Xi Jinping est arrivé ce lundi 20 mars en visite d’Etat en Russie. C’est la première fois depuis 4 ans et elle fait échos à celle de Vladimir Poutine le 4 février 2022, trois semaines avant le déclenchement du conflit en Ukraine. Vladimir Poutine était venu y chercher des garanties et le contournement des sanctions économiques occidentales à venir, la Chine étant la puissance clef pour Moscou lui permettant d’y survivre – cela avait déjà été le cas en 2014.
Xi Jinping rend la pareil après un an de guerre dévastatrice en Ukraine et vient confirmer son soutien à la Russie et également envoyer un signe au monde : avec la Russie comme allié en dépendance, la Chine veut se poser un puissance dominante dans le monde.
D’emblée, à son arrivée, Xi Jinping a fustigé l’Occident et déclaré : “La Chine est prête, avec la Russie, à protéger l’ordre mondial fondé sur le droit international“.
C’est un peu orwellien compte tenu de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022, mais c’est un clin d’œil, car ce 20 mars est le 20ème anniversaire de l’invasion, également illégale, de l’Irak par les Etats-Unis en 2003 et donc celui de la rupture initiale de l’ordre international reposant sur le droit.
Plus clairement encore, il a ajouté, “la Chine est prête à s’associer à la Russie” – il faut comprendre officiellement, puisque c’était de facto le cas avant cette visite.
Notons tout d’abord que cette rencontre au sommet a bien eu lieu, contrairement aux espoirs de certains “experts” médiatiques qui depuis un an ne cessent d’interpréter des “signes” que “la Chine se détachait de la Russie” – les augures ne sont plus ce qu’ils étaient.
Ces experts ne voyaient pas, ou feignaient de ne pas voir, ce qui se jouait en coulisse depuis la visite de Poutine à Pékin le 4 février 2022 ou depuis le développement tous azimuts des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) : banque mondiale de développement en rupture avec le FMI (Fond Monétaire International) que rejoignent de plus en plus de pays, comme récemment l’Egypte, coopérations diverses en particulier sur les ressources, mise en place du système de transfert bancaire concurrent à SWIFT, le CIPS (China International Payment System), échanges de technologies et manoeuvres militaires, programmes spatiaux communs, etc.
Surtout, il s’agit non pas d’une visite abstraite, mais bien d’une confirmation d’alliance.
Les craintes de Henry Kissinger ou de George Kennan se voient confirmées : l’attitude des USA a poussé la Russie dans les bras de la Chine, dont elle sera certes le N°2 pour le moment, mais qui crée ainsi, appuyé sur les BRICS , le premier bloc géopolitique mondial.
Sans cette union, la Chine ne pouvait défier les USA. Bien des pays dans le monde l’ont compris ; c’est ce qui explique les rapprochements multiples avec les BRICS et des condamnations de la Russie du bout des lèvres à l’ONU pour de nombreux pays.
La domination Occidentale et surtout étasunienne sur la mondialisation est maintenant terminée. J’écrivais dans cette illustre revue le 23 février 2022 à la veille de la guerre qu’un conflit en Ukraine serait une victoire stratégique pour la Chine et une défaite pour l’Europe – nous y sommes.
Si nos dirigeants avaient eu le sens de l’intérêt de l’Europe, et le réel désir de voir émerger une “Europe puissance” (ne parlons pas des intérêts de la France complètement bafoués), ils ne se seraient pas enfermés dans la vassalisation aux Etats-Unis et à l’OTAN et auraient arrimé la Russie à l’Europe, selon la vision géopolitique du Général de Gaulle.
Sur le dos de l’Ukraine, qui sera la première à souffrir, les USA ont préféré maximiser leurs avantages à courts termes, tout en plaçant l’Europe dans une situation difficile : une terrible guerre dans son espace géopolitique dont nous n’avons pas fini de payer les conséquences et une crise économique grave de long terme. Le pire est à attendre pour l’Ukraine qui n’a aucune chance de triompher face à cette alliance et qui risque de se voir, au final, non seulement ravagée humainement, matériellement et économiquement, mais amputée d’une part substantielle de son territoire.
Pour l’Europe s’ouvre une période lugubre.
Contrairement aux USA, l’Europe n’a aucune option “isolationniste” – se couper des ressources et du marché russes aura été une opération stratégique d’une stupidité rare, alors que dans le même temps, les pays dits “en voie de développement” se rapprochent à vitesse accélérée des BRICS. On feint en Occident de ne pas voir que 75% des ressources et des produits manufacturés sont produits dans les pays BRICS et la part la plus importante en Chine et en Russie. Nos PIB basés sur le tertiaire, la finance, les services et le tourisme n’ont de valeur que si nous continuons à dominer la mondialisation. Or, ce n’est déjà plus le cas.
Ce sommet Chine-Russie acte le basculement du monde, et par là-même le déplacement du pivot géostratégique du monde vers l’Asie, laissant l’Europe dans les oripeaux de sa puissance passée.
L’histoire n’est définitivement pas finie, c’est même tout le contraire, elle prend un nouveau tournant en s’accélérant.
La question pour nous, Européens, est de savoir comment nous allons négocier ce tournant qui nous fait déjà tomber de notre piédestal stratégique et économique.
L’avenir n’est pas écrit, il est à bâtir dans un monde en pleine mutation.
Georges Kuzmanovic
Président de République souveraine
Photo : Salma Bashir Motiwala/Shutterstock.com