En plus d’être en guerre contre un coronavirus, nous sommes en guerre contre le réchauffement climatique. Mais en annonçant qu’il faut « combattre les gaz à effet de serre », ne se trompe-t-on pas d’ennemi ? C’est l’avis de Thierry Libaert, qui formule ici une critique sévère de ces abstractions qui semblent n’apporter aucun changement.
Le premier semestre 2020 fut le plus chaud que nous ayons connu et la période estivale fut marquée par des records de températures, les incendies de forêt dépassèrent en intensité tout ce que nous avons connu. Les tempêtes et inondations rythment désormais notre actualité médiatique. Un temps dissimulée par l’expansion de la Covid-19, la menace climatique ressurgit et le gouvernement doit désormais trancher sur les 146 propositions émises par la Convention citoyenne sur le Climat. Depuis plus de trente ans, les scientifiques du Groupement Intergouvernemental des Experts pour le Climat (GIEC) nous alertent sur le risque climatique lié à nos modes de vie, et pourtant, l’ensemble des signaux d’alerte est désormais allumé. Malgré l’ensemble des campagnes de sensibilisation, nos comportements évoluent peu. Il est temps de nous interroger sur les raisons de ce blocage.
De nombreuses illusions règnent dans le domaine de la sensibilisation au dérèglement climatique. Trois sont ici signalées.
D’abord, il faut se défier des sondages ponctuels indiquant une préoccupation environnementale au plus haut, ou d’événements d’actualité comme la Convention citoyenne pour le Climat présentée comme un tournant de la société civile pour une consommation plus responsable. La réalité est que, du tri des déchets à l’extinction des appareils en veille, de l’utilisation des transports en commun à l’achat d’aliments de saison, comme l’a bien repéré l’ADEME, « Depuis 2006, la tendance est plutôt à la baisse ou à la stagnation sur un ensemble des gestes vertueux en matière de climat1. »
La deuxième illusion porte sur l’idéal salvateur qu’incarne la jeunesse. Des marches pour le climat aux différentes initiatives lycéennes ou étudiantes, partout les jeunes sont présentés comme les nouveaux sauveurs. Hautement responsabilisés, ils constitueraient les nouvelles légions du combat climatique. Là aussi, cela mérite d’y regarder de plus près car le constat révèle que derrière quelques étudiants fortement mobilisés, souvent issus de grandes écoles, la majorité de notre jeunesse reste fortement adepte d’un mode de vie carbonée, des voyages aériens à la fast-fashion en passant par le streaming, et que les 18-24 ans ne se démarquent aucunement en matière de préoccupation environnementale, et ne comptons pas trop sur leur engagement politique, puisqu’ils sont de loin les plus abstentionnistes, avec par exemple un score de 72 % d’abstention pour les 18-34 ans aux dernières élections municipales, loin devant toutes les autres catégories d’âge.
La dernière illusion qu’il convient de dissiper porte sur les éco-gestes qui symbolisent à eux seuls la prise de conscience citoyenne. Prendre une douche au lieu d’un bain, réduire sa consommation de viande, éteindre la lumière en sortant, fermer le robinet pendant le lavage des dents, le devoir civique se dédouble d’un devoir d’éco-responsabilité de nos attitudes. L’incantation est parfaitement illustrée par Régis Debray : « Au « Ah, ça ira ! Ça ira ! » succède le « Ah, ça triera, ça triera2 ». Force est de reconnaître que l’hypothèse sur laquelle reposait l’objectif des éco-gestes n’a pas fonctionné. L’idée d’amener chacun sur une trajectoire vertueuse par petits efforts successifs s’est rapidement heurtée au désir de supprimer tout ce qui pouvait apparaître trop contraignant.
Tout cela interroge beaucoup nos manières de communiquer et de sensibiliser au dérèglement climatique. En la matière, trois erreurs ont été commises. On a d’abord pensé que les individus étaient réellement soucieux de la cause environnementale parce qu’ils le disaient. On a ensuite pensé que l’information était le levier essentiel des mobilisations, et on a enfin été persuadé que si les citoyens étaient réellement soucieux des questions écologiques, cela entraînerait un changement de comportement.
Il est plus qu’urgent d’arrêter de fixer des objectifs lointains, de déclarer qu’il nous reste trois ans pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et viser les deux degrés en 2100, il faut stopper la communication fondée sur des données quantitatives, la communication distanciée reposant sur la sempiternelle image de l’ours polaire sur son morceau de banquise, la communication qui évoque l’alourdissement des contraintes et la diminution des plaisirs. A l’inverse, il est nécessaire de communiquer sur le ravage des reports incessants de nos actions, et surtout de réorienter notre objectif. Le combat contre le dérèglement climatique n’est pas le bon. Il nous faut arrêter d’informer sur le risque climatique pour nous concentrer sur le modèle de société que nous désirons ; une meilleure qualité de vie, une énergie propre, des produits plus sains, un mode de vie moins stressant. La lutte contre le dérèglement climatique apparaît pour ce qu’elle doit être ; un simple moyen.
Si nous considérons que notre ennemi s’appelle CO2, comment s’étonner que la mobilisation soit si faible. Arrêtons de mettre la neutralité carbone au frontispice de l’avenir radieux de notre humanité.
Il faut repenser nos manières de communiquer. La communication classique telle qu’elle se pratique actuellement est linéaire, descendante, contraignante, incantatoire, lointaine, alarmiste et technique.
Et l’on s’étonne qu’elle ne réussisse pas à atteindre ses objectifs.
Thierry Libaert
Conseiller au Comité Economique et Social Européen,
Collaborateur scientifique au Earth & Life Institute (Université de Louvain)
Auteur de l’ouvrage Des Vents porteurs (éditions Le Pommier, 2020).