La réforme des retraites, les débats et réactions qu’elle provoque font oublier que ce pilier intergénérationnel du pacte social n’est que l’une des questions qui se posent quant à l’avenir du système de protection sociale. Au vu des entêtements de tous bords, cette réforme mal préparée, insuffisante et mal engagée, apparaît comme un faux nez qui fait éviter le débat sur le modèle de Protection sociale. Un faux nez qui offre l’opportunité d’affirmer, pour les uns leur farouche volonté réformatrice et, pour les autres, celui de retrouver dans la rue la tentation, ou le parfum, de l’insurrection. Le vote de non-censure du gouvernement et le délai imposé par le Conseil constitutionnel doit être l’opportunité d’ouvrir enfin ce débat. Une condition, une seule, doit être remplie pour permettre ce débat : que chacun en rabatte de son ego !
La main tendue par l’exécutif aux syndicats, dont les représentations des employeurs semblent absentes, s’annonce comme une nouvelle étape de ce détestable numéro si seul le sujet des retraites reste sur la table. Les syndicats et le gouvernement doivent maintenant élargir le débat pour poser le sujet de la protection sociale de façon systémique : c’est l’entier système de protection sociale qui doit être repensé. Peut-on continuer d’ignorer les effets « mécaniques » de tel dispositif – chômage, formation professionnelle, retraite, santé, prévoyance – sur tel autre ? Peut-on ignorer encore le constat, évident mais jamais discuté, de l’insuffisance du financement par les cotisations sociales sur le travail des assurances sociales ? Est-il irraisonnable de s’accorder sur le fait que le système est devenu illisible (et donc non pilotable) par ce mélange des genres entre « assurance » et « solidarité » qui résulte d’un « financement des dépenses par cotisations ou par impôts devenu sans logique claire » (Rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale – février 2023).
Le système de Protection sociale, par ajustement successifs, s’est fait le substitut d’une politique économique.
Le modèle hérité de 1945 est à bout de souffle, rapiécé par des ajustements paramétriques, et non pas des réformes, qui ne visent qu’à promettre une soutenabilité financière de court terme. Chacune de ces réformes ne fait qu’annoncer la suivante. Quelle que soit la couleur politique des exécutifs qui se succèdent les réformes de la protection sociale sont les couplets d’une chanson dont le refrain est la mobilisation syndicale. La partition est rodée, musique de fond elle fait prendre le choix de l’action de court terme, autrement formulé : le choix de l’inaction, pour une politique publique volontariste et, en même temps, une dynamique du dialogue social. Les réformateurs sont, tout autant que leurs opposants, des conservateurs aveugles à la réalité d’un système qui ne répond plus ni à la réalité de l’emploi, ni à l’équation de production qui fait prévaloir le capital (la numérisation) sur le travail (le salariat) ni aux attentes de la société. Ils sont comme ces satisfaits d’une république du contentement qu’observait JF Galbraith (La république des satisfaits, la culture du contentement aux États-Unis, 1992).
La réforme des retraites a fait venir à l’actualité la question démographique qui, elle, fait oublier celle de la « démographie de l’emploi » : les emplois de services, peu rémunérés ne contribuent pas au financement du « social » proportionnellement à leur poids dans l’économie. De là le cercle vicieux, mais inévitable, de la fiscalisation du financement du social et le piège des aides à l’embauche. De là les réformes, par ordonnances, du marché du travail (loi avenir professionnel, réforme de l’indemnisation du chômage…) : autant de substituts à l’absence de politique économique qui régulerait bien mieux le marché que des textes réglementaires.
Vaste chantier mais refuser l’obstacle c’est accepter des réformes paramétriques périodiques qui, soutenabilité financière oblige, finiront par accoucher d’un système de « pourboires sociaux » auquel un revenu universel apportera la touche finale, ignorant du lien social, aveugle sur sa soutenabilité sociale, débarrassé de la question du maintien du pouvoir d’achat.
La responsabilité n’est pas celle de l’exécutif seul, elle est aussi celle des partenaires sociaux.
Il n’existe plus de Billancourt qu’il faudrait ne pas désespérer alors, ni l’exécutif ni les partenaires sociaux n’ont plus de raison de ne pas dire qu’il faut, aujourd’hui, refonder l’entier système de protection sociale.
Michel Monier
Membre du Think tank CRAPS – Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale
Ancien DGA de l’Unedic