Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
La peau, le Moi-Peau…, lundi 20 avril
Les discussions sont concentrées sur le confinement et sa sortie. Ce n’est pas une mince affaire. Mais, un sujet va vite s’imposer. Il va infuser sur toutes les questions économiques, sociales et sanitaires. Ce sujet, c’est La Peau.
Après le confinement, plusieurs mois, deux ans, plus durablement ?… la distanciation sociale va impacter tous les comportements et tous les psychismes.
La peau ne pourra pas conserver aisément son rôle de passeur entre les émotions et sentiments et leur mise en relation avec l’autre. Les spots publicitaires l’énoncent clairement : éviter les effusions, pas d’embrassades, ne serrez-plus la main.
Dans ce cadre, comment ne pas faire référence à l’expression proposée par le psychanalyste Didier Anzieu : Le Moi-Peau.
Selon lui, le “moi-peau” soutient le psychisme comme la peau le fait pour le squelette et les muscles.
Le Moi-peau assure une fonction d’individuation du Soi.
Comme pour la peau, on est dans la membrane qui nous relie à notre intime tout en étant la marque de la rencontre, de l’altérité. C’est le cœur même de la constitution de l’identité.
Il faut interroger ce « Moi-Peau » nouveau qui va émerger avec la distanciation sociale. Il en dira beaucoup par son grain, sa couleur, son odeur, sa sensibilité…Transportera-t-il une profonde névrose et une deuxième vague de confinement, celle de l’intime dans un mécanisme de repli face à la peur de l’extérieur et de l’autre ? A l’inverse, inventera-t-il une nouvelle sensualité de notre rapport au monde, capable de traduire, aussi, le besoin de relations solidaires ?
Quelles mutations dans les comportements individuels et collectifs ?
Ce sera le marqueur du débat politique.
Dans ce cadre, on vérifiera combien les techniques algorithmiques de compréhension de l’évolution des comportements ont besoin d’intégrer les apports, plus psychanalystes, de la méthode projective (dont Anzieu est par ailleurs l’un des concepteurs), pour saisir quelque chose de ce devenir qui s’avère un saut dans l’inconnu.
On saisit, simultanément, la nécessité pour les responsables publics d’appréhender ce futur proche et plus lointain. La société, déjà fortement marquée par une grande inquiétude face au futur, constituera un terrain favorable pour amplifier les troubles psychologiques potentiels.
Cette société rencontre l’angoisse de l’« inquiétante étrangeté », liée à une menace visant l’individualité du Soi par affaiblissement du sentiment des frontières de celui-ci.
C’est la zone de risque de l’intolérance et du rejet.
Ca peut-être, à l’inverse, la construction d’une approche plus réfléchie et plus généreuse de la relation. La distanciation nous aura-t-elle fait ressentir le besoin essentiel de cette relation ou bien l’inquiétude nous fera-t-elle créer une distanciation autre, volontaire et durable, de rejet de l’extérieur dans la continuité de ce que propose déjà les populistes.
Voila une piste nouvelle et stimulante pour aborder la question de l’identité !