Deux trilogies romanesques l’ont rendu célèbre : Le Culte du moi et Le Roman de l’énergie nationale. La première lui valut le surnom de « Prince de la jeunesse ». Et son influence fut grande sur ses cadets : Aragon, Malraux, Mauriac, Montherlant, et d’autres.
Deux trilogies romanesques l’ont rendu célèbre : Le Culte du moi et Le Roman de l’énergie nationale. La première lui valut le surnom de « Prince de la jeunesse ». Et son influence fut grande sur ses cadets : Aragon, Malraux, Mauriac, Montherlant, et d’autres.
Pourtant, à 27 ans, en 1889, Barrès est élu député de Nancy, sous l’étiquette boulangiste. Dès lors, il partage sa carrière entre l’écriture et la politique. Après un répit électoral, de retour à la Chambre de 1906 jusqu’à sa mort, en décembre 1923, il est un élu très actif du premier arrondissement des Halles, à Paris. Tour à tour romancier, journaliste, député et même préfacier, éditorialiste, critique littéraire, pamphlétaire, propagandiste, Barrès prend diverses postures « auctoriales ». Ces différents rôles engendrent une production écrite et orale plurielle : articles de presse, discours, préfaces, romans, essais.
À la veille de la Première Guerre mondiale, en 1913, dix ans avant sa mort et un an avant le début de la guerre, Barrès est un parlementaire dont l’activité journalistique ne tarit pas.
L’année 1913 est de plus une année remarquable du point de vue de l’évolution idéologique de l’homme, au sens où Barrès tente de dépasser les clivages partisans susceptibles d’entraver ses combats pour la défense de la « civilisation française ». Il œuvre dès lors à son image médiatique en organisant la diffusion de ses textes (journalistiques, politiques ou littéraires) dont l’étude montre que la frontière entre chacun d’entre eux n’est, à vrai dire, jamais si nette.
Dans cette période resserrée, Barrès s’offre-t-il sous un jour nouveau. Ainsi, lorsqu’il rend hommage à un poète régionaliste, Charles de Pomairols, ou dans sa série d’articles sur Lamartine, dévoile-t-il une partie méconnue de lui-même aux lecteurs de L’Écho de Paris.
Un auteur à trois visages ?
Si la fidélité de Barrès à L’Écho de Paris est sans faille, — le nombre de ses articles (pas moins de vingt-et-un en une année) en témoigne ainsi que leur diversité —, l’écrivain académicien livre aussi régulièrement ses « papiers » au Gaulois, aux Annales ou encore à La Revue Française1 Plus occasionnellement, il donne un article2 à L’Intransigeant, ou encore au quotidien à gros tirage, Le Journal.
La variété des sujets abordés dans ces multiples organes de presse demeure un motif de curiosité et d’enseignement.
Barrès y traite en effet de littérature, de musique à l’occasion, de voyage notamment à travers sa fascination pour l’Espagne, mais aussi, et peut-être surtout, de politique, en particulier avec la question des églises de France, qui agite le pays depuis le vote de la loi de séparation des églises et de l’Etat, le 11 décembre 1905.
Pour le parlementaire, le combat en faveur d’un financement des lieux de cultes n’est manifestement pas clos.
Les écrits engagés du député expriment sa ténacité en la matière. C’est d’ailleurs, en février 1914, que paraît La Grande Pitié des églises de France. Cette œuvre polémique, fondée sur des faits attestés et une enquête3 méticuleuse, est l’aboutissement d’une campagne de presse habilement orchestrée.
Outre sa vaste production journalistique, Barrès continue de publier des œuvres littéraires à connotation personnelle mais faisant aussi appel à son expérience professionnelle.
La parution de La Colline inspirée en février 1913 confirme cette orientation littéraire :
Dans ce livre, […], j’ai combiné tout naturellement, sans effort, le fruit de ma vie de solitude en Lorraine et certaines réflexions que j’ai pu faire en suivant au Parlement la discussion des problèmes religieux.4
Même dans ses romans, Barrès s’engage.
L’emploi du verbe « combiner » indique la réflexion intellectuelle et le soin rigoureux que l’auteur porte à ses écrits. Il insiste sur l’imbrication de ses deux vies, fécondes, en tous points. De plus, quatre de ses œuvres sont réimprimées en cette période : Sous l’œil des Barbares et réunis en un volume Huit jours chez M. Renan, Trois stations de psychothérapie et Toute licence contre l’amour. Ce qui naturellement fait l’actualité de l’auteur et nourrit sa popularité auprès du public.
L’homme de lettres agit également comme préfacier5
d’un recueil de poésie de Charles de Pomairols, d’une biographie d’Elisabeth de Bavière6, la fameuse impératrice Sissi, puis d’un ouvrage intitulé, Un Français au Sénégal : Abel Jeandet7 et d’une Histoire de la Troisième République de Louis Hosotte8
Il entretient donc une carrière professionnelle en dehors de la Chambre et choisit souvent de divulguer, dans la presse, les préfaces qu’il écrit pour d’autres écrivains, offrant de lui une autre image. Celles-ci expriment-elles, d’ailleurs, un désir de se mettre en avant dans une sorte d’ « autopromotion » ou bien plutôt celui de promouvoir des auteurs confidentiels qui méritent, à ses yeux, une reconnaissance qui forcément passera par son intermédiaire ?
Il demeure enfin un parlementaire en action, mais pas nécessairement à la tribune9, puisqu’il ne prononce, en fait, cette année-là qu’un seul discours important à savoir le troisième discours des églises10
Un député peut-il faire entendre sa voix et, imprimer sa marque, sans s’exprimer régulièrement à la Chambre ? Barrès nous prouve que oui. Il lui faut certes déployer une stratégie de communication pour compenser ce défaut d’interventions au Parlement. L’activité intellectuelle de Barrès suit de très près l’actualité de l’époque qui est une source d’inspiration et de réflexion primordiale. Il semble animé par la volonté de faire partager les questions politiques au plus grand nombre. Grâce à sa collaboration dans plusieurs journaux, Barrès a cultivé sa stature de penseur.
D’aucuns ont pu lui reprocher à certains égards de délaisser la littérature. Quel écrivain Barrès était-il finalement, propagandiste ou romancier, ou les deux simultanément ? Quelles sont les préoccupations et les actions du député de Paris dans ce laps de temps que représente cette année emblématique ? Les ruptures et les continuités thématiques, stylistiques ou idéologiques dans l’ensemble de ses textes brosse un portrait inédit de Barrès.
Si Barrès est avant tout un écrivain estimé, académicien de surcroît, il se présente, également, comme parlementaire et comme journaliste. Lorsqu’il s’exprime à la tribune, au cours de ses mandats successifs, il livre très souvent le lendemain un article à la presse, qui reprend en substance le contenu des débats, accompagné de son commentaire. Il double ainsi, en l’enrichissant, le rôle et le contenu du Journal officiel. Il reprend, dans certains cas, cette matière parlementaire dans des œuvres d’envergure plus ambitieuse. D’où provient ce souci de « recycler » ses propres écrits et de se démultiplier ? Acte d’abnégation ou d’amour-propre ? Crainte de ne plus exister politiquement, et peut-être volonté de se ménager une reconversion possible, ou soutien sincère à des écrivains et à des œuvres injustement méconnues ?
Une typologie des écrits barrésiens montre que la posture dominante prise par Barrès, dans la presse, est celle du parlementaire11 car il profite, à juste titre, de sa légitimité d’élu de la République pour exposer ses opinions.
À la Chambre, il est un témoin privilégié, un observateur avisé de la vie politique de la nation, mais souvent tenté de se mettre en retrait.
Ce besoin de communiquer en dehors de l’hémicycle pourrait donc s’interpréter comme une réaction au fait qu’il y est idéologiquement minoritaire12
Barrès se présente en somme comme un parlementaire original. S’il exerce, en effet, sa fonction comme tous les députés lorsqu’il intervient à la Chambre ou qu’il prononce un discours à l’extérieur, en revanche il se distingue en prolongeant ses propos parlementaires dans la presse qui lui sert de relais auprès du peuple. Ce désir de laisser une trace écrite met en avant sa qualité d’homme de lettres. Il est devenu, de ce fait, un journaliste régulier par goût de l’écriture et par nécessité de faire entendre sa voix13
Un défenseur acharné du patrimoine religieux
C’est notamment à travers le thème de la sauvegarde du patrimoine que constituent les églises de France que s’illustrent le mieux le parlementaire et sa mission de vulgarisation de ses idées auprès d’un large public. Pour Barrès, c’est le combat véritable et presque exclusif de cette année-là. Car il projette la publication d’un pamphlet sur la question. Il planifie donc une campagne de presse, pour mobiliser les esprits sur le sujet, s’érigeant en porte-parole du Parlement dans la presse, pour la question des églises. Ainsi se forme une constellation d’articles de presse organisée autour du point d’orgue que constitue le troisième discours en faveur des églises, le 13 mars.
Deux articles le précèdent et en préparent la réception. Celui paru dans Le Gaulois du 15 février 191314 où le député se déclare optimiste (« Soyons optimistes »). Dans cet article, Barrès s’adresse à ses lecteurs15 comme s’il leur avait donné rendez-vous.
Attitude habile dont le but est de fidéliser son lectorat pour mieux le gagner à sa cause dont il est devenu expert. Le ton se veut d’ailleurs convivial et proche, même s’il dresse à travers son récit un bilan sérieux de sa lutte.
À la manière d’un guide ou d’un conseiller, tout de même assez péremptoire, il renvoie ses lecteurs à la lecture de la Revue de Paris du 1er février 1913 leur déclarant :
Ceux qui s’intéressent à cette passionnante question de notre architecture religieuse doivent lire, dans la Revue de Paris du 1er février, l’article que ce chef de service16 consacre à la Protection des églises. Ces pages de la plus solide documentation nous donnent le point de vue de l’administration, comme l’article de mon distingué collègue Fernand Engérand dans le Correspondant du 25 janvier dernier nous présente l’état législatif de la question. J’ai lu la Revue de Paris, la plume à la main. Je voudrais en dégager deux ou trois notions de la plus haute importance et qui, fournies par le chef d’un grand service officiel, détruiront les plus grandes objections que m’opposait la pression de mes adversaires.
Ne désarmant pas, il ouvre plusieurs fronts sur le même thème et ne ménage pas sa peine à L’Écho de Paris où il livre, tout au long de l’année, une argumentation mûrement méditée et renouvelée et essaie d’être toujours persuasif. Il se montre parfois plus alarmiste dans « Le Tableau des églises rurales qui s’effondrent17 », son second article précédant le discours du 13 mars, qui sera repris en « petite brochure de propagande » par l’éditeur Gigord, comme Barrès l’annonce, profitant de ce moyen de communication pour promouvoir, commercialement, son travail.
D’ici quelques jours, nous rouvrirons le débat [des églises] devant la Chambre. Et, pour appuyer des arguments, que nul d’ailleurs n’ose plus contester, pour fortifier un appel dont tout le monde, absolument tout le monde, sait bien aujourd’hui la trop pressante nécessité, je publie en petite brochure de propagande, le Tableau des églises rurales qui s’écroulent.
[En note de cet article, Barrès ajoute : ] « Une brochure a été éditée chez M. de Gigord, 15, rue Cassette, et aux bureaux de la Société historiographique, 6, rue Saint-Simon ».
Cet écrit de propagande18 qu’il a vocation à exercer une responsabilité sociale et historique. », Le Dictionnaire du littéraire, sous la direction de Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala, PUF, 2009.], comme le revendique Barrès, dont le titre rappelle l’enquête sociologique « Tableau de la France », et donc une volonté de décrire par l’image afin d’impressionner les esprits, exprime l’opposition du député avec les décisions du Parlement contre les églises. L’accroche de l’article illustre, à dessein, l’opinion du parlementaire devenu propagandiste : « Je ne me lasserai pas de dénoncer le crime d’un gouvernement qui laisse s’écrouler les églises de France et ne fait rien pour sauver la parure architecturale de notre terre, un trésor unique au monde ». Barrès ne craint pas de condamner les choix du ministère Briand en termes cinglants. Il poursuit dans ses Cahiers : « le parti au pouvoir veut la mort des églises, afin de transformer l’esprit du pays et il a contre elles dans la loi de séparation son instrument de mort »19
Viendront ensuite, à L’Écho de Paris, une succession d’articles nourris sur le sujet et destinés à exposer la thèse du parlementaire tels que « Le Progrès de la Question des Églises à la Chambre20», « La Conservation des églises21 », « Les Accroupis de Vendôme22 », « P.P.C. Messieurs les Accroupis23 », « Lettre de M. Barrès à M. le Curé de Saint Germain d’Argentan24 », « Où en sommes-nous avec les Églises ? ».
Parallèlement, comme le mentionne la rédaction de L’Écho de Paris du 1er décembre, solidaire de son collaborateur, Barrès vient d’entamer, dans La Revue des Deux-Mondes, « une série d’articles sur la question [des églises de France] qui lui tient tant à cœur. Le premier de ces articles a trait principalement à l’affaire de la vente [avant démolition] de l’église de Grisy-Suisnes », en 1909. Pour davantage d’impact sur la population française, Barrès utilise donc les circuits de l’édition et de la presse et il est même amplement soutenu dans son combat par le journal qui l’emploie régulièrement.
Estelle Anglade
Docteur ès lettres
- « Vœux pour les enfants » (19 janvier), « Nos blessés en 1870 » (30 mars), « La Colline inspirée », (2 mars, extrait du futur roman de Barrès), « En Alsace-Lorraine » (20 juillet), « A Tolède » (12 octobre). ↩
- « Les Trois ans et la jeunesse », 11 mai 1913 ↩
- Barrès possédait des correspondants dans la France entière dont il relayait, à la tribune ou dans la presse, les informations sur le plan national. ↩
- Mes Cahiers, L’Œuvre de Maurice Barrès, tome XVII, Club de l’Honnête Homme, p. 279. ↩
- Le goût de Barrès pour cette activité n’est pas propre à l’année 1913. Sa première préface date de 1888.Sa production préfacielle augmente assez logiquement, à partir de son élection à l’Académie française, avec sa notoriété. ↩
- Jacques de La Faye, Elisabeth de Bavière, impératrice-reine d’Autriche-Hongrie, Émile-Paul, 1913. Cette préface était parue sous la mention inédite dans Le Gaulois du 5/04/1913, le même jour que celui de la sortie du livre ↩
- De B.-H. Gausseron, Champion, 1913. ↩
- Publiée à la librairie des Saints-Pères, à Paris en 1913. La préface est numérisée sur le site de la bnf, gallica.fr. ↩
- Hormis le discours sur les églises, Alphonse Zarach ne cite que deux discussions, l’une se tenant le 13 mars sur la loi de finances et l’autre, le 20 novembre 1913, sur le repos hebdomadaire aux halles centrales. ↩
- Ce discours du 13 mars 1913 fut réimprimé dans La Grande Pitié des églises de France, OMB, tome VIII, chapitre 14, p. 138-153. ↩
- Plus de la moitié des articles traite de questions politiques, souvent abordées au Parlement. ↩
- Il est élu, en 1910, sous l’étiquette républicain patriote libéral alors que la majorité à la Chambre est radicale socialiste. ↩
- Avec la scolarité obligatoire, en ce début de XXe siècle, les journaux rencontrent de plus en plus de lecteurs. ↩
- « La Question des églises : des notions et un exemple », Le Gaulois, 15 février 1913. ↩
- Il est savoureux, à cet égard, de relire la définition humoristique et acerbe, en forme de métaphore fruitière filée, que donne Léon Daudet des lecteurs du Gaulois : « Ce public est composé de poires conservatrices et libérales, les plus dodues, les plus juteuses de Paris et de la province. Il s’agit de ne pas les effaroucher, de telle façon qu’elles se sauvent, serrant leurs pépins, hors du compotier de l’insondable Arthur Meyer, directeur de la publication du Gaulois. », Léon Daudet, Salons et journaux. Souvenirs des milieux politiques, littéraires, artistiques et médicaux de 1880 à 1908, Nouvelle Librairie Nationale, 1917, p. 138. ↩
- Il s’agit de M. Paul Léon, « un des fonctionnaires les plus autorisés de l’administration des Beaux Arts. ↩
- L’Écho de Paris, 6 mars 1913. ↩
- Comme l’a formulé Denis Pernot, la propagande est un genre de littérature qui utilise les « moyens de la rhétorique persuasive ». Cet aspect stylistique s’applique au présent article. D’autre part, en prêtant sa plume à ce type de texte, Barrès « définit donc sa position vis-à-vis du pouvoir et de ses représentants » et semble vouloir « affirm[er ↩
- Mes Cahiers, tome XVII, OMB, p. 293. ↩
- Cet article reprend, dès le lendemain, de manière condensée le troisième discours du 13 mars 1913. ↩
- Dans cet article, la rédaction de L’Écho de Paris félicite Barrès pour son éloquente défense des églises, à la Chambre. Il y est rappelé le sectarisme des anticléricaux et fait allusion aux urinoirs de la tour Saint- Martin dont les habitants de Vendôme espèrent la suppression grâce à l’appui de Barrès. ↩
- Barrès a également donné ce titre au chapitre 15 de La Grande Pitié des églises de France. ↩
- Barrès y insère la lettre vindicative, à son égard, du maire de Vendôme, Philippe Frain. Ce dernier répond pied à pied aux accusations du député de Paris. ↩
- Cette lettre a été transformée en préface du livre L’Église Saint-Germain d’Argentan dont l’auteur est anonyme et a été publiée dans L’Écho de Paris du 20 août 1913. ↩