En 1965, Oskar Morgenstern proposa un article scientifique qui semble prendre un demi-siècle plus tard un intérêt particulier. Cette publication sous le titre ‘La compressibilité des organisations et des systèmes économiques’ est une réflexion sur la compression possible des systèmes sans effondrement total (collapse). Elle porte sur les ressources utilisées pour les performances non essentielles qui peuvent être coupées (ex. perdues lors d’une guerre) ou peuvent, au moins en partie, être utilisées pour accroître le noyau interne du système, c’est-à-dire pour sécuriser un plus grand nombre de fonctions fondamentales existantes ou même nouvelles.
Ces questions trouvent une application directe dans divers domaines. Le problème se pose par exemple de savoir comment amputer une économie de paix pour la transformer en une économie de guerre.
On mesure l’intérêt de réveiller ce débat alors que l’expression publique mainstream regorge de la référence à une ‘économie de guerre’ qui serait autant d’actualité que de vacuité dans l’explication de ce qu’elle recouvrirait.
À l’évidence, impératif climatique, risques pandémiques, crise de l’énergie et guerre en Europe nécessitent d’interroger la fragilité de nos systèmes tant sur leur présentification discursive que dans l’appréhension des réactions comportementales dans la société que le politique enserre de moins en moins.
À mots feutrés versus en haussement du ton dans l’expression publique, la question du sens, de l’adaptation de nos sociétés renvoient à des doutes sur les capacités de transformations nécessaires alors que l’apparente plasticité masque difficilement la rigidité de l’organisation contemporaine.
Il n’est pas trivial de s’interroger sur la faculté d’adaptation qui fait la première protection de la vie.
Quelle est la vulnérabilité de nos systèmes d’organisation et où faut-il placer les défenses ? Quelle croissance peut être obtenue en élaguant les performances, les services non essentiels du système ou ses excès de l’anthropocène ?
Les ruses de l’Histoire font que des signaux faibles révèlent le pot aux roses. Ainsi la réforme des retraites, outre son caractère injuste qui se voit dénoncé, apparaît effectivement comme déplacée dans sa temporalité.
Et ce tout simplement parce que l’on ne percute pas l’imaginaire du futur de chacun et du collectif quand c’est l’incertain et la crainte qui l’habillent.
C’est, en effet, très décalé alors que dominent les problèmes de défense et de protection, de souveraineté énergétique et de fragilité, de questions des communs mis en cause comme l’eau sur fond d’injonction climatique et de précarité démocratique.
Les enjeux sont imposants et les occasions seront parfois apparemment insignifiantes pour les traduire, de la plus bénigne – la disparition du timbre rouge, ou aux formes de symboles, la récente ‘crise du pain’ demain l’agitation autour du livret A pour financer les nouveaux EPR.
Et si l’on voulait admettre que ces déclarations sur l’économie de guerre n’étaient pas seulement un élément de langage mais à tout le moins prémonitoires voire préparatrices de l’opinion, le risque démocratique et de cohésion sociale imposeraient que s’installe un large débat public et politique. Les élections européennes à venir semblent bien s’y prêter.
Pierre Larrouy
À paraître le 3 mars, ‘Le Cabinet Noir’ (Entremises éditions).