Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
L’Hospitalité, mardi 21 avril
Dans ma chronique sur le Moi-Peau, Revue Politique et Parlementaire, lundi 20 avril pour Terra Incognita, j’ai voulu m’interroger sur les modifications comportementales possiblement dues à une période longue de distanciation sociale.
Les risques sont évidents. Ils tiennent à une crise de la relation. Avec nous-mêmes, ce qu’Eduardo Rihan Cypel a appelé : une blessure narcissique. Avec l’extérieur, l’étranger. Dans une société déjà en crise sur l’identité et confrontée aux dérives populistes du débat actuel sur l’identité.
Pourtant, chacun s’emploie, dans le même temps, à valoriser les actes et l’état d’esprit de solidarité.
Alors pourquoi mon appel à un retour de l’idéologie ? Parce qu’elle prend, là, toute sa place. Il faut offrir un chemin à tous ceux qui ne veulent pas se résoudre aux replis frileux et à la dénonciation des boucs-émissaires.
On constate combien il manque une voix et une voie qui permettent de fédérer toutes ces bonnes énergies. Sans faire appel au V symbolique de la victoire, retenons déjà les 3V : voie, voix, vivant.
Puisque toute idéologie et tout grand projet politique démarrent par une rhétorique, un mot. Un mot concept. Un mot suffisamment englobant pour accueillir large, assez précis pour engendrer une dynamique.
Le contexte hospitalier, la ligne de front solidaire et la question du Moi-Peau évoquent cette belle valeur : l’Hospitalité.
La ligne de front devient, maintenant, toute la société confrontée à sa responsabilité collective.
Kant fait de l’hospitalité universelle l’autre nom de l’universalisme. « L’hospitalité absolue exige que j’ouvre mon chez-moi et que je donne non seulement à l’étranger […] mais à l’autre absolu, inconnu, anonyme, et que je lui donne lieu, que je laisse venir, que je le laisse arriver, et avoir lieu dans ce lieu que je lui offre, sans lui demander ni réciprocité (l’entrée dans un pacte) ni même son nom ».
Le Moi-Peau nous renvoie, peut-être, à une vision étendue de ce concept. Une nouvelle transcendance qui permette de dépasser simultanément celui, régressif, de repli personnel et celui de l’intolérance envers l’étranger.
Faut-il y voir le substrat d’une réponse idéologique et politique aux risques multiples générés par la pandémie ? Un projet qui ose encore porter les valeurs d’humanisme et d’universalisme.
Car L’Hospitalité, si j’ose le dire ainsi, c’est faire une place à l’inconnu mais aussi à soi-même dans toute sa légitime d’émancipation et de plénitude, et refusant les effets d’un choc traumatique et culpabilisant. C’est « accueillir l’autre en soi : comme possibilité même d’être soi » comme le dit joliment Anne Dufourmantelle.
L’Hospitalité est une passe. Entre intérieur et extérieur qu’elle délimite, elle permet aussi d’entrevoir le franchissement et la relation, tout autant qu’elle est marque du risque.
De quel côté tombera la pièce après cette longue période de distanciation sociale qui s’annonce ? A tout le moins, il ne serait pas acceptable que ne surgisse pas le choix d’un chemin de l’Hospitalité.