Simone Veil s’est éteinte le 30 juin dernier. La vie de cette héroïne des temps modernes peut être analysée en deux périodes. D’abord Une jeunesse au temps de la Shoah, puis le retour à une vie « normale ».
Une jeunesse au temps de la Shoah
C’est le titre que Simone Veil a donné aux quatre premiers chapitres de ses mémoires Une vie1. Elle est née 13 juillet 1927 à Nice dans ce beau département des Alpes-Maritimes, dans une famille juive plutôt laïque et originaire de Lorraine. Benjamine d’une fratrie de quatre, son père, André Jacob, est architecte alors que sa mère s’occupe du foyer. Après une scolarité primaire à Carcassonne (où elle a été envoyée avec ses frères et sœurs en raison de la guerre), Simone Jacob suit des études au Lycée Calmette de Nice et y obtient son baccalauréat le 30 mars 1944. C’est alors que, ce même jour, se rendant fêter les épreuves, elle est arrêtée par la milice allemande. Elle est emmenée à l’hôtel Excelsior où sont regroupés les juifs avant leur déportation. Peu après sa famille est aussi arrêtée. Elle ne reverra jamais son père et son frère déportés en Lituanie.
C’est le 13 avril 1944 que débute le calvaire pour Simone, sa mère et sa sœur qui transitent via Drancy vers le camp d’Auschwitz-Birkenau, plus grand centre concentrationnaire du Troisième Reich, à la fois camp de concentration et d’extermination. Le n° 78651 est alors tatoué sur le bras de la jeune Simone. C’est là qu’elle rencontre Marceline Rosenberg qui va devenir sa « sœur jumelle contradictoire »2. C’est sans doute leur solidarité et leur amitié naissante qui vont participer de leur survie dans l’horreur des camps. Elles font tout pour tenir, tout en sachant qu’elles peuvent à tout moment être expédiées à la chambre à gaz…. Celle qui deviendra ministre de la Justice décrit le lot quotidien qui est le travail forcé. Il consiste à « décharger des camions d’énormes pierres » et « à creuser des tranchées et aplanir le sol ».
Une des sœurs de Simone Veil, Denise Vernay, entrée à 19 ans dans un réseau de Résistance à Lyon, est arrêtée en 1944 et déportée au camp de Ravensbrück. En juillet de la même année, avec sa mère et sa sœur, Simone est transférée à Bobrek, à cinq kilomètres de Birkenau. Peu avant la libération du camp d’Auschwitz le 27 janvier 1945, les Allemands conduisent leurs prisonniers dans la marche de la mort jusqu’au camp de Bergen-Belsen. Sa mère y meurt du typhus en mars 1945. Sa sœur Madeleine, atteinte également, est sauvée de justesse grâce à l’arrivée des Alliés. Bergen-Belsen est libéré par les troupes britanniques le 15 avril 1945.
« Soixante ans plus tard, je suis toujours hantée par les images, les odeurs, les cris, l’humiliation, les coups et le ciel plombé par la fumée des crématoires »3. Simone Veil ne guérira jamais véritablement de cette jeunesse dans les camps. Comme elle le confiera dans Une vie : « nous n’étions que des victimes honteuses, des animaux tatoués. Il nous faut donc vivre avec çà ».
Incarnation vivante de la Shoah, notons que Simone Veil a été la première présidente, nommée par Lionel Jospin en 2000, de la Fondation pour la Mémoire. La dernière grande cause de sa vie. Elle le sera jusqu’en 2007 et en restera présidente d’honneur jusqu’à son décès.
Le retour à une vie « normale »
Si tant est que l’on puisse revenir (et redevenir) normal et même indemne de ce genre de tragédie. Il faut une capacité de résilience hors du commun4. Simone Jacob est de retour en France le 23 mai 1945. Ce retour se fait en deux temps : le droit puis la politique.
La future ministre s’inscrit à la Faculté de Droit de Paris et à Science Po. C’est alors qu’elle rencontre Antoine Veil qu’elle épouse en 19465. Celui-ci part occuper un poste à Stuttgart en Allemagne où Simone le suit. A ceux qui s’étonnent de ce retour en terre allemande, cette dernière répond qu’il faut faire la distinction entre les nazis responsables de la Shoah, qui aurait pu arriver « n’importe où », et les Allemands dans leur ensemble6.
Par la suite, Simone Veil est licenciée en droit et diplômée de Sciences Po. Si elle renonce au barreau, elle réussit le concours de la magistrature en 1956. Elle occupe dès lors un poste de haut fonctionnaire dans l’administration pénitentiaire au ministère de la Justice, où elle s’occupe des affaires judiciaires. Membre du Syndicat de la magistrature (plutôt à gauche), elle devient en 1970 la première femme secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature 7.
Simone Veil révèle que son action politique débute en 1971, date à laquelle elle rentre au conseil d’administration de l’ORTF. À ce poste, elle surprend en s’opposant notamment à la diffusion du documentaire sur l’Occupation, Le Chagrin et la Pitié, qu’elle juge injuste et partisan8.
C’est en 1974, suite à l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, que Simone Veil devient ministre de la Santé sous le gouvernement Chirac. S’ouvre alors pour elle une page essentielle de sa carrière gouvernementale. En effet, elle doit porter et défendre le projet de loi sur l’IVG. C’est le 26 novembre qu’elle monte à la tribune de l’Assemblée pour ce faire. Le sujet est très sensible dans cette France encore conservatrice. C’est une vague de haine, déclenchée par la droite, qu’elle doit affronter. Elle le fait cependant avec courage et dignité durant une heure. Précisons qu’il y a 9 femmes et 481 hommes dans l’hémicycle !! La misogynie le dispute à l’hypocrisie. Les débats vont durer plus d’une journée. Pas moins de 74 orateurs se succèdent. C’est le 29 novembre que la loi est adoptée par 284 voix contre 189 (grâce aux voix du centre et de la gauche). La loi Veil est promulguée la 17 janvier 1975 pour cinq ans. L’autorisation est rendue définitive par la loi du 31 décembre 1979 adoptée sous le gouvernement Barre9. Par la suite Simone Veil fut le porte-drapeau de la cause des femmes.
C’est en 1979 qu’elle s’engage pour l’Europe, son deuxième grand combat. « Au sortir de la guerre, nous (ndlr : son mari et elle) avions la conviction qu’il fallait se réconcilier absolument avec les Allemands et que si nous ne le faisions pas, il y aurait une troisième guerre mondiale »10. Ainsi le 17 juillet 1979, sur demande de Valéry Giscard d’Estaing, elle conduit la liste UDF aux élections européennes et, contre toute attente, l’emporte. Elle devient la première femme présidente du Parlement Européen. Elle ne se représente pas à ce poste en 1982. Plus tard elle confiera qu’ « avoir fait l’Europe, m’a réconciliée avec le XXe ».
Lors des législatives de 1988, bien que non candidate, elle déclare qu’entre un candidat FN et un socialiste, elle choisirait ce dernier. Elle vilipende dès que nécessaire les « dérives extrêmes droitières » de certains de ses « amis » politiques.
En 1992 sa voix s’élève en faveur d’une intervention militaire de l’Europe des Douze en ex-Yougoslavie : « je ne veux pas réentendre ce que j’ai entendu il y a 50 ans : la seule priorité est d’arrêter la guerre. Et que, pendant ce temps-là, des gens pouvaient être dans des camps de concentration et être exterminés. Je ne veux pas l’entendre »11. Simone Veil reste députée européenne jusqu’à mars 1993. En effet le 31 mars elle devient ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville sous le gouvernement d’Edouard Balladur.
Soutien de ce dernier à l’élection présidentielle de 1995, elle quitte le gouvernement à la suite de la victoire de Jacques Chirac. Elle adhère ensuite à l’UDF qu’elle quitte deux ans plus tard. En 1997 elle préside le Haut conseil pour l’intégration. Le 6 mars 1998, Simone Veil est nommée au Conseil constitutionnel par René Monory, président du Sénat. Européenne toujours militante, elle sort de son devoir de réserve en 2005, pour appeler à voter « oui » au référendum sur le traité établissant une constitution pour l’Europe. De façon un peu étonnante, elle soutient N. Sarkozy en 2007.
Pourquoi n’a t-elle jamais brigué l’Elysée ? « Je ne me suis jamais sentie la capacité d’exercer un tel pouvoir. Je suis trop indépendante pour cela »12. Pourtant elle est restée longtemps personnalité politique préférée des Français. Le 9 octobre 2008 Simone Veil prend place parmi les Immortels à l’Académie française. Elle y occupe la place n°13, celle de Racine puis de M. Schumann13.
L’Etat aura mis un certain temps pour honorer un de ses plus exceptionnels serviteurs. En effet c’est seulement le 1er janvier 2009 qu’elle est décorée de la Légion d’Honneur par le président Sarkozy. Trois ans plus tard elle est promue Grand-Croix. Petit à petit elle se retire de la vie publique. Le 27 janvier 2011 elle inaugure en compagnie de Jacques Chirac le Mémorial du Vel d’Hiv à Orléans. Plus indépendante que jamais, Simone Veil participe, avec son époux, le 13 janvier 2013 à la Manif pour tous.
Sa dernière sortie officielle se déroule le 6 avril 2013 lorsqu’elle assiste à la remise du prix du livre politique à Bruno Le Maire14. Sept jours plus tard c’est un nouveau malheur qui la frappe. Son époux Antoine décède. Simone Veil se retire définitivement de toute vie publique. En août 2016, elle est hospitalisée pour détresse respiratoire15. C’est donc le 30 juin 2017 qu’elle tire sa révérence. A treize jours de ses 90 ans.
A l’heure de conclure, est-il utile de souligner que son décès va susciter toute une série d’hommages. Le président Macron salue celle qui « consacra sa vie aux plus nobles causes de la République. En Simone Veil la France perd une de ses plus éminentes figures. Puisse son exemple inspirer nos compatriotes, qui y trouveront le meilleur de la France ». De son côté Valéry Giscard d’Estaing regrette « une femme exceptionnelle (…). Je souhaite que sa vie exemplaire reste une référence pour tous les jeunes d’aujourd’hui ». Finalement la vie de Madame Veil se révèle être, comme le souligne F. Vizard, « un résumé de ce que devrait être la politique. Aujourd’hui comme hier ». Et même demain. Elle aura droit à « une cérémonie d’obsèques officielles » aux Invalides en présence du président Macron. De façon tout à fait inédite, une panthéonisation est d’ores et déjà envisagée pour cette femme d’Etat.
Raphael Piastra
Maître de conférences en droit public à l’Université Clermont Auvergne
Photo : Rob C. Croes/Anefo
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- Une vie (Stock, 2007). Egalement Ma vie, L’Express, 25 octobre 2007 ↩
- Marceline Rosenberg, qui deviendra Loridan-Ivens, a aussi décrit l’horreur dans Et tu n’es pas revenu (Grasset, 2015) ↩
- Entretien télévisé lors du 60e anniversaire de la libération des camps, 2004. ↩
- En France, Boris Cyrulnik a été le premier à s’interroger sur ce concept. Dans son essai Un merveilleux malheur (Odile Jacob), il analyse les processus de réparation de soi exposés par les rescapés de l’horreur. En psychologie, ce terme désigne la capacité de se refaire une vie et de s’épanouir en surmontant un choc traumatique Il s’agit d’une qualité personnelle permettant de survivre aux épreuves majeures et d’en sortir grandi malgré l’importante destruction intérieure, en partie irréversible, subie lors de la crise. ↩
- Avec lequel elle aura trois enfants : Jean, Claude-Nicolas (décédé en 2002) et Pierre-François. Né en 1926, Jean Veil, énarque, fut entrepreneur et homme politique. Il décède en 2013. ↩
- Maurice Szafran Simone Veil : Destin, Flammarion 1994. Simone Veil semble vouée aux malheurs de la vie. En 2002, elle a la terrible douleur de perdre l’un de ses fils, Claude-Nicolas, emporté à 54 ans par une crise cardiaque. Devant le cercueil de son enfant, Simone Veil prononce ces mots terribles : « J’ai commencé ma vie dans l’horreur, je la termine dans le désespoir » ↩
- Y. Lemoine et F. Nguyen, Le Livre noir du syndicat de la magistrature, Albin Michel, 1991 ; C. Jacquemart et J.-B. Garat, « Simone Veil, survivante et immortelle », Le Figaro, 2 juillet 2017. ↩
- Une vie, ibid ↩
- Cette affaire est décrite dans un ouvrage où l’on retrouve aussi l’intégralité du discours : S. Veil (entretiens avec A. Cojean), Les hommes aussi s’en souviennent, Stock, 2004. ↩
- Cité par La Montagne, 1er juillet 2017, p. 38. Selon nous la montée du terrorisme djihadiste, néonazisme du XXIe siècle, pourrait bien conduire à une troisième guerre mondiale. Avec l’arme nucléaire, elle pourrait être fatale… ↩
- La Montagne ↩
- Ibid p.37. ↩
- Lors de son discours elle a une pensée particulière pour son père « disparu dans les pays baltes (et qui) révérait la langue française ». ↩
- Le Maire, Jours de pouvoir, Gallimard, 2012. ↩
- journaldesfemmes.com, 18 août 2016 ↩