Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
Pour un revenu contributif de créativité, samedi 4 avril
Dans la société d’Après, je propose de donner une place stratégique à la créativité. Il faut expliciter ce que je vise et pourquoi cette place remarquable.
La créativité est prise dans son acception la plus large. Elle démarre avec des apports simples de transformation, d’adaptation dans la vie quotidienne jusqu’à l’invention ou la création artistique. Dit autrement, elle recouvre une démarche d’inventivité qui dépasse la seule logique de l’usage non interrogé, de l’objet fini une bonne fois pour toutes. Elle est autant un état d’esprit qu’un processus de transformation.
Ainsi, cette acception large intègre des rapports sociaux dans lesquels le talent de chacun est pris en considération. Elle éclaire une société en mouvement, qui se transforme et s’invente.
La créativité participe d’une idéologie en phase avec ce que j’ai appelé la nécessaire « grande réparation ».
C’est la meilleure adaptation pour voyager en terres inconnues.
Bref, elle est le fond de scène pour dérouler le scénario d’une profonde mutation de la société et de ses outils d’action et d’organisation. Elle est la base d’un pacte de confiance.
Si on en vient aux outils, la créativité est la seconde jambe de ma proposition de revenu de responsabilité climatique. Ce dernier a deux objectifs. Le premier de mobiliser les responsabilités autour de l’enjeu incontournable du climat et sur des comportements positifs pour la société. Le second est de retrouver une part des recettes habituelles du keynésiannisme et d’injecter du pouvoir d’achat pour relancer la machine économique. Mais, ici, la démarche est originale. D’abord elle cible un enjeu précis pour la société et son économie. On pourrait, comme le font souvent les mouvements écologistes, justifier ces dépenses par la construction d’une filière industrielle verte. C’est bien, est-ce assez ?
« Après » demande plus que cela. Il faut rompre avec une conception sclérosante de filière et se doter de plus d’agilité.
Le climat doit être une syntaxe pour réécrire le modèle productif.
Il s’agit de reconsidérer à partir de la valeur climat de multiples usages et services : l’agriculture et l’alimentation, la mobilité, la consommation énergétique et l’habitat…
Cette ambition suppose de l’inventivité, de la hardiesse, un état d’esprit de remise en cause.
C’est la réponse d’exigence d’une société envers elle-même après la leçon d’humilité de la crise du Covid-19.
Il faut trouver les moyens d’accompagner cet appel à à la créativité.
Un revenu contributif de créativité permettra de flécher l’injection financière vers des processus de transformation de l’appareil productif avec l’impératif climatique comme filtre.
Le terme de revenu est, sans doute, mal adapté. Il s’agit, plutôt, d’un bouquet de dispositifs qui vise à promouvoir, aider et faire aboutir des projets créatifs.
On pourrait, ainsi, retrouver les vielles recettes de Keynes : multiplicateur et accélérateur. Mais la dynamique quantitative deviendrait aussi qualitative.
De toute manière, la société numérique et la robotique nécessitent de reconsidérer l’approche du travail et du revenu. Déjà, des auteurs considèrent que chacun aura plusieurs activités et que le revenu pourra ressembler à celui des intermittents du spectacle.
Le projet décoiffe, il faut l’avouer. On sent, immédiatement, qu’il ne peut se mettre en action, que dans la proximité et les territoires mais avec la coordination d’un nouvel Etat providence et des services publics forts et repensés autour de cette grande mission. Ces derniers après le traumatisme de la pandémie devront être sur l’essentiel de la vie, la santé et l’éducation, mais, aussi, les nouveaux hussards noirs de l’hybridation contrôlée de l’usage des technologies algorithmiques avec la priorité incontestée de la préservation des enjeux et des désirs du vivant.
L’ensemble de ces dispositifs pourront, dès lors, contribuer à la « dissuasion créative de souveraineté » abordée dans un article précédent.
« La créativité est contagieuse, faîtes la tourner » (Albert Einstein).
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste