Jusqu’à présent le djihadisme avait en France produit des victimes innocentes, nombreuses, trop nombreuses. Il vient de fabriquer un héros et un martyr.
Un pas avait été franchi le 26 juillet 2016 lorsque, pour la première fois dans notre pays depuis les guerres de Vendée, un prêtre avait été assassiné alors qu’il disait la messe à Saint Etienne du Rouvray. « Vas t’en Satan » furent les dernières paroles prononcées par le père Hamel, à l’attention de son bourreau, avant de succomber de dix-huit coups de couteau, égorgé à genoux devant le maître autel. C’était également le premier meurtre d’un prêtre perpétré par l’Etat islamique sur le territoire européen.
Le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame a fait plus que faire face. Il est allé volontairement, à mains nues, au-devant du danger pour le raisonner, le contenir, le désarmer. Comme autrefois l’un de nos grands serviteurs de l’Etat, le général Philippe Rondot, proposant de prendre la place des moines de Tibhirine, retenus prisonniers par le G.I.A. algérien, il s’est volontairement substitué aux otages détenus dans le super-marché de Trèbes par le terroriste islamiste. Face à l’aussi vaine que stupide monstruosité de l’hybris, il savait pertinemment que ses chances d’en revenir étaient quasi nulles.
A quoi pensait-il à ce moment précis ? Arnaud Beltrame, brillant officier de gendarmerie, était au plus profond de lui-même animé de deux passions pour lui indissociables : le service de la France et sa foi chrétienne. En ces temps où il est de bon ton de ramener les services publics et les fonctionnaires qui les assurent à des coûts et des charges qu’il convient de réduire, il nous a montré au plus haut point ce qui anime la plupart de ceux qui consacrent leur vie au service de l’Etat : le sens du devoir et la passion de servir leurs concitoyens.
Mais le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame dont le regard clair reflétait la droiture et la bienveillance, était aussi animé d’une foi chrétienne profonde qu’il ne pouvait dissocier de son amour de la France. Comme l’écrit le Père Jean Baptiste, chanoine régulier de l’abbaye de Lagrasse qui s’apprêtait à le marier religieusement et qui l’a accompagné jusqu’à la fin, il savait qu « ’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour les siens » (Evangile de Jésus Christ selon Saint Jean, 15, 13). En ce début de semaine sainte, on ne peut être que frappé par cette souffrance qu’il a volontairement endurée au profit des autres, à notre profit. Avait-il en tête, ce vendredi des Rameaux, le Christ sentant l’inéluctabilité de son sacrifice à l’approche de la Passion ? Ou, plus simplement, la croyance en le fait que son charisme, sa sérénité, sa tranquille assurance, reflet inversé de la fébrilité agressive de son vis-à-vis, permettrait de ramener à la raison un esprit faible et égaré ? Sa modestie a parlé par la bouche des siens : selon sa mère, il n’a probablement eu le sentiment, à cet instant, que de faire son métier. Entre le chevalier Bayard et Saint Martin de Tours, en plus d’être un héros, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame est un exemple. Ce vendredi 23 mars 2018 est une date importante dont on ne mesure sans doute pas encore aujourd’hui toute la portée.
Alain Meininger
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