Dans l’intervalle des conséquences de sanctions faussement suspendues, les victimes syriennes du récent séisme sont partiellement délaissées, et victimes de la mainmise islamiste qui pèse sur le nord-ouest de la Syrie.
Le Britannique Martin Griffiths, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence à l’ONU, a lancé ce jeudi un appel de fonds d’un milliard de dollars.
Cette somme permettrait aux agences humanitaires de venir en aide à plus de cinq millions de personnes touchées par le séisme dévastateur de la semaine dernière.
Pour l’heure, plutôt que de recourir à la désormais très habituelle mécanique de l’appel de fonds, il me semblerait bien plus loyal à l’égard de certaines victimes, d’agir concrètement afin d’appliquer le retrait des sanctions américaines que Washington s’est récemment engagé à suspendre pour une durée de cent quatre-vingts jours.
Notons au passage que la sirupeuse annonce de l’interruption des sanctions, qui, pourtant, ont toujours été censées ne pas concerner d’éventuelles aides humanitaires, conduit forcément à lire une forme suspecte d’illogisme dans les mesures que l’Occident prend contre la Syrie depuis 2011 ; en effet, trois jours après les tremblements de terre, le département du trésor américain a accordé six mois d’exemption de sanctions pour permettre l’aide humanitaire en Syrie, alors que la loi César, entrée en vigueur le 17 juin 2021, qui a pour objet de durcir les précédentes sanctions instaurées en visant davantage les entreprises étrangères commerçant avec la Syrie, prévoit de ne pas réprimer les actions humanitaires.
La première disposition que devrait prendre Washington durant les heures qui viennent, est d’appeler les grandes sociétés de transfert de fonds – comme Western Union, Ria ou MoneyGram –, à permettre l’acheminement d’argent provenant des Etats-Unis vers la Syrie.
À l’heure où j’écris ces lignes, ce samedi 18 février, beaucoup de Syriens expatriés regrettent qu’il leur soit encore impossible de faire parvenir des fonds à leur famille via les plateformes citées plus haut, et que dans l’intervalle, d’autres sites de service web, dont celui du célèbre PayPal, n’affichent plus les pages réclamant des secours pour la Syrie.
Les récents événements soulèvent le besoin de réviser une politique vieillissante, datant de 1979, lorsque les Etats-Unis ont classé la Syrie parmi les pays soutenant le terrorisme.
Force est de constater que les successives mesures décidées par l’Union européenne, les Etats-Unis, le Canada, la Suisse et la Ligue arabe, contribuent principalement à la paupérisation de la population syrienne.
Le déclin des peuples, et la faiblesse des empires, constituent le terreau du terrorisme islamiste. Manœuvrer afin de contrôler les actions menées par le régime de Bachar el-Assad, ne doit en aucun cas conduire à l’appauvrissement durable d’un pays dont près de 90 % de la population se situe déjà en dessous du seuil de pauvreté. La loi César – dont l’application induit des conséquences économiques, mais également humaines – a considérablement sanctionné l’importation de matières premières par la Syrie. Naturellement, il s’agit-là d’une difficulté ébranlant principalement la population syrienne qui se trouve en détresse et en déroute.
D’autre part, il apparaît déraisonné que les Etats-Unis et le Royaume-Uni aient fait parvenir l’essentiel de leur soutien financier dans la région d’Idlib, située dans le nord-ouest de la Syrie – celle-ci subissant la forte influence de diverses milices djihadistes affiliées à Al-Qaïda. Il y a fort à parier pour que les assistances financières livrées directement vers les régions du nord-ouest de la Syrie soient majoritairement détournées par les forces djihadistes, pour lesquelles il est d’usage de s’approprier des aides humanitaires, afin de revendre ensuite celles-ci à des personnes en situation de désespoir profond en imposant des prix démesurés.
Il n’échappe à personne que ces régions sont hors de contrôle, et que ce sont des extrémistes de tous bords ainsi que la milice kurde qui y règnent.
Jusqu’à ces derniers jours, un accord scellé entre Damas, le gouvernement turc et les Nations unies, ayant pour principal objectif d’entraver le transport d’armes illégales, stipulait qu’un seul accès était autorisé afin de rejoindre la province d’Idlib depuis la Turquie. Alors que la Syrie et l’ONU s’accordaient après le séisme pour autoriser deux autres accès, Raed al-Saleh, chef des Casques blancs, a dénoncé la décision conjointe, déclarant qu’un tel accord représentait un gain politique pour Bachar el-Assad, paraissant oublier que l’assistance aux victimes encore sous les décombres représentait une situation d’urgence.
Il est essentiel pour l’avenir de l’équilibre géopolitique du Proche-Orient, que les Etats-Unis ainsi que les pays de l’ONU prennent en considération que les conséquences du séisme qui vient d’avoir lieu vont marquer une nouvelle étape pour un pays dont le délabrement actuel fait suite à plus d’une décennie de guerre civile.
Tom Benoit
Philosophe, essayiste
Directeur de la rédaction de Géostratégie magazine.