Pourquoi cet empressement à démanteler Engie en précipitant une fusion entre Suez et Veolia ? Est-ce bien le moment opportun, compte tenu des risques de plans sociaux liés à la crise sanitaire ? s’interroge Alexis Poulin.
À l’époque où Emmanuel Macron était ministre de l’économie, il avait organisé les fusions d’Alstom avec General Electric, avec le succès que l’on connaît, puis il a avait organisé la vente de Technip à l’américain FMC. Il a également validé la vente de Lafarge ainsi que celle d’Alcatel à Nokia. Autant de ventes qui ne peuvent se réaliser qu’avec la signature du ministre de l’Économie en place, qui les autorise parce que ce sont des intérêts nationaux en cause et donc qui doivent être protégés.
Depuis qu’Emmanuel Macron est président de la République, il a ouvert de nouveaux chantiers dans des secteurs où l’État est actionnaire : privatisation d’ADP (stoppée pour cause de virus), scission d’EDF et maintenant, scission d’Engie, présentée comme une volonté d’OPA de Veolia sur Suez. Autant d’opérations qui montrent qu’Emmanuel Macron reste avant tout banquier d’affaires avant d’être Président de la République.
ENGIE est une entreprise dont l’état est l’actionnaire de référence, issue de la fusion il y a une quinzaine d’années de GDF et Suez. Après le départ bousculé d’Elisabeth Kocher en début d’année, à cause, entre autre, de son opposition au démantèlement, maintenant la voie est libre.
Le candidat que Veolia présente au rachat des activités « eau » de Suez est le fond d’investissement Méridiam, dont le propriétaire, Thierry Déau, est un proche d’Emmanuel Macron qui s’est engagé très fortement dans sa campagne.
Dans une interview au Parisien début septembre, Thierry Déau, assurait qu’en cas de rachat d’Eau France, il n’y aurait pas d’augmentation du prix de l’eau : « Si nous sommes alliés à Antoine Frérot, PDG de Veolia, pour porter une solution aujourd’hui dans le rachat de Suez, une fois que tout sera signé, nous serons les meilleurs ennemis sur le marché de l’eau en France »
Dans l’immédiat, l’objectif des actionnaires est purement financier, et c’est l’Etat le premier actionnaire, avec un Président, qui laisse faire, en connaissance de cause.
Pourtant, ce démantèlement d’un champion français de la transition écologique n’a aucun sens dans le contexte de crise actuel.
Suez estime que près de 5 000 emplois pourraient être supprimés en France si l’opération allait à son terme, même si Veolia dément et s’engage à « maintenir l’ensemble de l’emploi des salariés en France ».
L’intersyndicale CFE-CGC, CFDT, CFTC, CGT et FO de Suez a dénoncé une opération « sans aucune transparence, confidentielle, voire pré-orchestrée ».
L’intersyndicale « étudie la possibilité de solliciter le procureur du Parquet national financier de Paris pour demander l’ouverture d’une enquête sur les conditions, qui paraissent contestables voire délictueuses, de la tentative de démantèlement du groupe Suez ».
Un nouveau fonds est entré dans la danse cette semaine, le fonds français Ardian, qui a fait part de son « intérêt », jeudi 1er octobre, pour racheter 29,9 % de son capital à Engie, qui s’est donné jusqu’à lundi pour valider l’offre à 3,4 milliards d’euros de Veolia.
Du côté de Méridiam, Thierry Déau a assuré vouloir moderniser les réseaux de l’eau et maintenir les emplois.
La question de la privatisation et de la concentration des acteurs de l’eau pose la question de l’avenir de ce bien commun, maintenant devenu la convoitise des géants internationaux. Les acteurs chinois sont en effet très actifs en Afrique. Si Veolia a lancé son OPA cet été, c’est dans le but de pouvoir rivaliser avec ces entreprises qui commencent à s’intéresser au marché international depuis peu.
Mais qu’en sera-t-il pour les utilisateurs ? Nous avons tout à craindre d’un acteur unique et hégémonique sur le marché de l’eau en France. L’eau ne devrait-elle pas faire partie de ces secteurs sanctuarisés, qui devaient être en dehors des lois du marché, parce qu’étant notre bien commun, comme l’annonçait Emmanuel Macron lors d’un de ses discours de crise ?
Visiblement non, l’eau est une marchandise comme une autre et c’est encore un signe inquiétant pour le monde qui vient.
Alexis Poulin