Ce point de vue « britannique » sera peut-être un peu particulier. Spécialiste britannique de la France, je travaille à Sciences Po Lyon. Mon point de vue est-il donc celui d’un Britannique ou d’un Français ? Peu importe. Il va sans dire qu’il y a forcément des points de vue britanniques pluriels sur le régime et les institutions politiques en France.
En tout cas, il y a une grande tradition britannique d’expertise sur la France ; les modèles de notre génération s’appelaient Vincent Wright, Philip Williams et Jack Hayward, décédé il y a peu et qui fut un intellectuel très respecté des deux côtés de la Manche.
Une fois ces questions de prismes culturels abordées, passons à celles des définitions de l’objet. Le régime politique de la Ve République fut décrit par Duverger1
comme un régime semi-présidentiel, où sont combinés le principe présidentiel d’un président directement élu par le peuple et le principe parlementaire d’un gouvernement responsable devant l’Assemblée nationale. À notre sens, décrire la Ve République comme un régime semi-présidentiel fait preuve d’un certain nominalisme et ne va pas au cœur de la problématique ; les autres régimes « semi-présidentiels » (le Portugal, la Pologne, la Russie, la Bulgarie…) ne fonctionnent pas de la même manière. Et une institution politique ? On peut comprendre les institutions politiques de trois façons principales : comme des structures de longue durée qui sous-tendent l’opération plus conjoncturelle du système politique contemporain ; comme des institutions (de la Ve République) à proprement parler, à savoir le président, le Parlement, le Conseil constitutionnel et ainsi de suite ; enfin, dans une perspective néo-institutionnaliste, comme des représentations du monde, des façons d’agir par le prisme des institutions et par l’intégration de leurs logiques dans les schémas de pensée. Dans ce troisième sens, il s’agit des usages pratiques et coutumiers, plutôt que constitutionnels. Dans les deux premières interprétations, les institutions sont des variables lourdes, des organisations avec des règles plus ou moins précises ; dans la troisième interprétation, les institutions sont des cadres cognitifs, des représentations du monde politique – en l’occurrence français.
Observons tout de suite l’antériorité des institutions françaises d’aujourd’hui : le système de grands corps techniques – les ponts et chaussées – a ses origines dans l’ancien régime. L’architecture de l’État napoléonien reste structurante, à bien des égards, malgré une bonne trentaine d’années de décentralisation2. Les institutions au cœur du droit public – le Conseil d’État notamment – sont vieilles de plus de 200 ans. Il s’agit ici principalement des institutions de la Ve République, c’est-à-dire le régime politique approuvé par référendum en octobre 1958 et, accessoirement, l’intériorisation de ces institutions comme cadres cognitifs et structures d’opportunités politiques.
Le récit présidentiel des institutions de la Ve République
La Ve République est un régime focalisé sur une institution au-delà des autres : la présidence de la République. On peut comprendre la présidence de la République comme une institution dans les sens évoqués ci-dessus : c’est-à-dire une organisation politique, investie de larges pouvoirs coutumiers et constitutionnels, et une série de rôles, de croyances, de règles, de manières d’agir qui, ensemble, lui donne un caractère institutionnel3.
Selon la lecture dominante de la Ve République, le président est la clé de voûte des institutions, le cœur du système politique. Mais cette autorité ne s’explique qu’en partie par le texte de la Constitution de 1958. La commission constitutionnelle présidée par Michel Debré – plus tard Premier ministre du général de Gaulle – qui réunissait les gaullistes et les grands partis de la IVe République, donnait naissance à un texte qui est encore ouvert aujourd’hui à des lectures présidentielles et parlementaires. L’article 5 semble renforcer la centralité du rôle du président de la République : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ». Mais les articles 20 et 21 jettent clairement les bases d’un système parlementaire (un gouvernement dirigé par un Premier ministre, responsable devant le Parlement). L’interprétation de cette constitution hybride qui est faite par le général de Gaulle dépasse de loin celle de l’impartialité et de la neutralité de l’État. Ainsi, dans sa conférence de presse de janvier 1964, de Gaulle déclare : « l’autorité indivisible de l’État est confiée toute entière au Président par le peuple qui l’a élu »4.
L’impulsion et l’évolution du régime sont essentiellement politiques. Le référendum d’octobre 1962 sur l’élection directe du président est un moment clé pour l’avenir de la Ve République. Le président de la République a désormais une légitimité populaire au moins aussi conséquente que celle de l’assemblée – en tout cas selon une lecture présidentielle. Avec sa majorité absolue – même réduite (62,25 %) – en faveur de l’élection directe au référendum d’octobre 1962, de Gaulle a porté un coup contre les partis et hommes politiques de la IVe République : la SFIO, par exemple, s’est fortement opposée à l’élection directe. Une défaite, somme toute, pour la classe politique de la IVe République. Un coup d’État permanent ? C’était l’accusation de Mendès France, de Mitterrand et de quelques autres personnalités de la gauche. Il est vrai que le retour au pouvoir du général de Gaulle fut accompagné par la menace d’une guerre civile et la mobilisation des forces armées. De manière quelque peu paradoxale, en insistant sur l’élection directe, de Gaulle a fortement politisé l’institution de la présidence de la République, désormais l’office clé, l’objet tant désiré de la concurrence politique5. L’élection présidentielle de 1965, qui a vu de Gaulle contesté au deuxième tour par Mitterrand, candidat de la gauche unie, fut une date clé dans l’évolution du régime. La création d’une présidence forte a accéléré le processus de bipolarisation entre la gauche et la droite qui a caractérisé les vingt-cinq premières années de la Ve République. La lecture présidentielle n’est pas vraiment contestée jusqu’aux élections de 1986 et la première cohabitation.
La vraie contribution de la Constitution de 1958 fut de renforcer l’exécutif vis-à-vis du Parlement, par les articles 34 (qui limite le domaine de la loi), 38 (sur les ordonnances) et 49.3 (sur la confiance).
Fini la recherche permanente des majorités de la IVe République. L’Assemblée nationale fit un baroud d’honneur en 1962, quand elle passa la seule motion de censure réussie de la Ve République. Mais de manière un peu paradoxale, cette initiative a facilité la dissolution de l’Assemblée nationale et l’élection d’une majorité absolue pour l’UNR. Elle a mis fin à la parenthèse de la mise en œuvre de la Ve République et confirmé le sentier résolument présidentiel de celle-ci.
Le président de la République peut également être considéré sous l’angle d’une institution informelle, qui imprime un style politique et une série de rôles de référence (par exemple, le dirigeant international, le leader européen, le chef des institutions et des armées, le patron de parti, le maître des horloges). Par le style de leadership politique, nous nous référons aux manières d’agir qui sont en adéquation avec l’institution du président de la République. Quelles sont les attentes, les règles non-écrites, les symboles, les pratiques qui caractérisent le style présidentiel de la Ve République ? Chaque président doit se conformer, jusqu’à un certain point, aux éléments clés du rôle présidentiel. Mais chaque président a aussi son propre style. Il s’agit tout d’abord d’un style présidentiel légué par de Gaulle (1958-1969), une communion entre le leader providentiel et le peuple. Le modèle est celui du général : souverain, au-dessus de la mêlée, distante et hautaine. Le pouvoir présidentiel gaullien s’est construit sur la politique étrangère, la défense et la politique européenne, car ces domaines sont censés incarner le consensus et l’unité nationale. Il est caractérisé par la rareté de la parole présidentielle ; des interventions aux moments de crise nationale mais pas pour commenter la politique quotidienne. Dans le cadre gaullien, le président se présente comme le garant de l’unité nationale. Tout ceci dans le rôle de l’arbitre de la République, en retenant la définition forte de ce concept (du latin, donner une direction) : déterminer les grandes orientations, mais ne pas s’immiscer dans tous les détails. Mais est-il le président de tous les Français ou seulement de la moitié qui l’a soutenu ? À partir du moment où il est directement élu, l’œcuménisme présidentiel devient plus difficile à soutenir, comme de Gaulle lui-même l’a découvert en 1967 (la forte poussée de la gauche aux législatives), 1968 (les évènements de mai-juin) et 1969 (la démission après l’échec du référendum sur la décentralisation et la réforme du Sénat).
Comparer par les rôles nous permet d’identifier un socle présidentiel ; si la notion d’un domaine présidentiel exclusif est depuis longtemps contestée, le président joue un rôle primordial en politique étrangère. La gouvernance européenne, pour sa part, est bien trop complexe pour être réduite aux acteurs politiques nationaux ; néanmoins l’impulsion politique – ou son absence – vient du président, une tradition réaffirmée sous Macron avec le discours de la Sorbonne en octobre 2017. Les plateformes présidentielles – des 110 propositions de Mitterrand en 1981 aux programmes de Macron en 2017 – servent comme des manifestes pour l’action des gouvernements, même si l’activisme et l’interventionnisme des présidents sont très variables. Au-delà de ces éléments quelque peu structurants, chaque individu apporte une contribution particulière qui exprime ses préférences, idiosyncrasies et, parfois, origines sociales et politiques.
Mécanismes du pouvoir présidentiel
Les lectures présidentielles des institutions sont les plus courantes dans la Ve République. Il vaut mieux les considérer comme une série de mécanismes, que de règles constitutionnelles incontestées. L’on identifie trois mécanismes qui continuent de fonctionner… et trois autres en perte de vitesse.
Primo, le mécanisme de conformité à l’intérieur de l’exécutif. Il s’agit du contrôle du président de la République sur les nominations clés (nomination en Conseil des ministres des préfets, recteurs, influence sur la haute administration, postes clés dans le secteur économique, etc.). Si ce mécanisme a été poussé à l’extrême sous Macron, où un président jupitérien est intervenu jusque dans la nomination des membres des cabinets ministériels et des postes clés du parti majoritaire, on observe un effet similaire sous tous les présidents. Le poids des conseillers de l’Élysée facilite le contrôle à l’intérieur de l’administration centrale. Mais le contrôle de l’administration est complexe, partagé entre le président, le Premier ministre – qui contrôle le secrétariat général du gouvernement – le ministère des Finances, au cœur des divers dispositifs de réforme de l’État, les cultures ministérielles très diverses et le fonctionnement des corps.
Secundo, les relations complexes entre président et Premier ministre témoignent – sous des formes toujours réinventées – des tensions à l’intérieur du cœur de l’exécutif. Cette relation est clé pour comprendre la Ve République. La hiérarchie des relations institutionnelles est bien établie – au-delà de la Constitution : le président nomme le Premier ministre et, de facto, peut le contraindre à démissionner. Ensuite, la hiérarchie politique est une constante (toutefois relative) : le Premier ministre est-il là pour mettre en œuvre le programme du président ? Dans les gouvernements récents, le Premier ministre Ayrault (2012-2014) justifiait ses prises de positions par rapport aux 60 propositions du candidat Hollande, et Valls se référait souvent au pacte de responsabilité déterminé par le Président Hollande avant son arrivée à Matignon. Mais ces mêmes Premiers ministres ont aussi fait valoir leurs propres priorités politiques : Ayrault par rapport à la politique fiscale, par exemple, et Valls en ce qui concerne la migration ou le Code du travail. Parfois, un Premier ministre est nommé pour impulser une priorité, le cas de Raffarin et la décentralisation sous Chirac. Même les Premiers ministres les plus dociles ont à cœur de laisser leur empreinte ; l’exemple d’Édouard Philippe et la réduction de la limite de vitesse à 80 km en atteste. Et si la hiérarchie présidentielle est souvent constatée, le Premier ministre n’est pas dépourvu de ressources : en témoigne la décision de Valls de limoger les deux ministres frondeurs – Arnaud Montebourg et Benoît Hamon en 2014. Enfin, il y aura toujours des rivalités par rapport au positionnement politique, car le Premier ministre est un « présidentiable » potentiel. En tout cas, le président se méfie souvent de son Premier ministre, qui peut devenir un rival, comme en témoignent les relations compliquées entre de Gaulle et Pompidou, Pompidou et Chaban-Delmas, Giscard d’Estaing et Chirac, Sarkozy et Fillon ou encore Hollande et Valls. Quand le Premier ministre est plus populaire que le Président (Fillon sous Sarkozy, Valls sous Hollande), ce phénomène prend des airs de lèse–majesté.
Tertio, le mécanisme du fait majoritaire et du parti présidentiel. Dès 1958, le système de partis est, partiellement, organisé autour de la conquête de la présidence. On constate deux phénomènes un peu contradictoires ; d’abord, l’émergence du parti présidentiel comme une forme de parti dominant – quoique temporaire –pour soutenir l’action du président de la République ; ensuite la mise à distance du parti comme forme organisationnelle (d’où le débat sur le Parti des godillots), et les grandes difficultés vécues pour élucider clairement le rôle du parti dans le système des institutions6. Parfois, ce mécanisme peut entraîner une forte réaction (de la part des parlementaires notamment), le cas des frondeurs du PS pendant le quinquennat de Hollande. Finalement, Emmanuel Macron et La République en marche n’ont rien inventé : LREM suit le sillage de l’UNR, de l’UDF, et du PS comme un parti présidentiel très imparfait et partiellement dysfonctionnel. Chaque parti présidentiel a fini par s’effondrer. La réalité est que le pouvoir présidentiel s’accommode mal des dynamiques partisanes.
Deux instruments présidentiels sont en perte de vitesse : la dissolution de l’Assemblée nationale, depuis la tentative infructueuse de Chirac en 1997 ; et le référendum, depuis l’échec du « oui » au référendum sur le traité constitutionnel en 20057.
Mais ces deux instruments traditionnels ne sont plus au cœur du dispositif présidentiel, à cause de la réforme du quinquennat en 2000, qui s’applique pleinement depuis 2007 et la présidence de Sarkozy. L’accélération du rythme de la présidence est frappante sous Sarkozy, Hollande et Macron. S’agit-il bien de la même présidence après 2000 ? On peut en douter : le mandat de cinq ans entraîne la responsabilité plus directe du président pour la conduite des affaires de l’État, rend moins probant l’image de l’arbitre et change la nature même de la présidence. Le président est au premier plan, vulnérable comme n’importe quel autre dirigeant politique. Le Premier ministre n’est plus un fusible, dont la mission primordiale est de protéger le président. Ce phénomène explique en partie l’impopularité croissante de Sarkozy et surtout de Hollande. Ceci dit, la mise en déshérence d’un autre mécanisme – la cohabitation – renforce l’emprise politique de la présidence. Pour rappel, le président perd l’essentiel de ses pouvoirs domestiques en période de cohabitation, même si cette appréciation doit être plus nuancée dans les domaines de la politique étrangère et des affaires européennes. L’introduction du quinquennat en 2000 a rendu improbable – sinon impossible – la possibilité d’une nouvelle « cohabitation », après trois exercices entre 1986-88, 1993-95 et 1997-2002.
Enfin, considérons la réforme constitutionnelle, toujours un exercice périlleux pour un président en fonction, tiraillé entre l’article 11 (référendum sur l’organisation des pouvoirs publics, qui ne s’applique pas normalement à la révision constitutionnelle) et l’article 89 (le vote conforme des deux assemblées et une majorité des 3/5 au Congrès, sinon dans une simple majorité dans un référendum). De Gaulle a eu recours à l’article 11 pour introduire l’élection directe du président de la République, quoique ce changement ait entraîné une réforme de la Constitution (article 7). En bref, la réforme constitutionnelle entraîne des choix contestables d’instruments juridiques.
Au-delà la complexité de voies règlementaires, la comparaison des épisodes de 2008 et de 2018 ne plaide pas forcément en faveur du Président Macron. La réforme constitutionnelle de 2008 s’est adjugée comme mission le renforcement des pouvoirs du Parlement et l’amélioration de la procédure parlementaire (notamment par une réforme des commissions). Elle a également introduit un droit citoyen de recours contre l’inconstitutionalité des lois (la question prioritaire de constitutionalité – QPC). Une décennie plus tard, le Président Macron cherche à rationaliser le fonctionnement du Parlement, limiter le cumul des mandats dans le temps, réduire le nombre de parlementaires, entamer une réforme modeste du système électoral, supprimer la Cour de justice de la République (CJR), ainsi que le statut de membre de droit du Conseil constitutionnel des anciens présidents de la République et, enfin, de reconnaître la spécificité de la Corse dans la Constitution. La réforme de 2008 a acté un certain rééquilibrage des institutions en faveur du Parlement ; celle de 2018 aura l’effet inverse. De là à douter qu’elle soit à la hauteur de l’enjeu il n’y a qu’un pas. En attendant la suite de la réforme constitutionnelle de Macron, rappelons que la victoire de Sarkozy en 2008 fut extrêmement serrée, obtenue grâce au ralliement de Jack Lang, longtemps ministre PS de la Culture. Une décennie plus tard, il semble probable que la réforme annoncée soit saucissonnée entre une loi ordinaire (la réforme du système électoral), une loi organique (la réduction du nombre de députés) et une réforme constitutionnelle (la Corse et la CJR), qui ne répondent pas vraiment à la transparence que le président appelle de ses vœux.
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Soixante ans après, une lecture de la Constitution de 1958 donne une vision très incomplète des institutions de la Ve République. On observe tout d’abord le renforcement des institutions qui n’existent qu’en filigrane dans la Constitution de 1958 ; il s’agit notamment du Conseil constitutionnel, dont le développement s’est fait grâce à la jurisprudence de 1971 (qui intègre le principe du bloc de constitutionalité, en référence à la Déclaration de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946) et aux révisions constitutionnelles successives de 1974 (qui accorde le droit à soixante députés ou soixante sénateurs de référer un projet de loi au Conseil pour juger de sa conformité avec la Constitution) et 2008 (la QPC). On observe également une évolution des institutions ou des pratiques institutionnelles selon l’aspect temporel. La France de 2018 n’a pas grand-chose à voir avec la France de 1958. Au début de la Ve République, les grandes controverses étaient centrées sur le changement de régime, le rôle de l’armée dans la société française, l’Algérie française, la décolonisation, l’Europe des six. En 2017, date de l’élection de Macron : la Ve République paraît relativement stable, l’armée a été réduite à la portion congrue, la décolonisation est un souvenir historique, l’Europe s’est agrandie à vingt-huit membres (en attendant le Brexit). Les défis ne sont pas du tout les mêmes.
À l’aube de l’élection d’Emmanuel Macron et au plus fort de la campagne pour la VIe République, j’ai posé la question : quel récit est nécessaire pour réhabiliter la présidence8 ? Il semblait évident alors de constater un rendement décroissant de la présidence. Les présidents sont de plus en plus impopulaires, de moins en moins protégés par l’office de la présidence. Les présidents sont-ils devenus les Premiers ministres-bis ? En tout cas, il leur est quasiment impossible de se retirer de la gestion quotidienne, comme Hollande l’a découvert à ses frais9. En finir avec l’irresponsabilité du président de la République par l’abolition du poste de Premier ministre est une possibilité envisagée dans le dernier livre de Hollande10.
Enfin, que reproche-t-on à la Ve République ? Lazorthes11 livre un verdict impitoyable : « Cinquante ans après son établissement, la Ve République mêle donc, contre l’intention fondatrice, les dérèglements propres à l’incarnation solitaire du pouvoir sans direction et les méfaits d’un régime de partis d’autant plus présents qu’ils sont faibles en tant qu’institutions et sur le plan intellectuel ». Ces propos nous semblent un peu excessifs. La Ve République a produit une stabilité politique, surtout dans un contexte comparatif (voire les difficultés récentes de créer un exécutif stable en Italie, Royaume-Uni, Espagne, ou Allemagne entre autres). La stabilité des institutions s’est révélée être un facteur de stabilité tout court, même dans un contexte de grande impopularité dans le cas de Hollande (2012-17). L’expérience de la Ve République est également celle de solides garde-fous constitutionnels et juridiques, dont témoignent le Conseil constitutionnel (renforcé par le processus de la question prioritaire de constitutionalité) et le Conseil d’État, de facto le gardien du droit européen. Le président de la Ve République représente le cadre d’une forme de leadership politique avec une certaine visibilité internationale, dont la légitimité démocratique est difficile à remettre en question. Quid de la VIe République ? Le positionnement en faveur de la VIe République est associé à des courants politiques et universitaires précis. Mais rares sont ceux qui appellent à une transformation de caractère fédéral, ou qui prônent une refonte fondamentale des structures de l’administration publique. Alors, quel est l’intérêt de changer de Constitution, si ce n’est pour la refonder de fond en comble ? Le président de la République, renforcé par l’élection et la pratique de Macron, reste plus que jamais la clé de voûte du système.
Alistair COLE
Professeur de sciences politiques, Sciences Po Lyon
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- Maurice Duverger, Le Système Politique Français, PUF, Paris, 1970. ↩
- Alistair Cole, « The French State and its Territories », Public Administration, vol. 90, n° 2, 2012, pp. 335–350. ↩
- Jacques Lagroye, « On ne subit pas son rôle. Entretien avec Jacques Lagroye » Politix, n° 38, 1997, pp. 7-17. ↩
- Charles de Gaulle, « Charles de Gaulle. Conférence de presse du 31 janvier 1964 » https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00382/conference-de-presse-du-31-janvier-1964.html. ↩
- Jack Hayward (dir.), De Gaulle to Mitterrand: presidential power in France, Hurst, Londres, 1993. ↩
- Jean Charlot, « Le Président et le parti majoritaire », Revue politique et parlementaire, vol. 85, n° 905, 1983. ↩
- Faire un appel direct au peuple par le référendum, telle était la façon d’agir du général de Gaulle pendant la période transitoire de mise en œuvre de la Ve République (octobre 1958 : accord sur la Constitution de la Ve République ; avril 1961 : référendum sur le principe d’autodétermination pour l’Algérie ; avril 1962 : accords d’Évian sur l’indépendance de l’Algérie ; octobre 1962 : élection directe du président). ↩
- Alistair Cole, French Politics and Society, Routledge, Londres, 2017. ↩
- Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Un Président ne devrait pas dire ça…, Éditions Points, Paris, 2016. ↩
- François Hollande, Les leçons du pouvoir, Stock, Paris, 2018. ↩
- Frédéric Lazorthes, « La droite prise à son propre piège » Le Débat, n° 181, 2014, pp. 27-36. ↩