Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
Pandémie, violence et sacré, jeudi 7 mai
Achille Mbembe (Le Brutalisme) décrit l’émergence d’un nouvel animisme qui n’est plus articulé sur le culte des ancêtres mais sur le culte de soi, « ce nouvel animisme se confond avec la raison électronique et algorithmique ». Ce qu’on attribuait aux choses dans un animisme, dit primitif, on le prête à un objet de sens, un mystère caché, masqué pourrait-on dire, dans des circonvolutions mathématiques. La technologie apparaît comme la destinée ontologique de l’ensemble du vivant.
Toutefois cet impérialisme algorithmique, et l’organisation planétaire qui en découle, se heurtent à de sérieuses difficultés, mal anticipées.
La diversité des crises sociales semble avoir un fond commun que l’on a du mal à nommer. Pourtant, on ressent, abstraitement, une sensation de présence de ce socle commun qui ne peut que finir par se découvrir. Il se cache derrière le mystère occultant que fait planer l’intelligence artificielle et ses ressorts.
L’exigence climatique et les dégâts de l’anthropocène tendent à en devenir les symboles les plus palpables.
La pandémie du coronavirus serait-elle un démonstrateur ou une bande annonce des limites d’une interdépendance généralisée qui efface l’humain ?
Assisterait-on à une revanche du vivant qui balaierait des modèles productifs et politiques obsolètes ?
L’animisme algorithmique devra-t-il avoir à faire avec les ancêtres, lui aussi, pour que son chemin maîtrisé ne s’arrête pas aux premières rebellions des hommes ou de la nature et puisse dans un objectif de « progrès juste » ne pas se voir affublé du badge honteux de la tentative de déshumanisation ?
Voila ce que j’écrivais, dans un article pour la Revue politique et parlementaire : Les liaisons dangereuses, le 27 février 2020. Ca me paraît une éternité tant la pandémie a bousculé le rythme du temps.
Je veux interroger cette crise en tant que catharsis potentielle d’une violence latente au niveau de la planète. Tout de suite, une précaution dans le contexte de précipitation d’analyse et de relais des messages, dans l’immédiateté peu propice à la réflexion et à la nuance.
Je ne me protège pas au hasard. Déjà, juste avant le confinement, il était possible de croiser, de nuit dans Toulouse, un prophète des mauvais jours, tapant sur un tambour et pronostiquant la fin prochaine. On connaissait, déjà, Philippulus le prophète de Tintin, L’étoile mystérieuse, mais, on trouve, maintenant, de tels spécimens sur les plateaux de télévision.
Alors que les choses soient claires, je ne suis pas un prophète de l’apocalypse !
Mais, il y a, dans cette synchronicité, conçue par Jung, une grille de lecture du choc anthropologique auquel cette pandémie peut conduire. Il ne s’agit, dans ce cadre, de n’y voir ni causalité scientifique ni punition divine, mais interrogation d’une simultanéité qui peut faire sens. C’est assez représentatif de l’idée d’occurrence simultanée du concept de synchronicité.
Il y a, dans le déploiement mondial, des technologies digitales et algorithmiques, une contamination comportementale qui conduit à tous les excès concurrentiels, des dégâts de l’anthropocène au développement du mimétisme comme trait commun de ces comportements.
René Girard, il y a des dizaines d’années, écrivait que ceci préfigure une violence que nous ne savons pas maîtrisée : la fièvre de cette compétition sans issue culmine dans une crise qui menace la cohésion du groupe.
On ne sort de telles périodes que par la désignation d’un bouc émissaire qui peut, aussi, prendre la forme d’une épidémie. Une contagion symétrique à la contagion pour arrêter la violence.
Il faut, encore, citer René Girard, La violence et le sacré : « L’assimilation des maladies contagieuses et de la violence sous toutes ses formes, uniformément considérées, elles aussi, comme contagieuses, s’appuie sur un ensemble d’indices concordants qui composent un tableau d’une cohérence extraordinaire.
…
Si la catharsis sacrificielle parvient à empêcher la propagation désordonnée de la violence, c’est réellement une espèce de contagion qu’elle réussit à arrêter ».
Il y a, dans la symétrie et dans la synchronicité, des violences qui montaient contre la nature et entre les hommes d’un côté et dans la propagation de l’épidémie du coronavirus, non une relation causale mais une occurrence accidentelle qui constitue une opportunité, un destin serait plus juste, de réhumanisation de la planète.
Et encore qu’il existe des actions contre la Nature et la bio-diversité qui facilitent la diffusion des virus. Mais, et cela n’enlève rien aux responsabilités écologiques, il serait contre-productif d’engager des luttes justes dans des considérations qui confondent juxtapositions de faits avec des chaînes de causalité. On le voit, par exemple, autour des débats sur la déforestation.
Il reste que tout ceci invite à saisir cette main du destin pour transformer les comportements et les modes de pensée et d’organisation économique et sociale.
Pour repenser l’universalisme. Il faut, sans nul doute, sortir de ce tunnel angoissant en symbiose avec la Nature et avec naturel : une « sweet sortie ». Accepter le temps de la résilience mais ni oublier ni renoncer.
C’est la condition pour aborder positivement la rupture nécessaire avec volontarisme et réalisme. Brutaliser la rupture et ce sera la soumission.
Ce n’est, évidemment pas, l’avis de l’auteur des Particules élémentaires ou de Soumission, Michel Houellebecq. La puissance de la catharsis sera-t-elle suffisante pour faire, enfin, mentir ses prévisions acérées mais anxiogènes ? Le match est loin d’être gagné.
Il faudrait dépasser le culte de soi, ce nouvel animisme, pour, a contrario, renouer avec soi, avec l’autre et avec la Nature.
« A l’idée qu’il peut détruire la communauté s’ajoute désormais celle qu’il peut la reconstruire. C’est l’invention du sacré dont la vieille ethnologie avait compris qu’il existe dans toutes les cultures » (R.Girard op cit).
Entre anxiété et espérance, faisons le bon choix !
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste