Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
Des corps sans images, des images sans corps, jeudi 26 mars
La tragique épidémie que nous affrontons soulève le capot d’une société dont le moteur se révèle très différent de ce que nous imaginions.
Globalement, la complexité nous saute au visage et, là encore, les masques sont absents ou inefficients. Cette complexité nous lie avec les méthodes de décision et,donc, aux experts. Retour au point de départ.
Nous avancions les yeux fermés, tantôt dans une confiance feinte mais rassurante, tantôt en constituant une peur d’un inconnu ressenti comme menaçant.
Cela pose la question de la compréhension en société complexe. S’installe une défiance qui obère les possibilités de nouvelle espérance collective.
Puisque le coronavirus nous invite à la prospection, il nous faut garder à l’esprit cette névrose collective masquée pour pouvoir envisager le Nouveau monde.
Arrêtons-nous sur un élément, apparemment bien léger qui fournit un exemple dans ce contexte.
La communication et les médias tiennent une place importante en temps de crise, a fortiori de confinement.
Seulement, notre société est habituée à saisir le réel par l’image.
Mais, dans le contexte présent, il n’y a pas d’image de corps et les corps sont sans image. Il ne reste plus que la parole. Seulement, elle est cacophonique quand les experts divergent et insuffisante quand c’est la parole présidentielle et qu’elle semble accompagner le cours de l’eau, là où on attend d’elle qu’elle fasse barrage.
Nous sortons de l’épisode des “gilets jaunes” et ses images “non nettoyées”, c’est-à-dire qui ne sont pas accompagnées d’une intention explicative. des images brutes. C’est similaire à une information sans journaliste, sans médiation.
Ces images non nettoyées nous ont livré l’inquiétude de ne pas voir de sortie à cette crise. Le magma, que forme cette éruption d’un inconscient collectif qui passe à l’acte hors de toute maîtrise, peut s’épandre sur une société médusée qui ne sait plus à quels repères se raccrocher.
Actuellement, c’est autre chose. L’image est impuissante, par manque d’objet, à rendre compte de la tragique réalité. Un sujet sans objet pour le représenter. N’est-ce pas signe d’une situation où le subjectif est aussi important que la réalité, tendant à faire disparaître les corps derrière des perceptions émotives.
Ce manque de concrétisation dans des images n’est pas pour rien, probablement, dans l’indiscipline encore constatée face au devoir du confinement.
Sans doute, c’est le symbolique de la fréquentation de la mort qui finira par faire partager un sentiment commun.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste