Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
David contre Goliath, vendredi 1er mai
Choisir les résistances individuelles et de territoires, pour affronter les Gafam, pourrait paraître quelque peu décalé. Pourtant, il n’en est rien. Citoyens et territoires sont transformés en frondeur avec, pour arme, la pierre de la proximité.
Si les données font l’objet d’une telle agressivité de captation et d’appropriation, c’est bien qu’elles sont la clé des défis économiques et sociaux contemporains.
L’intimité numérique et sa protection sont devenues des exigences sociales qui traduisent cette perception qu’il y a là une grande richesse mais aussi un vaste mouvement de spoliation. La maîtrise et la gouvernance, et donc la souveraineté sur ces données, sont donc au cœur des enjeux de développement économique territorial, mais aussi national et européen.
La phase de collecte est rendue possible, grâce aux dispositions de la RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) dans son article 20. Celui-ci stipule que les personnes concernées ont le droit de recevoir les données à caractère personnel les concernant qu’elles ont fourni à un responsable du traitement, dans un format structuré, couramment utilisé et lisible par machine, et ont le droit de transmettre ces données à un autre responsable du traitement sans que le responsable du traitement auquel les données à caractère personnel ont été communiquées y fasse obstacle.
On le voit, il ne s’agit pas d’affronter les GAFAM en leur interdisant de poursuivre leur fonctionnement, en se réappropriant les données. Il s’agit, en quelque sorte, d’une souveraineté de la copie qui peut être placée chez un tiers de confiance et exploitée avec un meilleur contrôle. Finalement c’est les GAFAM sans les GAFAM : une utilisation des mêmes données mais celles-ci seront protégées et exploitées dans le cadre d’un pacte social de territoire.
La puissance publique est tiers de confiance et organisatrice des stratégies d’exploitation des données croisées avec les données collectives. Cette exploitation doit donner lieu à la mise en place d’outils technologiques qui préservent la souveraineté d’utilisation et leur anonymisation.
La collectivité agira ainsi comme un tiers de confiance, un « notaire numérique public » du big data patrimonial dont la vocation sera de collecter, stocker, et présenter les données collectées à travers un portail aux administrés.
En lien avec des industriels, se met en place une industrie des proximités au travers de ce circuit court de la donnée.
Les collectivités territoriales sont pleinement investies dans la transformation numérique de la société, par exemple au niveau des infrastructures avec le déploiement de la fibre ou des politiques d’open data (collecte, organisation et mise à disposition de masses de données ouvertes). Elles ont un nouveau rôle à jouer dans la protection de données collectives du territoire et de ses citoyens dans le cadre de la RGPD. Elles pourront assurer un rôle de gouvernance de la phase de collecte par une légitimité déléguée par les citoyens et une capacité d’investissement dans les infrastructures nécessaires (centre de données cryptées).
Le choix territorial n’est pas un rabaissement de l’ambition. Outre le fait que ce choix est pertinent en terme social et de réhumanisation du système, il est aussi efficace pour deux raisons. La première est le développement de nouveaux usages, que j’appelle l’industrie des proximités, qui constitue un marché économique stratégique. La seconde, car la contextualisation des données est essentielle dans de nombreux pans de recherche et d’activité, comme la santé par exemple. La pandémie en est, évidemment, un exemple frappant sous nos yeux. On comprend le souci de distinguer les éléments génériques de la maladie avec ceux du contexte de la localisation.
Le défi climatique ne sera relevé que si les grandes orientations des Etats s’appuient sur une mutation des modèles productifs de proximité.
Pour toutes ces raisons, territoires et données sont des enjeux majeurs de l’évolution du pacte social.
Il ne faut pas baisser les bras devant la puissance mais développer des exploitations alternatives des données dans un meilleur respect de l’intérêt général et de la planète.
C’est la condition pour la grande réparation de la planète, de l’humain et du social.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste