilisation du Liban en instrumentalisant la question des réfugiés ? Posent-ils un problème culturel comme prétendent certains ?
Pierre Bou Assi – Le Liban est politiquement, économiquement et socialement exsangue.
La monnaie libanaise a perdu 90% de sa valeur, le chômage atteint un taux de 40%.
S’ajoute à cela une crise identitaire. La démographie en plein essor des réfugiés met en péril le pluralisme libanais. La culture libanaise est en danger aussi bien que la vocation même du pays ; celle d’être un pont civilisationnel entre Orient et Occident.
Pierre Bou Assi
Député libanais
Ancien ministre des affaires sociales au Liban
Propos recueillis par Maya Khadra