Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
Virus en tête, mardi 7 avril
Pour certains, ma récente chronique sur la mobilité (Revue Politique et Parlementaire, Terra Incognita) lundi 6 avril aurait versé de la prospection vers la science fiction. C’est un peu ça, en effet. Et c’était volontaire. La science fiction force le trait. C’est un extrapolateur. Elle amplifie des signaux faibles pour qu’ils apparaissent comme des signaux significatifs.
La pandémie mélange des niveaux qui ne répondent pas forcément aux mêmes règles. Une crise sanitaire. Un crash test des organisations sanitaires et politiques. Un saut dans l’inconnu des mutations possibles des comportements et, donc, de l’organisation économique et sociale.
Chaque niveau a sa propre modélisation et sa propre projection. Force est de constater que les logiques associées ne convergent pas.
Ce n’est pas le propos de Terra Incognita de participer au débat en live.
On peut, simplement, imaginer que, dans un passé, pas très éloigné, disons un siècle (ou l’âge de ceux qui décèdent en premier avec cette épidémie), le scénario de crise aurait été écrit différemment.
Dans le même ordre des choses, les arbitrages entre immense catastrophe humaine de l’usage de l’arme atomique et projection du nombre de morts de jeunes Américains, ne se seraient pas faits dans les mêmes conditions aujourd’hui. Scientifiques et politiques tenaient des places non substituables.
La viralité de la communication planétaire, dans son temps réel, a bousculé les choses.
C’est ce qui rend si floue et incertaine l’appréhension (j’utilise volontairement le mot dans son ambiguïté de sens) la sortie de confinement qui n’a rien d’une sortie de crise.
Morts par manque de capacité d’accueil dans les hôpitaux. Morts directes liées au virus. Morts par conséquences psychologiques du confinement. Morts économiques directes ou indirectes. Toutes les morts ne se ressemblent pas. Elles ne recouvrent pas les mêmes choses.
Irrecevable que des gens meurent faute d’accueil par l’organisation sanitaire. Irrecevable pour des médecins de faire face à des décisions de tri dans des fortes proportions. Irrecevable pour des politiques qui seraient aussitôt taxés d’incurie. Irrecevable pour une société qu’il n’y ait pas une solution.
Pourtant, in fine, il semble qu’il faudra bien atteindre le seuil de 60 % de contaminés pour développer le bouclier de protection. Ne faudra-t-il pas le nombre de morts lié statistiquement à cette masse ? Sans doute le confinement aura écrêté le pic de cas et donc les décès par manque de moyens techniques et de ressources humaines. Le calcul a quelque chose de sordide. Mais que dire des conséquences psychologiques, mais surtout économiques et sociales de cette période blanche du confinement.
Il ne s’agit nullement de s’aventurer dans une critique des décisions. Mais, pour rester dans la posture prospective, il semble que la question du confinement n’aboutisse à une longue période de distanciation etc… comme avant celui-ci. Du coup, le scénario science fiction prend tout son sens.
Celui d’imaginer la cristallisation de comportements de crise susceptibles de devenir chroniques.
La complexité de la société contemporaine affronte les logiques et manque des recettes pour trancher. Elle ne dispose ni d’une langue consensuelle de décision ni d’un contexte de silence et de secret qui échapperait à la transparence.
On en voit la traduction factuelle dans les débats sur les libertés publiques. A leur manière Trump comme Johnson, quelle que soit le bien fondé de leur première intention avertie par certains scientifiques, n’ont pu se départir de la pression de leur opinion publique et de la communication mondialisée.
Entre science et conscience, les contours des périmètres s’estompent dans une brume légère et ambigüe. Dont, il paraît qu’on ne sort qu’à ses dépends.
Ces quelques lignes n’ont pour seul but que d’envisager l’Après. Et ce qui m’importe, les mutations possibles et rapides des comportements individuels et collectifs.
Avec cette interrogation : n’apparaît-il pas les indices d’un affrontement violent entre deux axes ? Celui d’une continuité poussée par la logique des puissances actuelles et diverses mais alliées. Celle de la transformation qui cherche ses troupes mais dont on pressent l’existence sous le voile actuel de la peur et du besoin de protection.
Entrons dans la mêlée… A suivre sur Terra Incognita
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste