Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
Relocalisation, commençons par le début, samedi 25 avril
Le coronavirus nous illustre des choses simples mais qu’on a du mal à intérioriser. Des évidences comme celle-là : un test in vitro n’affronte pas la multiplicité des réactions du milieu dans lequel on intervient, à de vrai, et la dynamique créée par leurs interrelations de résistance.
Nous prenons conscience, au travers de cette période de pandémie, de notre vulnérabilité voire de notre dépendance stratégique et cumulative.
Là encore, covid-19 nous renseigne. D’abord, on perçoit des effets. Et nos réflexes mécaniques parlent, expliquent, cherchent dans ce qu’ils savent déjà ou dans ce qui paraît le plus évident. Un partage d’un bon sens, en somme. Ca ne dure pas. Le virus est agile. Il a dû être psychanalysé car sa ruse déjoue nos pronostics en pleine lumière. Tout ce qui était l’évidence, d’effets et de cause première, vole en éclat dans le mystère de la complexité relationnelle.
On est dans un contexte similaire avec les réponses immédiates et mécaniques : ‘Yaqua’ relocaliser.
On manque de ça ? On relocalise. On est dépendant dans ça ? On relocalise. C’est un réflexe primaire et paranoïaque d’une autonomie absolue qui en serait le référent.
Evidemment, ce n’est pas si simple et les porte-paroles sont plus sophistiqués. Pourtant, sur l’instant, ces messages embarquent des énergies généreuses dans des voies qui méritent d’être un peu mieux préparées, défrichées.
Les relations humaines, d’organisation, économiques ont leur propre logique et ne peuvent se dissoudre dans des relations causales basiques. Là encore, le virus nous instruit. Ne déconfine pas qui veut, sans beaucoup de doutes et de risques. Il n’y a que deux méthodes, mieux appréhender ou partager une rhétorique du risque.
Je crains qu’on n’en ait aucune des deux.
Mon hypothèse est qu’il faut appréhender, avec des outils adaptés, ces interrelations. Il faut se montrer capable de modéliser la complexité de la transversalité de ces interactions et, simultanément, les mutations comportementales associées.
Le corps social reste un corps.
Après demande de comprendre les capacités d’adaptation de la société et de son modèle économique.
Ce que je nomme, dans mes articles précédents, la plasticité.
Pourquoi ? C’est un aveu ! Parce que je crois que c’est un terme juste pour amener vers une société de l’agilité qui est la seule réponse consistante à la société de fragilité. Et, c’est plus personnel, parce que la plasticité renvoie aux « artistes plasticiens » qui, depuis toujours, ont anticipé l’Après. Ce sont les mots du vivant contre l’entropie de tout système, l’invention et l’espérance des ilots de néguentropie.
Pour aller vers cette compréhension de la plasticité, il nous faut une intention volontariste, notre acceptation de reconnaître la multiplicité des points de vue, une méthode, des outils et un langage qui prenne en compte toutes les spécificités en jeu… une sorte de numéraire.
Notre organisation, il faut l’accepter, ne peut être regardée dans une vision uniforme de toutes ses composantes. Le confinement nous apprend, chaque jour, ce dont on se prive facilement, ce qui se transforme dans nos comportements mais, aussi, ce qui résiste et qui conditionne que l’on continue à jouer.
C’est ce qui caractérise ce qu’on appelle la compressibilité des systèmes. C’est violent et banal. Enlever ça et vous n’avez plus d’avenir dans vos références habituelles. Enlever cet autre ça, et ce ne seront que quelques douleurs de rentes perdues et vite estompées qui en résulteront.
C’est la logique pure de l’économie de guerre.
La relocalisation s’avèrera nécessaire sur quelques secteurs stratégiques par rapport à notre vulnérabilité. Mais elle ne peut être une réponse automatique et doit être organisée en regardant l’ensemble des conséquences associées.
Alors, si nous acceptons le point de départ d’un volontarisme et d’une remise en cause de nos certitudes… il reste le langage commun. Je veux proposer « la valeur data » comme étant ce langage commun. Pourquoi, avant de dire comment ?
La donnée est ce qui transporte tout : les données objectives, des mètres-carrés, des infrastructures, un climat etc. tout autant qu’une culture, que des subjectivités (l’attachement à ces mètres-carrés). La donnée est l’élément neutre qui relie la sphère de l’intime, la sphère publique et l’entre-tout ça, difficile à cerner, que l’on peut nommer « interstitiel » si on est biologiste ou géographe, « Moi-Peau » si on est psychologue, « réel » si on est psychanalyste.
Parce que la donnée embarque toutes les composantes du « vivant », elle doit être le premier enjeu de relocalisation et de souveraineté.
C’est un problème politique majeur.
Cela pose les questions de représentation, d’adhésion… de démocratie, donc !…
C’est majeur, et cela se traduit par la nécessité de renvoyer pour des raisons éditoriales à un rendez-vous de plus sur ce sujet. Et, en particulier, du comment.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste