En janvier dernier, après trois ans de rumeurs et de reports, Donald Trump a dévoilé son plan de paix pour le Moyen-Orient. Mais pour Léo Keller, fondateur du blog de géopolitique Blogazoi, ce plan est caduc. Il nous explique pourquoi.
Les raisons consubstantielles de la caducité de ce plan
Une ambition irraisonnable
Ce plan est caduc dans sa vision, dans son énoncé, dans son phrasé. Son intitulé exact, dû probablement à l’inflation des egos de Trump, de Netanyahu, et de l’apprenti diplomate Jared Kushner est : « Vision for Peace, Prosperity, and a Brighter Future for Israël and the Palestinian People ». La démesure de cet intitulé montre que ses architectes semblent situer le conflit quelque part entre le Luxembourg et la Suisse. Le lecteur nous permettra de citer – expressis vernis -une définition de ce que peut-être la paix telle que définie dans son livre – en tout point remarquable – par Philippe Moreau Defarges : « La paix entre les hommes, entre les sociétés ne peut être et ne sera jamais un ordre pour toujours harmonieux, un jardin d’Éden. Les paix historiques prennent acte d’équilibres (ou plutôt de déséquilibres) nécessairement précaires entre des entités politiques. Ces paix ne sont pas justes et ne visent pas à l’être, elles ne donnent que ce qu’elles peuvent donner : un apaisement aussi durable que possible. Combien de peuples, broyés par des années de guerre, ne conservent plus qu’une modeste et vitale espérance : se réveiller avec les bruits « normaux » du quotidien, circuler sans redouter d’être blessé ou tué, conduire ses enfants à l’école… La paix est d’abord et demeure une trêve entre deux guerres.»1
L’on ajoutera utilement qu’Amos Oz, pourtant éminent avocat de la cause de la Paix, pensait qu’il était illusoire de dessiner un avenir brillant entre les deux protagonistes après tant d’années de haine. Un simple rapprochement serait déjà une victoire.
Quant à l’historien israélien Jacob Talmon, il écrivit il y a plus de 40 ans que la séparation était le meilleur moyen de pacifier leurs relations.
L’ambition même de ce plan fertilise donc le terreau de son échec.
Les mirages nourrissent les fantasmes et leurs attentes et exacerbent obligatoirement les échecs.
Un plan over-sided
Il faut être deux pour jouer au ping-pong. Ce vieux proverbe polonais montre que l’intitulé même du plan montre à l’envi qu’il répond au désir obsidional de Netanyahu, et qu’il fait l’impasse totale des impératifs palestiniens.
En effet le titre même du plan parle d’Israël, donc d’un État mais mentionne seulement un peuple palestinien. La différence n’est pas que sémantique. La Weltanschauung du plan pour employer un langage clausewitzien, ou pour le dire autrement son architectonie, repose sur l’idée centrale que tous les autres plans ayant échoué, il fallait inventer une autre approche. La plus disruptive étant, chez Trump par définition, la meilleure. Et cette approche ne pouvait être basée que sur la réalité du rapport des forces dans la région. En soi, cette idée est loin d’être sotte, mais elle repose sur trois présupposés à tout le moins contestables.
- Aucun rapport de force n’est éternel. Et en l’occurrence l’écrasante supériorité israélienne se fonde sur une non moins écrasante supériorité du savoir israélien, de la technologie israélienne, de l’excellence de ses universités et pour finir de sa démocratie la plus achevée du Moyen-Orient malgré les coups de boutoir que lui assène Netanyahu. Or les Arabes commencent à se doter, eux aussi, d’annexes des plus brillantes universités.
- Les rapports de force sont par définition labiles. Comme les êtres humains, ils naissent, évoluent et meurent. Un rapport de force n’est pas une assurance-vie immuable.
- Enfin, c’est précisément ce rapport de force, qui a nourri, étançonné l’hubris israélien, anesthésiant- depuis le départ d’Ehud Olmert- toute tentative sérieuse, Israël se sentant désormais à l’abri des menaces. Et c’est parallèlement l’infériorité rémanente de l’Autorité Palestinienne qui a bloqué toute tentative de compromis de cette même Autorité.
Nous ne pouvons qu’adresser à Benjamin Netanyahu cette analyse de Thucydide toujours aussi limpide : « C’est ainsi que, tout à l’heureuse fortune qui était alors la leur, les Athéniens entendaient ne plus rencontrer aucun obstacle. La faute en était aux succès imprévisibles qu’ils connaissaient dans tant de cas et qui prêtaient de la force à leurs espérances. »2
Il est tout sauf sûr que Donald Trump ait même entendu parler de Thucydide ; quant à l’apprenti diplomate, aussi appelé la voix de son maître, tant sa flagornerie dépasse toutes les bornes, il a d’autres chimères à caresser.
Si l’on se donne la peine d’étudier les cartes fournies par les Américains, l’on s’aperçoit instantanément qu’il y a, pour employer un langage moderne, un bug qui fera sauter le logiciel de ce plan de paix.
L’État palestinien sera complètement encerclé, enclavé par la géographie israélienne, elle-même encalminée par l’histoire israélienne.
Certes et nous sommes les premiers à le reconnaître, tout dans l’expérience palestinienne a montré que l’obsession israélienne – quasi ontologique – de sécurité, est plus que justifiée. Pour autant, la bellicosité palestinienne est devenue au fil des défaites et du temps moins prégnante, moins stratégique. Il n’empêche. Les mentalités évoluent. Il n’empêche. L’Histoire nous apprend que – certes pas toujours mais bien souvent – les enclaves nourrissent davantage la lave des conflits qu’elles ne les éteignent.
À regarder attentivement une carte, l’on voit tout de suite que les enclaves palestiniennes même reliées artificiellement par des autoroutes ou des tunnels n’ont pas de frontières autres qu’israéliennes. Même les trois poches – désertiques situées face à Gaza – n’ont de frontières ni avec la mer ni avec l’Égypte. Il en va de même en Cisjordanie où la frontière orientale avec la Jordanie est israélienne.
On trouve au moins six blocs palestiniens sans véritable continuité et une quinzaine de colonies israéliennes qui sont autant d’enclaves. On sait ce qu’il advint de Dantzig, de Berlin et des accords d’Indochine en 1954 connus comme les accords en peau de léopard.
Ce plan ampute par un trait de plume 30 % de la Cisjordanie et les rattache à Israël.
Les Palestiniens jouiront d’une souveraineté centrée autour des grandes villes telles que Hébron, Jenine, Naplouse, Ramallah, Jéricho, Bethléem. Cela s’appelle une conurbation mais cela a peu à voir avec un État. La carte est également dessinée de telle sorte que même des avant-postes excentrés, et illégaux selon la loi israélienne, conservent la souveraineté israélienne.
En outre Il n’y a pas de véritable point d’entrée dans les ports ou aéroports. Le plan prévoit un rattachement politique des populations vivant actuellement dans le triangle tel que défini par la carte du tweet de Trump, à la Palestine en Cisjordanie. De deux choses l’une ou cela créera un conflit de loyauté, ou alors un imbroglio en leur faisant perdre une nationalité. Le syndrome de Dantzig devrait pourtant se rappeler aux négociateurs.
Certes l’on ne voit personne, au Moyen-Orient, mourir pour Dantzig. Nous prions instamment et humblement messieurs les négociateurs de ne pas répéter les erreurs des traités inégaux de Shimoda et Shimonoseki. C’est l’erreur monumentale signalée par Tamir Pardo l’ancien chef du Mossad. Il se préoccupe plus de sécurité que de lecture de la Bible.
« The plan itself may not be very feasible, but it does contain two dangerous precedents that cannot be overlooked. The first one, a striking combination of foolishness and risk, is the possibility of a land swap in the triangle region with its 250,000 Israeli Arab citizens. How are Israeli Arabs to understand this idea? For decades, Israel’s Arabs have taken part in the life of the country and proven their loyalty, even during periods of crisis. Of course, stray weeds grow in every society – Arab as well as Jewish. But how should a young person in the triangle region react when he is compelled to choose where his loyalties lie: to Israel, where he was born and raised, and where he sees his future and that of his children, or to a Palestinian entity to which Israel seeks to transfer him. Creating this dilemma is not only immoral. It is patently irresponsible. We must correct this error forthwith in order to prevent irreversible damage to Israel’s security. »3
À ce stade ne mentionnons, encore même pas, l’épineuse question de Jérusalem.
Cette partition géographique qui ne ressemble en rien à une symphonie pêche à deux niveaux. Qu’on le veuille ou non, les autoroutes véritables pipelines dépendront du bon vouloir israélien et/ou américain ; l’on se souviendra des couloirs reliant Berlin-Ouest à la République Fédérale d’Allemagne.
En outre elles nourriront le ressentiment palestinien.
Ce plan pêche aussi par un excès de néo-libéralisme.
Croire que l’on viendra à bout des humiliations palestiniennes résultantes de leurs propres échecs et des actions israéliennes, par d’hypothétiques pluies de dollars relève au mieux de l’ignorance de la nature humaine, au pire de la malhonnêteté intellectuelle. Même la Chine, rendue exsangue par sa famine mettait un point d’honneur à ne pas dépendre de l’étranger.
Mais l’histoire regorge de ces dirigeants ignorants. Les noirs bénéficiaient d’un niveau de vie en Afrique du Sud supérieur à celui des autres pays de la région ; cela ne les a pas empêché de choisir la dignité.
Netanyahu se voulait le chantre du développement économique des Palestiniens pour diminuer l’intensité de leurs revendications nationales. Que l’on sache, cela n’a en rien modifié leurs aspirations légitimes. Il est vrai que Netanyahu étant par ailleurs, porté lui-même sur les avantages financiers personnels, son tropisme est compréhensible. Mais imagine-t-il une seule seconde que les immigrants juifs eussent préféré le confort qui de Paris, qui de Rome, qui de Londres, qui de New York, aux retrouvailles avec le pays de leurs ancêtres.
Il eût suffi à nos trois ingénieurs « es règlement de paix » d’avoir lu Raymond Aron qu’ils eussent compris l’inanité infantile de l’idée collatérale des 50 milliards de dollars d’aide aux Palestiniens. « Ceux qui croient que les peuples suivront leurs intérêts plutôt que leurs passions n’ont rien compris au XXe siècle. »
L’humiliation
Après la proportionnalité des mesures, positions, incitations ou restrictions, ce qui pose problème c’est la temporalité ou plutôt la conditionnalité. Pour obtenir la reconnaissance de l’État palestinien, les Palestiniens devront respecter un certain nombre de conditions durant quatre ans. Une véritable mise à l’épreuve. Un contrôle continu en quelque sorte !
Certes, certaines de ces conditions sont frappées au coin du bon sens. Ce sont d’ailleurs des conditions qui existaient déjà auparavant dans tous les plans. Que les Palestiniens les aient dans le passé bien souvent ignorées, voire systématiquement foulées aux pieds pose problème. Mais décalquer le passé est contre-productif. Et il est tout aussi vrai que Mahmoud Abbas avait auparavant accepté – officieusement – ces conditions. Il n’y aurait pas eu de coopération sécuritaire avec Israël sinon. Coopération qui est un vrai bénéfice pour Israël. La manifestation la plus étincelante de cette coopération et de la « reconnaissance » d’Israël par l’Autorité Palestinienne est la quasi guerre de celle-ci avec le Hamas. Ainsi il nous semble que renoncer au terrorisme, reconnaître Israël, renoncer officieusement au droit des réfugiés constituaient des éléments qui méritaient une réponse forte et appropriée d’Israël.
Ce plan mentionne également que les programmes scolaires abandonnent l’enseignement de la haine. Que l’on sache ceux-ci n’ont pas totalement disparu des programmes scolaires jordaniens ou égyptiens quand bien même l’enseignement de la Shoah figure dans leurs programmes scolaires.
Il est par ailleurs difficile de comprendre comment un État émasculé militairement–ce qui nous semble par ailleurs une clause parfaitement normale dans le contexte actuel, pourrait réussir à éradiquer pendant quatre ans toute manifestation terroriste alors qu’Israël qui bénéficie–fort heureusement–d’une écrasante supériorité militaire n’y arrive pas lui-même. Les activités terroristes du Hamas, éternel et difficilement réductible adversaire rentreront-t-elles en ligne de compte ? Quel sera le seuil de déclenchement qui remettra en cause la création de l’État Palestinien ?
Enfin il est difficile sur le plan de la logique pure d’admettre qu’un protagoniste puisse être à la fois juge et partie puisqu’au terme de l’accord c’est Israël qui décidera si l’accord est respecté.
Humilier, humilier, il en restera toujours quelque chose. Cette conditionnalité porte en elle la caducité de ce plan. Parallèlement à cette conditionnalité israélienne, ce plan pâtit d’un autre défaut. C’est le chantage exercé par les Américains. Ceux-ci disent en effet que si les Palestiniens le refusent, les USA soutiendront une annexion pure et simple par Israël.
Relisons Dominique Moïsi: « …Trop de peurs, trop d’humiliations, pas assez d’espoir c’est la plus dangereuse de toutes les combinaisons possibles, celle qui mènerait à la plus grande instabilité à la plus forte tension… »4
En outre le plan ne mentionne rien quant à un refus, certes hypothétique voire improbable et qui résulterait d’une attitude jusqu’au-boutiste de l’ultra droite israélienne. Encore que ! Il y a là une asymétrie qui ne peut que nourrir l’humiliation palestinienne. Et pour être sûr que le message passe correctement le duo Trump-Kushner proclame urbi et orbi : « Après 70 ans, ce pourrait être la dernière occasion (que les palestiniens) aient. » Décidément ce plan ressemble à l’air du catalogue des camouflets.
Il est vrai que Trump n’en est pas une vantardise près dans ce dossier comme dans tant d’autres. « Tout le monde a essayé et a échoué misérablement » « mais je n’ai pas été élu pour me tenir à l’écart des grandes difficultés. » Visiblement satisfait par ce genre de saillies, le Président Trump de continuer dans l’humiliation inutile et forcément contre-productive. « Il est temps pour le monde musulman de réparer l’erreur commise en 1948 quand il a décidé d’attaquer Israël et de reconnaître Israël. Il est grand temps de mettre fin à ce triste chapitre. » Trump a même commis le lapsus jusqu’à qualifier David Friedmann de « Your Ambassador ».5
Sauf à faire face à un adversaire définitivement abattu et dont la défaite est actée, c’est le meilleur moyen d’encourager les conflits ultérieurs. Mais ni l’Autorité Palestinienne, ni le Hamas, ni le Hezbollah toujours menaçants n’ont été comme le définit Clausewitz « niederwerfen » c’est-à-dire abattus définitivement. Israël quant à lui n’a – peu importent les raisons – pas les moyens d’imposer aussi un règlement de paix. Mais énoncer les propos de Trump dans un cadre académique n’est en rien choquant ; le claironner à la rue arabe l’est. En outre c’est totalement contre – productif – quand bien même Jared Kushner prend la précaution de dire tout n’est pas fixé.
Certes ne pas reconnaître cette immense et stupide erreur palestinienne du passé serait faux. Mais il est tout sauf sûr qu’Abba Ebban pourrait professer aujourd’hui sa fameuse sentence qui s’appliquerait aux seuls Arabes. En quoi les erreurs du passé ont-elles vocation à se répéter indéfiniment et à graver leurs inepties au marbre de l’ignorance apeurée et haineuse, sauf pour les ultras des deux camps. Une des leçons du passé est justement d’en réparer les erreurs.
Si le moindre doute subsistait quant à la faisabilité de ce plan, il suffirait de relire la déclaration officielle émanant du bureau du Premier ministre israélien. La réaction de Netanyahu en est à la fois la raison et la manifestation la plus éclatante. Le Premier ministre israélien explique les motifs de l’acceptation par Israël. Elle résume tout ce qui a été accordé à Israël et en creux les obligations et renoncements des Palestiniens. En outre on aura rarement vu la religion et la Bible revenir autant en force dans la région. Ne manquait plus que le Pape sur la photo ! Netanyahu a ainsi rappelé à Trump les six points qui l’avaient « amené à négocier avec les Palestiniens sur la base de votre plan ». « and the rest of your exceptional peace plan [team] Mr. President. For too long, far too long, the very heart of the Land of Israel where our patriarchs prayed, our prophets preached and our kings ruled has been outrageously branded as illegally occupied territory. Well today Mr. President, you are puncturing this big lie. You are recognizing Israel’s sovereignty over all of the Jewish communities in Judea and Samaria, large and small alike.»
L’on a alors droit à un cours d’instruction religieuse ! « These, as the distinguished pastors who are here know very well, these are places inscribed in the pages of the Bible.»
« Mr. President, because of this historic recognition, and because I believe your peace plan strikes the right balance where other plans have failed, I have agreed to negotiate peace with the Palestinians on the basis of your peace plan.
First, it addresses the root cause of the conflict by insisting that the Palestinians will finally have to recognize Israel as the Jewish state.
Second, it stipulates that Israel will retain security control in the entire area west of the Jordan River, thereby giving Israel a permanent eastern border. A permanent eastern border to defend ourselves across our longest border. This is something that we have longed to have and we now have such a recognized boundary.
Third, your plan calls for Hamas to be disarmed and for Gaza to be demilitarized.
Fourth, it makes clear that the Palestinian refugee problem must be solved outside the State of Israel. »
Le lecteur nous pardonnera d’interrompre à ce stade, la litanie des autosatisfactions du Premier ministre israélien, à cet endroit précis. Que M. Netanyahu croie à ce qu’il fanfaronne prête à interprétation. Et à la limite cela ne revêt qu’une importance limitée sauf pour les aficionados des colonies ou de Palestiniens encalminés dans un refus de dialogue car mus par une haine inextinguible. En outre inspirons-nous en la matière – certes partiellement – de la «Théorie des Apparences ». « It is not merely of some importance but it is fundamental importance that justice should not only be done, but should manifestly and undoubtedly be seen to be done. »
Nous espérons – mais nous n’en sommes pas sûrs, – qu’il en rit sous cape. Dans le cas contraire, lui et ses acolytes, mériteraient en plus d’être taxés d’incompétents. Ce qui serait pire que tout. Pour autant en géopolitique ce qui compte, ce sont au moins autant les représentations, les espoirs et ressentiments qui en découlent que la réalité.
En ce qui concerne le problème des réfugiés palestiniens, notons d’abord qu’il est finalement peu relevant de constater que certes, pour nombre d’entre eux, être réfugié est devenu, un statut voire un privilège permettant de recevoir considérations, apitoiement et subsides.
Mais au fond, peu importe la qualification de leur statut d’autant plus que c’est la qualification admise par la très grande majorité de la « communauté » mondiale et de l’ONU et que c’est le terme employé par un institut aussi prestigieux que l’INSS israélien (Institut national d’études stratégiques). Quant au fond du problème et au risque de nous répéter, il est à la fois parfaitement logique et raisonnable qu’Israël n’accepte le retour d’aucun réfugié palestinien en Israel, même ceux encore en vie.
Logique car l’on ne peut réclamer la création d’un État palestinien et en même temps envoyer des Palestiniens – ceux qui ont donc vocation à être les nationaux de ce même Etat – en Israël. Ce serait quelque part l’équivalent d’une cinquième colonne, si tant est que ce terme ait jamais eu un sens. Pour autant les crises intervenues dans les Balkans après l’implosion de la Yougoslavie constituent des leçons que l’on ne saurait ignorer. Raisonnable car ce serait en bonne dialectique hégélienne planter la graine d’un conflit ultérieur obligatoire.
En cela, nous nous opposons humblement à la position de Shlomo Ben Ami, ancien et brillantissime ministre des Affaires étrangères d’Israël et qui déclarait quant à lui en accepter le principe. Pour autant, que le lecteur veuille bien se donner la peine de lire ce recueil de platitudes que nous ingurgitons comme document officiel. Le lecteur lira donc avec stupéfaction dans le texte officiel délivré par la Maison-Blanche au paragraphe General Framework page 32 : « The Israeli-Palestinian Peace Agreement shall provide for a complete end and release of any and all claims relating to refugee or immigration status. There shall be no right of return by, or absorption of, any Palestinian refugee into the State of Israel. »
« This plan envisions three options for Palestinian refugees seeking a permanent place of residence:
- Absorption into the State of Palestine (subject to the limitations provided below);
- Local integration in current host countries (subject to those countries consent); or
- The acceptance of 5,000 refugees each year, for up to ten years (50,000 total refugees), in individual Organization of Islamic Cooperation member countries who agree to participate in Palestinian refugee resettlement (subject to those individual countries’ agreement). »
« It must be stressed that many Palestinian refugees in the Middle East come from war torn countries, such as Syria and Lebanon that are extremely hostile toward the State of Israel. To address this concern, a committee of Israelis and Palestinians will be formed to address this issue and to resolve outstanding disputes over the entry in the State of Palestine of Palestinian refugees from any location. The rights of Palestinian refugees to immigrate to the State of Palestine shall be limited in accordance with agreed security arrangements.»
Comme l’État de Palestine sera nécessairement – et disons-le à juste titre – un État démilitarisé, l’on ne voit pas en quoi la population d’un État émasculé serait un danger.
L’on ne voit pas non plus, de quel droit l’État d’Israël s’arrogerait le droit de limiter le retour des réfugiés, non pas en Israël, mais dans le futur État de Palestine.
Comment peut-on penser et espérer que des Palestiniens acceptent l’humiliation d’une démographie handicapée, mutilée, sans espoir ? Selon quels critères les « parties concernées » sélectionneraient-elles les heureux élus ?
Ce document n’en est pas une contradiction près. Il mentionne le fait que d’autres Etats puissent aussi refuser d’accueillir les réfugiés. Il faudra donc bien tout de même qu’ils puissent vivre quelque part. Ce point rappelle, hélas si tristement, la conférence d’Évian qui condamna – certes indirectement – tant de juifs à la déportation finale.
Mais le point le plus absurde sous-tend que ces Palestiniens pourraient s’installer en Jordanie. Cette dernière, et le document le reconnaît, en accepta déjà une quantité impressionnante. Elle constitue aujourd’hui une minorité conséquente. Si la Jordanie – rappelons le non démilitarisée est certes soutenue par Israël sur le plan militaire – devait en absorber massivement, elle deviendrait palestinienne. Ce serait pour Israël une menace stratégique aux conséquences incalculables.
« Fifth, it calls for our ancient capital of Jerusalem to remain united under Israel’s sovereignty. And of course it ensures that religious sites remain accessible to all faiths and it retains the status quo on the Temple Mount.
Sixth, your plan does not uproot anyone from their homes, Israelis and Palestinians alike. Instead, it proposes innovative solutions whereby Israelis will be connected to Israel and whereby Palestinians will also be connected to one another. It helps when you have these real estate people. They can come up with things that normal human beings don’t think about. And they have… »
Ce sixième point semble à tout le moins confus.
« And if they agree to abide by all the conditions that you have put forward in your plan, Israel will be there. Israel will be prepared to negotiate peace right away.» « Mr. President, I want to congratulate your fantastic team…» Ce n’est surement pas l’opinion de tous les Secrétaires, ministres, généraux et haut-fonctionnaires virés ou démissionnaires ! S’ensuit un passage de flagornerie anthologize ! « There is no other word. Your fantastic peace team for all their work. Jason Greenblatt, thank you Jason for the terrific job you did as America’s peace envoy for nearly three years. Ambassador David Friedman, thank you David. Thank you for your essential contribution to this effort and for the terrific job you do every day to strengthen the great alliance between Israel and America.» Comment peut-on espérer que les Palestiniens se sentent en confiance devant un tel étalage ?
« And Jared Kushner, without your wisdom, your persistence and your resolve, this day would have never come. I know how much the Jewish future means to you and to your family. Well Jared, today you have helped secure that future. The Jewish state owes you, and it owes President Trump, an eternal debt of gratitude. Mr. President, your deal of the century is the opportunity of the century. And rest assured, Israel will not miss this opportunity. »5
L’observateur attentif des relations internationales ne pourra s’empêcher de comparer les conditions énumérées et mises en exergue par Netanyahu avec les quatre points de la doctrine Nixon-Kissinger tels qu’énoncés à Guam le 25 Juillet 1969 :
- Réalisme : admettre que l’autre existe c’est-à-dire prendre en considération ses intérêts.
- Carotte et bâton. L’on distingue ici très nettement le bâton ; la carotte est tellement lointaine, réduite à la portion congrue et hypothétique.
- Le linkage. Ce plan aurait pu y penser avec des avancées intermédiaires.
Mais surtout la retenue. Kissinger prenait bien soin d’éviter de prendre l’avantage afin de permettre à l’autre de ne pas perdre la face, et de retirer lui aussi un avantage substantiel.
Tout règlement repose sur une insatisfaction égale des parties. C’est la condition de sa réussite. Or ici non seulement on ne distingue l’insatisfaction que d’un côté, mais le sourire de Netanyahu en dit long, trop long. Comment espérer convaincre les Palestiniens de composer si tous les dés sont pipés d’avance. La seule erreur de Bismarck fût de faire couronner l’Empereur Guillaume 1er dans la Galerie des Glaces à Versailles. L’on ne voit pas ce que cette humiliation apporta à l’Allemagne. Il en va de même ici.
Soyons clair, depuis la guerre du Kippour et les Traités de Paix avec l’Égypte et la Jordanie qui en furent la conséquence logique, depuis les Printemps Arabe, il n’y a plus de menace stratégique pour Israël. La guerre stratégique ne tonne pas en Israël. Ce qui ne signifie ni absence de conflits ni de morts. Les conflictualités de basse ou moyenne intensité ne disparaitront pas par un coup de baguette magique. Ce plan se serait-il contenté de suivre la pensée Kissingerienne : « La détente consiste à mitiger les conflits entre adversaires et non pas à cultiver une amitié entre eux », 12 il eût, dans le climat délétère de méfiance qui s’est instauré depuis quelques années, trouvé un écho et un accueil plus favorables, plus responsables.
Mais la très grande erreur de ce plan est d’avoir privilégié la pente idéologique et biblique israélienne au détriment de la seule sécurité qui devrait être le seul critère.
Kissinger confia ainsi à Gromyko en mai 73 : « Il ne peut y avoir de paix au Moyen-Orient car une des deux parties, Israël, est cynique, et l’autre est hystérique. » Ce jugement, à de rares parenthèses près, demeure valable. Mais ne chausse pas qui veut les bottes de Kissinger.
Léo Keller
Directeur du blog de géopolitique Blogazoi
Professeur à Kedge Business School