Les femmes ont désormais le droit de se baigner topless dans les piscines municipales de Barcelone. De quoi faire évoluer les mentalités quant à la sexualisation du corps des femmes ? Réaction de Laurence Taillade, Présidente de Forces Laïques.
« Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées. » Le Tartuffe, Molière
Depuis quelques jours, Barcelone autorise les femmes à se baigner seins nus dans les piscines municipales.
Cette nouveauté fait suite à plusieurs années de militantisme féministe dans la perspective de reconnaître une égalité entre hommes et femmes, puisque seules les femmes se voyaient l’obligation de porter un haut.
Cet événement prend toute sa dimension en comparaison aux troubles récurrents que vit notre pays au rythme des actions de prétendue « désobéissance civile » organisées par des associations défendant le port du burquini.
D’un côté, un progrès qui permet de tendre vers une désexualisation du corps des femmes et mène à la fin d’une discrimination sexiste.
De l’autre, une régression avec l’autorisation que certaines municipalités françaises accordent pour le port de ce vêtement de bain. Parce qu’il n’est destiné qu’aux femmes, il est bien un marqueur sexiste.
Le plus étonnant est que la France soit visée par ces attaques, alors même qu’elle est le premier pays où les femmes ont pratiqué le topless, en 1964.
C’était alors un acte de libération du corps de la femme et d’affirmation de sa liberté sexuelle.
Or, aujourd’hui, les mentalités ont changé. Le port du haut est à nouveau devenu la norme. Selon le sondage Ifop du 15 avril 2019, réalisé pour le magazine Healthy, seulement 22 % des Françaises disent exposer leur poitrine – elles étaient 43 % au milieu des années 1980 – alors que les Allemandes sont 34 % et les Espagnoles 48 %. La raison invoquée, chez les plus jeunes, loin d’être la prévention des risques de cancer, est la sécurité, la crainte d’attiser le désir des hommes, la peur d’être agressée sexuellement, insultée.
On voit poindre, chez la jeunesse française, un rapport au corps beaucoup moins épanoui, décontracté que chez les personnes plus âgées qui peut s’expliquer tant par les canons de beauté imposés par les images photoshopées des magazines que par une société devenant pudibonde au point de ne plus supporter la nudité des autres.
Il faut rappeler les résultats d’une étude menée en juin par Ipsos sur les croyances des Français par rapport au viol, pour l’association Mémoire traumatique. Il montre que certains clichés ont la vie dure et concernent encore de nombreuses personnes. Ainsi, 42 % des sondés pensent qu’en cas de viol, la responsabilité du violeur est atténuée si la victime a eu une « attitude provocante ». Et 30 % pensent même que s’il n’y a pas de réaction de la part de la victime, « ce n’est pas une violence sexuelle ». Et ces chiffres sont en augmentation.
Ainsi, la femme qui se dénude serait responsable en cas d’agression… Voilà qui n’est pas sans rappeler des préceptes anciens, et parfois repris en boucle encore chez certains. De Paul de Tarse, dans l’épitre aux Corinthiens, à Hani Ramadan, qui compare la femme non voilée à une pièce de deux euros – elle pourrait, selon lui, passer de mains en mains – la pudeur est bien de mise, chez les orthodoxes religieux.
Le retour de ce radicalisme de la pensée retire à la femme toute autre existence que celle à laquelle son corps la destine : servir l’homme, ses fantasmes et porter sa progéniture.
Pour ces pervers, la femme serait dotée d’attributs dont la seule fonction serait de séduire et de pousser l’homme, faible dans sa chair, à la faute. L’humanité ne semble pas avoir beaucoup progressé depuis l’invention de la genèse. Elle serait même sur une pente régressive, si l’on se réfère à la civilisation minoenne, en Crête, qui avait mis les seins à l’honneur, 1 500 ans avant notre ère. Il en était de même avec la Grèce et l’Egypte, qui fut, au passage, l’une des plus égalitaires en termes de droits de toute l’histoire de l’humanité.
Le rapport ontologique de la femme à son corps semble être gommé au profit d’une appropriation par la société de ce qu’il doit être plutôt que ce qu’il est.
Le contrôle social est tellement puissant que les femmes, à l’âge adulte, se plient à la violence de son regard. Si la femme est dépossédée de l’accès à son corps, elle est donc dépossédée d’une part de ce qui fait la vie. Le corps est un véhicule aussi de l’âme comme source d’expérimentation par les sens. Si le corps se couvre, se coupe du vivant, si l’altérité n’existe plus, comment être, se définir, si ce qui le permet, la confrontation et le lien à l’autre, n’est plus possible ?
On voit bien que cette incursion sociale dans l’inconscient collectif pèse sur les femmes, en France, au point que les agressions se multiplient, dans la rue, les transports en commun, où 100 % des femmes ont été victimes au moins une fois d’une situation de harcèlement sexuel.
C’est cette utilisation du corps comme marchandise, outil marketing bon pour vendre toute chose, du yaourt au parfum pour homme, qui a été, d’ailleurs, relevée par le CSA. Les femmes sont principalement assignées à des rôles de potiches secondaires et d’objets sexuels.
Il est temps que la France se réveille. Les Françaises n’ont pas à être relayées au statut de poupées gonflables, rôle que certains esprits pervers aimeraient bien leur faire endosser, essentiellement pour les déculpabiliser de leurs pensées malsaines. Il est temps que notre société grandisse et s’élève moralement. Il est temps d’éduquer les petits Français et de leur faire comprendre le principe d’égalité femme-homme, dès le berceau. Cette tâche revient autant aux familles qu’à une école publique républicaine qui permet à chaque enfant de se détacher d’atavismes par la confrontation des idées et l’émergence d’une réflexion critique face aux traditions. Il est temps, aussi, que notre pays réaffirme le principe de laïcité qui garantit l’égalité des sexes par la mise à l’index des dogmes religieux.
Laurence Taillade
Présidente de Forces Laïques