Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
Mobilisation générale pour l’immobilisation, lundi 6 avril
Déjà trois semaine de confinement. Comme chaque jour, commencer avec les prévisions d’un médecin et d’un économiste et le risque d’une grande lassitude. Le pire est que tout cela n’est pas fondamentalement alarmiste. Ce sont des projections logiques dans une continuité augmentée.
Selon le mot d’ordre, maintenant installé, que je me fixe pour Terra Incognita, je vais tenter quelque excursion en futur déplacé. Comme l’affirmait Nietzsche : « il faut porter encore en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante ».
Même Larry Fink, patron de BlackRock, dans sa lettre aux patrons d’entreprise, envoyée en janvier, promettait de liquider ses investissements non durables. La crise en cours sera une opportunité d’accélérer la transition vers un monde plus durable, promet-il. Car, la pandémie en cours « souligne les fragilités d’un monde globalisé et la valeur des investissements durables.
La pandémie fait imploser le sujet central de nos sociétés, celui de la mobilité.
Le confinement généralisé face au mouvement débridé. Avant le coronavirus, le monde s’était embraéÈ avec ce substrat commun de la mobilité et de la localisation. De la hausse du prix de l’essence, en France, avec les « gilets jaunes », ou en Iran, de celle du ticket de métro au Chili jusqu’aux émeutes au Liban en raison d’une taxe sur Whatsap… la question de la circulation réelle ou virtuelle apparaît comme un trait commun.
La société numérique est une injonction à bouger tout le temps, dans un mouvement incessant ou en étant toujours connectés. Jusqu’à cette pandémie ! Exemplaire de mobilité, elle a pour corolaire notre immobilisation. Jusqu’alors c’était la mobilité absolue. Des esprits et des corps. Mais, en quelques jours, le seul corps qui bouge est celui du Covid-19. Assiste-t-on au rêve des docteurs fous de la société digitale? La disparition des corps comme aboutissement d’une société transhumaniste ? La distanciation sociale dit bien son nom. Elle nomme bien l’effacement des corps.
Sommes nous devant le présage d’une société, en devenir, dans laquelle la technologie aurait supplanté la domination du vivant ?
Les transhumanistes en question vont-ils devenir les humanistes de la société techniciste lorsqu’elle se sera définitivement imposée ? Le reste d’humanité, le delta mémoriel de la société d’avant ?
Puisque les échanges se feront sans corps, que la consommation se concentrera sur des produits virtuels, les laboratoires s’ouvriront un nouveau marché. L’artificialisation de la satisfaction des corps. Il en sera fini de la sexualité, il y aura un placebo à la jouissance. Les souhaits de Michel Houellebecq, dans ses Particules élémentaires, de se débarrasser du sexuel, seront exaucés.
Ce ne sera pas le moindre des paradoxes, Greta Thunberg et sa volonté de restreindre les déplacements en avion, vont trouver, dans cette crise, une traduction inattendue. Le virus en sniper de l’impératif climatique ! Netflix devrait ce saisir du thème dans les plus brefs délais.
Dans la société d’Après, les experts du GIEC seront-ils devenus des archéologues ratiocinant sur des vestiges d’une société enterrée ?
A quoi ressemblera l’espace quand les réseaux n’auront plus besoin des corps ? Qu’adviendra-t-il de notre relation à l’altérité avec les risques d’intolérance que cela pourrait engendrer ?
Ces extrapolations de science fiction ne peuvent, dans le court terme, faire oublier que cette mutation possible de la mobilité va précipiter des dégâts économiques considérables et des perspectives improbables pour des populations entières de nombreux pays dépendants de l’aérien, du tourisme et de comportements, alimentaires ou d’habillement.
Que dire de la forme future de la notion de localisation ?
A suivre…
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste