Il est des périodes d’entre deux où les péripéties de l’actualité dans un quotidien morose comme les cieux de décembre éveillent des échos significatifs d’un retour de balancier, à tout le moins annoncent l’évolution incertaine d’une situation que l’on tenait pour acquise.
La pandémie épuise nos énergies à travers une cinquième vague aux contours encore trop flous en raison de l’apparition d’un énième variant omicron pour que l’on puisse augurer quoique ce soit de l’efficacité des mesures prises en France et ailleurs en Europe pour la juguler, à ce stade… Sauvera-t-on les festivités de Noël comme on le souhaiterait au terme d’une année 2021 particulièrement éprouvante et franchira-t- on notamment sans encombre le cap de la décision de vacciner les plus jeunes sans polémiques, réticences et crispations prévisibles dans un contexte aussi volatile et propice au durcissement des positions de part et d’autre ? Les jours à venir nous le révéleront pour le meilleur ou pour le pire… En attendant, les mesures barrières et le redoublement de prudence dans les interactions sociales resteront une preuve de bon sens et de sauvegarde temporaire, à défaut d’avoir atteint le taux salvateur d’immunité collective que l’on nous promet à travers le vaccin et son rappel pour éviter le naufrage définitif d’un système hospitalier exsangue renouant avec le plan blanc un peu partout sur le territoire…
Semaine étrange s’il en est, où le monde se souvient du réveil d’un géant, suite à l’attaque de la flotte américaine à Pearl Harbor par les forces navale et aérienne nippones le 7 décembre 1941, il y a 80 ans déjà, qui fit basculer le conflit de titans à l’échelle mondiale dans la phase de la marche vers la victoire des Alliés contre les forces de l’Axe… Souvenir également de nos lointains territoires de la zone indo-pacifique ralliés sous la bannière de la France libre dans ce combat qui allait se solder les 6 et 9 août 1945 pour l’Empire du soleil levant dans l’apocalypse nucléaire d’Hiroshima et Nagasaki, à quelques jours du référendum d’autodétermination en Nouvelle Calédonie le 12 décembre 2021… Alors oui, l’histoire, aux pans tantôt tragiquement nimbés de nuit et de brouillard, tantôt auréolés du soleil des victoires, devrait nous rendre tous humbles et conscients de nos limites dans son interprétation, car si certes rien n’est plus facile que de la dévoyer, pour autant il est toujours utile et sage de ne pas caricaturer le regard porté par autrui sur ses péripéties…
Vichy est au cœur de l’actualité du jour. La Marquise de Sévigné y effectua deux cures pour le plus grand bénéfice de notre littérature ; non loin de là, l’eau des sources de Chateldon, village natal et fief de Pierre Laval, était déjà servie et appréciée à la table de Louis XIV. Par la vertu curative de ses eaux, Vichy, havre salvateur pour des dynasties de coloniaux qui venaient y soigner leur foie malmené par le climat des Tropiques du temps où la France avait encore un Empire, est le lieu où la Troisième République et ses institutions assommées par une défaite hideuse se sont sabordées dans un sauve qui peut généralisé, à l’exception d’une poignée de parlementaires hostiles à la perspective de se décharger de leurs responsabilités dans les mains du Maréchal Pétain. La suite est connue et doit être assumée car elle est partie intégrante de l’histoire de France sous toutes ses facettes et cela, rien ne pourra le changer ni l’effacer. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles un farouche opposant et un des successeurs du Général de Gaulle à l’Elysée faisait déposer tous les 11 novembre entre 1986 et 1992 une gerbe sur la tombe du Maréchal à l’île d’Yeu, alors qu’il avait été lui-même un résistant… Le Général de Gaulle en visite à Vichy évoquera pour sa part « le grand, le seul, unique peuple français » balayant ainsi l’indicible part d’ombre d’une époque révolue dans l’histoire de cette ville de cures du cœur de la France, capitale éphémère au hasard d’une de ses plus terribles défaites. A quoi bon inlassablement raviver les plaies du passé autour de cette pimpante cité des bords de l’Allier quand le désarroi d’une nation abasourdie par son effondrement face à l’ennemi, la soif de revanches et les rancœurs inavouables accumulées au cours des violents combats idéologiques des années 30, expliquent en partie des fautes impardonnables du cher et vieux pays déchiré à sa décharge par les profonds clivages orchestrés par ses dirigeants du moment pour mieux masquer leurs défaillances et renoncements coupables ?
En 2021, il serait peut-être temps et plus prudent d’éviter les caricaturaux procès d’intention stériles en interprétation d’une période douloureuse de l’histoire de France et les récupérations toujours hasardeuses dans une période de campagne électorale qui s’annonce des plus agitées avant même son démarrage officiel…
Tournant ou retour de balancier, petit à petit se dessinent les contours des semaines et mois à venir avant soit la poursuite de la navigation actuelle pour cinq ans encore, soit le grand remplacement pour reprendre l’image détournée d’un média étranger au sujet de la présidentielle d’avril 2022. Ce grand remplacement, il a déjà lieu en Allemagne sans heurts excessifs ni outrances alors que le pays traverse une période de crise sanitaire d’une grande intensité. Il est clair que l’élection en France ne se fera pas à Bruxelles ni à l’aune des thématiques communautaires pour ceux qui seront appelés aux urnes et consentiront au sursaut de tourner le dos à l’abstention massive et mortifère pour notre démocratie mal en point. La présidence française de l’Union européenne autour de la déclinaison de trois axes – relance, puissance, appartenance -, risque de s’avérer un singulier fardeau et en tout cas un défi accaparant à relever auprès de partenaires plus focalisés pour le moment sur la sortie des périls de la pandémie que sur de grandes ambitions, qui par ailleurs demanderont plus que la période d’un quinquennat pour être portées et avoir des chances de se réaliser… Cela sous le regard d’une Allemagne coalisée et en ordre de bataille autour de son nouveau Chancelier… Alors, certes impossible n’est pas Français pour reprendre la formule du polémiste dont l’entrée en campagne lors du meeting de Villepinte a retenu la plus grande des attentions des observateurs professionnels, les uns saluant un exercice où la mue de l’écrivain et intellectuel en candidat tribun accompli s’est avérée évidente, les autres ne retenant que les incidents navrants qui ont émaillé le rassemblement autour de sa personne. Ceux qui utilisent ni plus ni moins les sinistres et criminelles méthodes des SA avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, porteurs d’armes, de cocktails molotov et de bouteilles d’acide, les soit-disant insaisissables et délinquants antifas, n’ont pas réussi à agresser les forces de l’ordre chargées d’assurer la libre tenue de la réunion ni à intimider et attaquer le public qui souhaitait y accéder. Celle-ci a été néanmoins perturbée à l’intérieur de la salle par la provocation inutile de militants antiracistes, objet eux-mêmes d’un violent rejet sur lequel certains trouvent opportun de revenir en boucle, oubliant la menace externe qui planait sur les participants au meeting. Comme si cela, n’était pas suffisant, le candidat a lui-même été agressé physiquement par un individu qui n’avait rien à faire là si on en croit son affichage politique restant probablement à prouver… Nous sommes en France, fin 2021, dans un pays qui donne à l’extérieur une déplorable image de sa température politique et du climat dans lequel risque de se dérouler la campagne pour la présidentielle si collectivement les leaders d’opinion toutes couleurs confondues ne tempèrent pas l’expression de leurs divergences dans le débat d’idées qui s’instaure. Qui attise la haine quand un jeune militant partisan d’Éric Zemmour est victime de l’ignominie du racisme et de menaces de mort au prétexte que la couleur de sa peau ne l’autoriserait pas à soutenir et partager la vision de son candidat ? Est-ce là le propre d’une société rassemblée et en état de bonne marche ?
Par l’ineptie d’une réforme du système du parrainage des candidatures, alors qu’on assure fort heureusement le secret des urnes dans toute démocratie qui se respecte, on a obligé les élus à rendre public leur signature en faveur de tel ou tel candidat au nom d’une transparence qui s’apparente plus à un viol des consciences qu’à un réel progrès.. Moralité en France, fin 2021, des maires voient leurs domiciles et des élus leurs permanences vandalisés, ou pire incendiés, tandis que ceux qui aspirent à servir leurs concitoyens peinent à réunir les 500 signatures nécessaires pour concourir. Est-ce tolérable dans une démocratie digne de ce nom ?
Du côté de LR, les militants ont choisi celle qui sera l’incarnation de leurs aspirations à tourner la page de la séquence actuelle en avril 2022. Le cap est redressé d’une manière plus claire, et le spectre de l’alternance escamotée par le phénoménal tour de passe passe de 2017 exercé au détriment de François Fillon, en raison pour partie de leurs divisions internes, semble en passe de s’éloigner. Le destin de LR reposera dans la capacité ou non de Valérie Pecresse à maintenir l’union de ses troupes et à répondre à l’indéniable désir de clarification du paysage politique émanant d’une portion de plus en plus importante des électeurs, au delà des limites du parti qui l’a adoubée tout en réaffirmant son ancrage à droite clairement réaffirmé par les 40 % de militants qui se sont exprimés en faveur d’Éric Ciotti. En finir avec l’illusion d’une position médiane à la recherche d’une synthèse illusoire et impossible entre des conceptions opposées de la société française trop abîmée désormais pour qu’elles se réconcilient à temps au vu de l’urgence des problèmes à résoudre…
Retour de balancier : l’équilibrisme, discipline phare des arts du cirque, entre les deux pôles fondamentaux de la vie politique française, la droite et la gauche, n’est plus vraiment de mise à l’heure des périls et ils sont grands à cette heure. La France aspire de manière plus ou moins consciente à l’ordre et à la justice dans un monde bousculé par la pandémie et en proie à des incertitudes et des tensions énormes en mer de Chine, sur les frontières orientales de l’ Europe, au Moyen-Orient, en Afghanistan, la liste est trop longue pour être exhaustive… Il y a longtemps désormais que la Méditerranée et la Manche sont devenues des pièges mortels et des cimetières pour les migrants victimes de la criminelle incurie et de la malgouvernance des dirigeants de leurs patries d’origine.
La crise sanitaire mondiale exacerbe et décuple ces menaces et toutes nos peurs, et c’est la planète toute entière qui est malade profondément si on se place dans le domaine de l’écologie…
Le côté dérisoire des préoccupations de certains dans une fraction non négligeable de ceux qui auraient pu incarner une autre voie sur l’échiquier politique français les disqualifie dans la course en vue d’avril 2022 et fait la joie de médias lucides en Europe et ailleurs, qui brocardent la guerre du foie gras ou les batailles autour des sapins de Noël et ne comprennent pas les condamnations lorsqu’un de nos fleurons industriels remporte un contrat considérable notamment par le nombre d’emplois qu’il va assurer à des milliers de travailleurs dans le pays… L’annonce d’une possible primaire à gauche permettra-t-elle d’enrayer le déclin inexorable de ce pôle atomisé lui aussi par le tour de passe passe de 2017, observé à travers le dernier sondage publié à l’issue du tournant observé suite aux clarifications dans l’autre composante du paysage politique français à la fin de la semaine dernière ?
A qui profitera le retour du balancier in fine ? Il est encore bien trop tôt pour oser le prédire mais une chose est certaine, les masques tombent, les contours de la joute se précisent de plus en plus et les thèmes de débats sont désormais circonscrits à peu de nuances près entre les candidats déclarés. La grande résilience des Français en proie aux tourments de la crise sanitaire demeure remarquable. Le sentiment d’abandon de nos concitoyens ultramarins se creuse en revanche à l’approche du couperet du 31 décembre…
Ceux qui ne sont rien et se taisent pour le moment, les Gilets jaunes des ronds points oubliés, les jeunes chômeurs qui se joignent à des revendications beaucoup plus ambiguës et discutables aux Antilles, mais aussi les ci-devant premiers de cordée et ceux qui ne trouvent rien à redire dans l’état actuel de la France, parce qu’ils sont relativement préservés des vicissitudes de l’heure et connaissent les codes pour survivre dans un environnement impitoyable et insensible aux fragilités et fêlures infligées aux plus faibles, ne forment en définitive qu’une seule et même entité. Elle s’achemine vers le mois d’avril 2022 sans trop manifester son désir de changement mais l’heure approche où elle sera maîtresse de son destin en choisissant l’incarnation de ses aspirations à une amélioration de sa situation. Au souvenir du vieux prince sicilien réfugié dans la contemplation des étoiles pour oublier les bouleversements de son monde et des valeurs auxquelles il adhérait du plus profond de son âme sans illusions sur le cours de l’histoire, essayons de ne pas trop songer à son constat qui pourrait aisément s’appliquer à la situation présente sous peine de découragement : » Nous fumes les Guépards, les Lions, ceux qui nous remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous ensembles, Guépards, chacals et moutons, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la terre… »
Eric Cerf-Mayer
Photo : Sylv&rob1/Shutterstock.com