Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
Tous responsables (2), jeudi 2 avril
Pour un revenu de responsabilité climatique
Ainsi la responsabilité aura marqué la période de crise et impactera celle que tout le monde appelle “Après”.
Mais il est encore difficile de dire quel contenu la définira dans cet Après. Se conjuguera-t-elle à une peur post-traumatique qui aurait envahi la société ? Elle prendrait, alors, la forme d’une forte demande de protection et de recherche d’une autorité rassurante. Assumer sa responsabilité. Mais on peut, aussi, imaginer ou rêver que la crise ait joué comme une expérience, “à de vrai” comme disent les enfants, et qu’elle produise des effets structurants aussi bien au plan individuel que dans la vie collective. Prendre sa responsabilité.
Ces deux options correspondent au trait majeur qui caractérise notre société, la peur de l’avenir. Elles traduiront notre projection dans le futur après cette période de coronavirus. De manière caricaturale, on pourrait résumer les choses entre le choix d’une continuité soumise ou celui d’une transformation constructive.
Ce dilemme n’est pas sans lien avec une deuxième question forte, actuellement, qui est la question de l’identité. La crise du futur se traduit par une perte de confiance. C’est source de doutes, de réflexes de replis.
Cette pandémie a fait ressortir ces trait avec ses corolaires : les débats sur les frontières, sur la souveraineté, sur fond de peur du déclassement.
Toutes ces tendances surfent sur une société numérique qui a tendance à exacerber les individualismes et les rejets de l’autorité et des références. Ce qu’il est coutume de nommer le vertical. Par opposition à un horizontal qui représente un axe de droits nouveaux et de satisfactions exigées dont on assume la revendication la moins limitée possible. On confondait gaiement individuation (et sa nécessité d’un équilibre entre des devoirs et des souhaits) et individualisation qui efface les devoirs autant que faire se peut.
Autant dire qu’on en était plutôt à la déresponsabilisation qu’à l’inverse. Nous étions peu préparés à cette irruption d’un “accident planétaire”. De là à ce que les “diafoirus” des thèses complotistes y décèlent je ne sais quelle manipulation de grande ampleur…
Faire appel, dans ce contexte à la référence de guerre, ne sera pas sans conséquences pour “Après”.
Les rhétoriques d’après-guerres appellent souvent leur lot d’exigence du “sang” des désignés responsables.
Autant dire que la parole publique aura besoin d’expérience et de tempérance.
Terra Incognita veut se projeter dans du positif. Aussi, c’est sur la version constructive de la responsabilité que je m’arrête.
Un thème apparaît aussitôt. Le devoir climatique. Un véritable “impératif catégorique”, de plus en plus largement reconnu et accepté.
Il pourrait fournir, à la société d’Après, une rallonge au chemin de la responsabilité qui s’est découvert, débarrassé de la végétation qui l’avait envahie, lors de cette épidémie.
N’insistons pas sur l’apport positif immédiat qu’une telle responsabilisation aurait face au dérèglement climatique.
Il est probable que cette nouvelle responsabilité, individuelle et au niveau de la société, permettrait de restaurer un axe vertical. Sa forme moderne étant qu’il serait choisi et non imposé. Et donc, sans opposition de l’horizontal dominant.
La responsabilité climatique serait une valeur pour laquelle l’individu serait prêt à sacrifier une partie de ses intérêts immédiats et égoïstes.
On retrouve, ainsi, le registre symbolique qui renvoie à une valeur morale ou éthique. Ce que les psychanalystes nomment l’idéal du moi. Cette instance qui régule les identifications et les conflits avec ses semblables et permet une bonne individuation. Cela permettrait, peut-être, d’échapper aux intolérances et aux rejets d’une identité bâtie sur la peur, le repli et les boucs émissaires.
Etre positif n’engendre pas forcément la naïveté. Les choses ne peuvent pas se produire mécaniquement.
Le politique, à cet endroit, peut trouver toute sa place. Dans la rhétorique et sa parole, aussi importantes que les actes pour de tels bouleversements de comportements.
Je propose de créer un Revenu de responsabilité climatique.
Il renverse les logiques habituelles de la réciprocité et de la responsabilité. La gauche devra rompre avec son refus habituel d’une telle réciprocité si elle veut inventer la social-démocratie de l’Après.
Ce serait un booster pour la fierté et l’estime de soi, dans cette participation individuelle à cette responsabilité collective qui serait aussi une nouvelle espérance dans le futur.
C’est une piste, aussi réaliste, si ce n’est plus, que celle du revenu de base ou du revenu universel. Les sources de financement paraissent plus larges.
Mais, pour aller plus loin, cette société de l’Après, devra aussi libérer l’imaginaire en libérant la créativité.
La crise a éclairé la capacité d’adaptation et d’agilité qui doivent trouver, à leur tour, et en symétrie avec la responsabilité, un champ nouveau pour réparer la société.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste