Depuis quelques décennies, chacun s’accorde pour dire que la fonction présidentielle n’est plus exercée avec la hauteur voulue. Ce qu’avait impulsé le général de Gaulle, qui avait aussi une certaine idée de ladite fonction, a pour l’essentiel disparu. Ses successeurs ont, petit à petit, chacun à sa façon, avec plus ou moins de zèle, dégradé celle-ci. Essentiellement en n’étant pas à la hauteur. Trop d’implication partisane, trop d’activisme. Pas de grand dessein. Pas de charisme. Une légitimité parfois contestable. Des « affaires ». Médiatisation à tous crins. Bref, pour reprendre une image d’athlétisme empruntée au saut en hauteur, tout est une question de barre !
-Une barre est mise haute avec Charles de Gaulle
Tout commence le 8 janvier 1959, lorsque le général de Gaulle est élu premier président de la Ve République. « Le premier des Français devient le Premier en France ». déclare René Coty en accueillant le général à l’Elysée.
Ce qui impressionne tous ceux qui l’ont approché c’est d’abord la grandeur physique du général : 1,95 m. Il est des tailles qui commencent à inspirer le respect. On y est. Et puis autre impression partagée, celle d’une autorité naturelle. Un visage qui n’emporte pas fatalement la sympathie. Au contraire, il s’en dégage même une certaine austérité. Et puis une autre impression est celle de rencontrer l’Histoire. Celle de la France de la seconde guerre mondiale. Celle de la Résistance.
Assurément, cette première présidence va rompre avec le passé.
D’ailleurs le général dira lui-même à de nombreuses reprises : « je n’ai pas de prédécesseur ». Il a mis en place de nouvelles institutions pour la plupart inédites. Certaines d’entre elles donnent un rôle majeur au chef de l’Etat. En 1965, le général déclarera : « Qui a jamais cru que le général de Gaulle, étant appelé à la barre, devrait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes ? ». Qu’on ne se méprenne pas, de tous les présidents de la Vé, il ne sera pas le plus interventionniste. Comme nous l’a un jour confié le regretté Raymond Janot (conseiller d’Etat écouté du général pour l’élaboration de la Constitution et ancien président de la région Bourgogne), autant le général était « aux manettes » pendant son premier mandat (1959-1965) notamment sur la décolonisation, autant il prit du recul durant le second. C’est ce que nous confirma aussi Bernard Tricot, secrétaire général de l’Elysée de 1967 à 1969. Ce dernier sentit même assez vite « un certain éloignement » de la part de l’Homme du 18 juin. Seul le « domaine réservé » (Défense et Affaires Étrangères) conservait toute son attention.
Ce qu’il faut d’abord retenir de cette première présidence de la Vé, c’est une stature (ça on le savait). C’est aussi une hauteur de vue et d’action. « Prenez invariablement la position la plus élevée, c’est généralement la moins encombrée », conseillera le général à G.Pompidou, alors à Matignon, et à certains ministres. On ne sait rien ou presque sur la vie familiale des de Gaulle. Une médiatisation minimum. Ni frasques, ni sorties de route comme certains des successeurs du Commandeur. En ce temps-là, il y avait une seule chaîne de télévision (verrouillée d’ailleurs). Ni Internet bien sûr, ni presse people, mais de (rares) belles images du général de Gaulle et d’Yvonne, son épouse dévouée, avec quelques clichés « volés » de la famille à La Boisserie. Ainsi que le général avec la petite Anne, mais rien de plus.
Personne n’osait imaginer la moindre interrogation sur leur vie privée. Du « brouhaha inutile » selon le général. La presse était respectueuse et avait une certaine déontologie à l’époque. Aussi parce qu’en face d’elle on était respectable…
Sous le fondateur de la Vé chacun doit être à son rang, à sa tâche, au service de la France.
Servir et ne pas se servir ! … Aucun ministre ne s’essaiera à ne pas jouer collectif. Alors qu’Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture, exprime en Conseil des Ministres des doutes sur la politique agricole qui ne s’inscrirait pas dans celle établie par l’Europe, le général de Gaulle lui lance : « M. le ministre de l’Agriculture a des états d’âme ? Il les surmonte ou il nous quitte ». Bien sûr, il ne sera jamais question d’un quelconque commentaire ministériel sur ce qui se décidait en Conseil des Ministres. Seul le (discret) porte-parole parlait. Chacun à son poste avec son cap. Sinon démission. Aucun ministre n’aurait eu l’idée de se répandre dans la presse comme certains aiment à le faire depuis des décennies. Être ministre de de Gaulle c’était aussi un honneur. C’était respecter une certaine posture, une certaine dignité. Même la famille de Gaulle doit se tenir. Ainsi un des petits-fils du général surpris à une terrasse de café dans un moment festif sera rappelé à l’ordre !
Revenons un instant sur l’ « affaire Markovic » car elle est révélatrice des inconvénients de la peopolisation du politique. Il s’agit d’une affaire criminelle ayant eu des retentissements politiques. Le 1er octobre 1968, le corps d’un homme, enveloppé dans une housse de matelas, est retrouvé dans la décharge du lieudit La Cavée-du-Roi, à côté d’Élancourt (Yvelines). Il s’agit d’un certain Stevan Marković, petit truand yougoslave, qui est notamment l’employé d’Alain et Nathalie Delon. Dès la mi-octobre, les quotidiens commencent à évoquer avec insistance le carnet d’adresses de Marković. Ainsi selon des journaux aussi différents que Le Monde et Le Figaro (peu réputés à l’époque pour être des échotiers), ce voyou a des liens avec les milieux de la politique, du spectacle et de la chanson. Le Figaro évoque les noms de plusieurs actrices, de chanteuses, celui de la femme d’un ancien membre du gouvernement et ceux d’un député, de deux hauts fonctionnaires et de plusieurs vedettes. Assez rapidement sont évoquées des photos de parties fines circulant sous le manteau. Sur certaines d’elles, on peut reconnaître ni plus ni moins que Claude Pompidou, l’épouse de l’ancien Premier ministre. Ces clichés auraient été pris par Markovic et monnayés cher par ce dernier.
Le général de Gaulle n’est mis au courant qu’en novembre par Couve de Murville ayant succédé à Pompidou. B.Tricot nous confirmera lui-même que le général lui donne les instructions suivantes : le juge d’instruction doit faire son travail et Pompidou doit être prévenu par le premier ministre. Le général estime qu’il n’y a rien de sérieux dans tout cela, mais « qu’il trouve bien léger de se mettre dans le cas de prêter le flanc à de telles allégations ». Par le passé, le général avait déjà dit à son premier ministre (vu à des soirées tropéziennes ou parisiennes) de « surveiller ses fréquentations ». Prévenu tard aussi, G. Pompidou ne songea, bien légitimement, qu’à laver son honneur et celui de son épouse. Pierre Ottavioli, patron de la Mondaine à cette époque, révèle qu’après une longue enquête, son équipe finit par trouver la revue pornographique suédoise d’où la photo originale avait été extraite, le visage d’une actrice suédoise avait été remplacé par celui de Claude Pompidou. « Le jour où nous avons pu prouver le trucage, le battage médiatique incessant sur l’affaire Markovic s’est arrêté net » déclare le commissaire Ottavioli. Ce qui n’empêcha pas Georges Pompidou de continuer à nourrir des griefs contre des barons gaullistes (Couve de Murville, Capitant et Tricot) accusés d’avoir manipulé la rumeur. Pour avoir conversé avec Tricot, il n’a jamais procédé à aucune manipulation d’aucune sorte.
Il reste que comme l’ont souligné J. Foccart (Le Général en mai – Journal de l’Élysée II, Paris, Fayard,1998) et ce même B. Tricot (Mémoires, Paris, Quai Voltaire, 1994), de Gaulle jugea plutôt sévèrement ce comportement mondain. L’imagine-t-on un seul instant se livrer à ce genre de comportement peu conforme à ce que l’on est en droit d’attendre d’un responsable politique de ce niveau ?
C’est donc en 1969 que le général engage une nouvelle fois son mandat sur un référendum (réforme du Sénat et régionalisation). Comme il l’avait annoncé, il démissionne après la victoire du « non ». Il se retire dans sa propriété de Colombey-les-Deux-Églises et rompt définitivement avec le milieu politique. Qu’on le veuille ou non, ce geste a une certaine tenue, non ?! Pour un soi-disant monarque, c’est rare de se retirer ainsi.
– La barre commence à trembler avec Georges Pompidou
C’est donc le 20 juin 1969 que Georges Pompidou est élu second président de la Ve République. On a dit précédemment que lorsqu’il était à Matignon, son épouse Claude l’entraîna dans des soirées un peu mondaines qui n’eurent pas l’heur de plaire à C. de Gaulle. En tant que président, il va devoir tout de même y renoncer. Pour autant il va s’engager, sous l’influence de Mme, dans une médiatisation de sa vie notamment personnelle. On devrait dire peopolisation. En effet vont être tournés des reportages, notamment dans les appartements de l’Elysée. Le général de Gaulle n’avait nul besoin de séduire pour se distinguer. Sa légitimité historique suffisait. Mais ceux qui prétendent lui succéder doivent se construire une autre légitimité.
Au-delà du général, et après lui, nous entrons dans l’ère des hommes ordinaires qui n’ont rien d’autre à proposer aux électeurs qu’eux-mêmes. Leur image.
Ils doivent convaincre en démontrant leur compétence, mais aussi tisser un lien affectif avec les Français. Se montrer. Pompidou est le premier chef d’État à livrer aux médias une part de sa vie privée. Pour être plus exact, il conviendrait de dire « les » Pompidou, car Claude joue ici un rôle fondamental pas forcément opportun. Elle est, en effet, la première épouse d’un Président de la République à vouloir assumer le rôle de « Première Dame », selon le modèle américain. La rupture est nette. Yvonne de Gaulle était pour le moins effacée. Comme le souligne M.Onfray dans un de ses derniers ouvrages, il n’y a aucun enregistrement officiel de la voix de Mme de Gaulle. Claude Pompidou, elle, à 57 ans, est réputée pour son élégance et sa culture. Et surtout son goût des mondanités. La « peopolisation » des Pompidou passe par l’intérêt médiatique suscité par Madame. Dès juin 1969, elle rejoint le cercle des célébrités mis en scène par Ici-Paris. Ce dernier publiera en une la photographie de la femme du chef de l’État en maillot de bain, sortant d’une piscine. Ce n’était pas selon nous du meilleur goût.
Reste que, tout en contrôlant son image, le couple présidentiel n’hésite pas à s’exposer. Le 21 juin 1969, Georges et Claude sont en une de Paris-Match, dans les jardins de l’Élysée. Ils le sont à nouveau le 14 février 1970. La grande nouveauté c’est l’entrée en jeu de la télévision. Très caractéristique, à cet égard, est l’émission que lui consacre, en 1970, l’équipe de Pierre Desgraupes, dans un Quatrième mardi. Elle est tournée à Cajarc (Lot), là où le couple possède une maison de campagne. Les téléspectateurs sont invités à pénétrer dans l’intimité du couple : un couple soi-disant ordinaire de Français. Les scènes banales se succèdent, nourries d’attitudes et de propos familiers et souvent convenus. Ainsi G. Pompidou réclame à son épouse « un petit whisky, bibiche ». Point de cela chez les de Gaulle à l’Élysée et encore moins à Colombey.
C’est en 1972 que cette médiatisation s’arrête. On peut se demander jusqu’où aurait pu être poussé le processus d’ouverture au domaine privé, si Georges Pompidou n’en avait brusquement interdit l’accès, atteint par les premières manifestations de la maladie de Waldenström qui devait l’emporter. Mais il apparaît clairement que cette médiatisation présidentielle est, selon nous, un pli inopportun qui est pris…
Il reste que dans l’exercice de ses fonctions, G. Pompidou a toujours pérennisé une certaine hauteur. Il inspirait ce sentiment qu’on appelle le respect. On le sait peu, mais il était beaucoup plus interventionniste que son illustre prédécesseur. Pas un dossier important ne lui échappait. Même des moins importants. Ainsi le regretté doyen Vedel nous a confié une anecdote révélatrice à cet égard. Alors qu’il présidait une commission de réforme des études d’histoire en DEUG de Droit, il reçut un jour un coup de téléphone du président Pompidou lui-même. Ce dernier lui demanda de bien vouloir veiller à préserver le droit romain !!
Lorsqu’il s’aperçut que Chaban-Delmas n’était pas vraiment l’homme de la situation à Matignon, G.Pompidou le remplaça par l’orthodoxe Messmer. Ainsi Chaban fut le premier premier ministre remercié de la Vé ! Les dernières années de son mandat (interrompu par son décès en 1974), G. Pompidou se démultiplia malgré les assauts de la maladie. Comme sous de Gaulle, pas un ministre n’avait intérêt à se répandre dans les médias, notamment la télé qui se développait. Chacun reconnaît d’ailleurs que, plus encore que son prédécesseur, Pompidou contrôlait l’information. Il donna aussi quelques inflexions en politique étrangère (ainsi fit-il entrer la Grande-Bretagne dans la CEE par le référendum de 1972). En matière militaire, il maintint le cap nucléaire. Le banquier qu’il fut l’amena à regarder de près les affaires économiques et industrielles. Cantalou de naissance, il prit soin aussi des territoires, du monde rural et du désenclavement. Avec Pompidou, la stature présidentielle est tout de même maintenue. En digne héritier.
– La barre tombe une première fois avec Valéry Giscard d’Estaing
1974 : sacre de Valéry Giscard d’Estaing ! Durant la présidentielle, il a fait souffler un vent de jeunesse. Notamment avec une nouvelle génération de militants de droite qui mena une campagne acharnée et résolument moderne. Le slogan « Giscard à la barre », présent sur des tee-shirts fièrement arborés (notamment par une Brigitte Bardot déchaînée), fit un tabac : 50 000 pièces s’écoulent en quelques jours. VGE a annoncé « une société libérale avancée » qui va trancher (rompre ?) avec l’héritage gaulliste. VGE, qui fut longtemps ministre des Finances du général de Gaulle, est pourtant le premier non gaulliste élu à l’Elysée depuis 1958. On bascule dans une autre ère dite post-gaulliste. Qu’on le veuille ou non, le nouveau président n’a jamais été gaulliste. Quand il le nomma au gouvernement, le général appela simplement un économiste réputé, c’est tout. N’oublions pas que le 10 janvier 1967, à l’aube d’une campagne législative qui s’annonce difficile pour la majorité sortante, Valéry Giscard d’Estaing dit « oui, mais » au président de la République. Au lieu de dire qu’il lui apporte un soutien conditionnel, celui qui est redevenu simple député du Puy-de-Dôme après avoir été chassé du ministère des Finances un an plus tôt, préfère lui tourner le dos avec ce don qui lui est propre des formules qui claquent.
Au pouvoir, VGE va développer un style nouveau, « décomplexé » !
Ainsi à Noël 1974, il invite trois éboueurs africains à partager un petit-déjeuner en son palais de l’Elysée, dans ce qui restera un fiasco communicationnel. Chacun s’accordera pour constater que, comme lorsqu’il s’est invité chez des français (triés sur le volet) ce fut d’une maladresse totale. Très déplacé. Indécent même. C’eût même l’effet inverse, celui d’accentuer l’image de « grand bourgeois » de Giscard qui pactise avec le petit peuple. De même le 31 décembre 1974, le locataire de l’Elysée, alors plus jeune président de l’histoire de la République, tente de dépoussiérer l’exercice. Il conclura avec une formule restée célèbre : « Adieu donc 1974 et salut à toi 1975 ». Quant aux vœux de son épouse, ils furent aussi inédits qu’inutiles. Giscard va beaucoup jouer de la médiatisation, tant sur le plan personnel que dans l’exercice de ses fonctions.
Sur un autre registre, il faut signaler qu’à peine élu, le nouveau Président de la République impose une nouvelle harmonisation et orchestration de la Marseillaise au chef de musique de la Garde Républicaine, Roger Boutry. Sa majesté Giscard trouve qu’on la joue trop rapidement et qu’elle n’a pas un caractère solennel comme doit l’avoir un hymne national. Encore un signe que le nouveau locataire de l’Elysée veut même rompre avec des symboles républicains clefs. N’y avait-il pas plus important à faire ? … Cette Marseillaise giscard (qui lui-même chantait faux !) sera en usage jusqu’à l’élection de François Mitterrand, qui va préférer revenir à la version précédente.
Autre épisode caractéristique du style voire du fonctionnement Giscard. Durant le week-end de Pentecôte 1976, il invite les Chirac au Fort de Brégançon (J. Chirac est encore son Premier ministre). VGE va faire le nécessaire pour que ce dernier se sente « très mal reçu » comme il l’a précisé dans ses mémoires. Pendant le dîner, Giscard se fait servir son repas avant son hôte. Alors que son premier ministre et son épouse sont installés sur de simples chaises, Anne-Aymone et lui ont droit à des fauteuils. Tout ne s’arrête pas là puisque le lendemain, VGE invite en guest-star son moniteur de ski et sa femme alors que J.Chirac pensait pouvoir parler en tête à tête avec le président. Il est alors « choqué par un tel manque de respect (…) plus déterminé que jamais à reprendre sa liberté ». En effet, deux mois plus tard, il démissionne du gouvernement. L’inimitié entre les deux hommes prendra racine avec cet épisode…
Ce style Giscard n’est pas exclusif, il faut le souligner, du maintien d’une conception présidentialiste de la fonction. Sur le « domaine réservé » il est exclusif et maintient peu ou prou le cap gaulliste en matière diplomatique. Sur la scène extérieure, VGE en impose par son style altier et sa grandeur aussi (1,90 m). En politique intérieure, J. Chirac partira en se plaignant de n’avoir pas eu les moyens de gouverner ! S’il est moins interventionniste que Pompidou, VGE est vigilant sur les grandes réformes qu’il veut mettre en place : avortement, majorité à 18 ans, réforme du Conseil Constitutionnel, divorce par consentement mutuel par exemple. En matière économique, il aura plus confiance et laissera beaucoup plus de champ libre à R. Barre, « sinon je ne serais pas resté », nous confiera ce dernier. Un certain nombre d’observateurs se rejoignent pour dire que les conseils des ministres sous VGE étaient très solennels, presque monarchiques. Une autorité naturelle émane tout de même du personnage. On a pu le vérifier nous-même lors de la campagne municipales de 1995 à Clermont-Ferrand (perdue de peu par l’ancien président face à R.Quilliot) !
Il s’avère que VGE va être le premier président de la Vé à être rattrapé par une réputation de coureur de jupons. Séducteur invétéré, il avait même hérité d’un sobriquet qui lui colle à la peau depuis le 2 octobre 1974 : Valéry Folamour. Ainsi on lui prêta liaison qui avec M. Jobert, qui avec Lady Di. Même du côté de l’Auvergne, cela se disait !
La fin du mandat de VGE est marquée par une affaire qui va véritablement le « plomber » : les « diamants de Bokassa ».
Il est acquis désormais que cette dernière va largement participer de sa défaite face à F. Mitterrand et de la dégradation de la fonction présidentielle. En Octobre 1979, Le Canard Enchaîné révèle que des diamants de grande valeur ont été offerts par l’ancien président puis empereur de Centrafrique, Jean-Bedel Bokassa, à VGE et à sa famille. Dans un premier temps, Valéry Giscard d’Estaing ne souhaite ni s’expliquer, ni répondre. Le 27 novembre 1979, sur Antenne 2, il prend la parole et parle d’une « campagne indigne », opposant un « démenti catégorique et méprisant » à ces accusations. « Il faut laisser les choses basses mourir de leur propre poison », assénera-t-il. En mars 1981, VGE change de discours (aveu de culpabilité en principe !) et précise qu’« en fait, ce n’était pas du tout, comme on l’a dit, des diamants, c’est-à-dire de grosses pierres ayant une grande valeur et que l’on pouvait garder pour soi, auxquelles on pouvait donner je ne sais quelle destination. C’était plutôt des produits de la Taillerie de Bangui qui sont plutôt utilisables sur un plan de décoration en bijouterie ». Il ajoute même que ces pierres (d’une valeur d’environ 200,000 euros) ont été vendues « au profit de la Croix rouge centrafricaine, d’une maternité, d’une pouponnière et d’une mission ». Vrais ou faux diamants, un cadeau d’un personnage aussi méprisable que le dictateur Bokassa a bel et bien été fait au président de la République française. Cette affaire va impacter l’image de Giscard déjà assombrie en cette fin de mandat et à l’aurore de la présidentielle. Pourtant les sondages lui étaient favorables en début de campagne.
Les affiches de campagne du président sortant sont détournées, avec de gros diamants, à la place des yeux de VGE. L’idée est de Jacques Séguéla, membre de l’équipe de campagne du futur vainqueur, François Mitterrand. Le célèbre publicitaire avoue aujourd’hui regretter son geste : « Il ne méritait pas ça, ce n’était pas fair-play », reconnaît-il. Il raconte même que Mitterrand avait désapprouvé le geste et lui avait tapé sur les doigts : « Séguéla, j’ai presque envie de vous virer ».
De façon moins directe, il y a eu des morts suspectes de personnalités politiques, qui se sont déroulées sous le mandat de Giscard. Il s’agit des affaires de Jean de Broglie (ministre du général de Gaulle) en 1976, ainsi qu’en 1980 de celle de MM Boulin (ministre depuis de Gaulle), (Fabienne Boulin-Burgeat, Le Dormeur du Val, Don Quichotte, 2011 ; Benoît Collombat, Un homme à abattre : contre-enquête sur la mort de Robert Boulin, Fayard, 2007 ; « Affaire Boulin : des journalistes écrivent à Emmanuel Macron pour réclamer la vérité », Ouest-France, 31 octobre 2019) ; et Fontanet (ministre sous G.Pompidou et proche ami de Boulin mort 3 jours avant (Bernard Hautecloque « La mort énigmatique de Joseph Fontanet – Les Affaires non élucidées, éditions De Borée, 2019).
Quelques mots sur l’« affaire Boulin » qui vient de connaître un nouveau rebondissement. Robert Boulin, on l’a dit, fut ministre sous de Gaulle et Pompidou. Il l’était sous Giscard depuis 1976 et l’arrivée de R. Barre à Matignon. R. Boulin était ce qu’on appelle un gaulliste prometteur. Il a été secrétaire d’Etat ou ministre sans discontinuer de 1961 à 1973. Et le redevient donc en 1976. Robert Boulin est présenté comme un homme intègre, possédant une grande capacité de travail et très apprécié de l’opinion publique, au point que sa nomination au poste de Premier ministre pour succéder à Raymond Barre est régulièrement évoquée à partir de 1978.
La fille de l’ancien ministre, acharnée sur ce dossier, vient de déposer plainte contre l’Etat pour « faute lourde ». Le débat sur cette affaire s’est poursuivi dans les années 2010, après la diffusion du téléfilm de Pierre Aknine, Crime d’État. Ce « documentaire-fiction » controversé avance que le Service d’action civique (SAC) d’Achille Peretti, Charles Pasqua et Jacques Foccart aurait commandité l’assassinat de Boulin par crainte que celui-ci ne révèle l’existence d’un réseau de fausses factures ayant pour but le financement du RPR. Fabienne Boulin-Burgeat inscrit le supposé assassinat de son père dans le cadre de la « guerre des droites » et dans l’existence « d’officines de barbouzes […] qui n’avaient pas de scrupules de dézinguer les gens qui pouvaient empêcher les personnes qu’ils voulaient mettre au pouvoir ». Inversement, d’autres journalistes et personnalités se disent convaincus de la thèse du suicide. Ainsi deux ouvrages, publiés respectivement par les anciens policiers Danielle Thiéry et Alain Tourre en 2012, et Guy Penaud en 2015, s’emploient à réfuter les arguments des défenseurs de la thèse de l’assassinat et à rectifier certaines erreurs.
Il nous a été donné de rencontrer un des policiers (aujourd’hui disparu) qui avaient découvert le corps de R. Boulin. Ce dernier avait « le visage tuméfié d’un boxeur » et il y avait « 20 cm d’eau à l’endroit où on l’a trouvé » nous a-t-il été dit…
Il reste donc qu’à la suite de plusieurs nouveaux témoignages, l’enquête judiciaire est rouverte en 2015 pour « arrestation, enlèvement et séquestration suivis de mort ou assassinat ». Et c’est en considérant que l’enquête n’avait pas avancé que Fabienne Boulin assigne donc l’État pour « faute lourde » en 2021. Cela fait quarante ans qu’elle se bat pour que l’assassinat soit reconnu et non le suicide. Soulignons que ces affaires ne touchent pas directement VGE car elles émaneraient plus spécialement de réseaux gaullistes (SAC) desquels le président était étranger.
En ce printemps 1981, VGE est le premier président battu dans sa tentative de réélection. Prouvant, s’il en était besoin, que la première des responsabilités du chef de l’Etat se situe devant le peuple. Et que, comme la terre, ce dernier « ne ment pas »…
– La barre retombe avec François Mitterrand
En ce printemps 1981, l’élection de François Mitterrand à l’Elysée marque le triomphe de la gauche au pouvoir et donc de l’alternance. Pour la première fois depuis 1958, un socialiste devient président de la République. Lorsqu’il évoquait celui qui allait devenir son successeur, le général de Gaulle employait souvent le mot « arsouille ». Précisons bien ici qu’il s’agit du sens figuré de « voyou », « canaille » ou « mauvais sujet ». Mitterrand à l’Elysée ! Défait à deux reprises (1965 et 1974), il décroche le graal de sa vie politique. Et contre un adversaire pour lequel il n’avait aucune sympathie. La grande question qui se pose est comment va se passer cette première alternance française ? Mitterrand a de l’expérience. En effet, il est élu dans la Nièvre et surtout a été plusieurs fois ministre sous la IVé. D’emblée il va s’inscrire dans le schéma présidentialiste de ses prédécesseurs. Il confiera à la fin de son second mandat : « les institutions n’étaient pas faites à mon intention mais elles sont bien faites pour moi ». Tout est dit !
Mitterrand va très vite se révéler un président assez interventionniste et avec un style « monarchique » plus prononcé parfois que VGE !
Il se positionne d’ailleurs assez vite dans la posture d’un « sphynx ». Comme de Gaulle, Mitterrand ne tutoie personne et personne ne s’avise à le tutoyer. On sait que si le vouvoiement est une marque de respect, il inspire également celui-ci !
Au début, il doit s’occuper de beaucoup de dossiers car son gouvernement est assez inexpérimenté (seul Defferre a été aussi ministre sous la IVé). Sur le domaine réservé il infléchit les postulats gaulliens en matière internationale : retrait par rapport aux Etats-Unis et à l’URSS, politique pro-arabe et contacts relancés avec l’Amérique du Sud. C’est son premier mandat qui va être le plus réformiste. D’abord il veut faire passer ses 110 propositions. Elles sont d’abord et surtout sociales : augmentation du SMIG (10%) et de toutes les prestations, 39 heures, retraite à 60 ans, 5è semaine de congés payés, IGF, nationalisations… Si bien que dès fin 1983, la France est au bord de la banqueroute (4 dévaluations entre 1982 et 1986) ! D’où le virage libéral et l’arrivée de L. Fabius à Matignon en 1984. Les réformes sont aussi sociétales : abolition de la peine de mort, radios privées, régularisation des étrangers en situation irrégulière… On n’oublie pas non plus les lois de décentralisation de 1982. Durant son second mandat, il se consacre au domaine réservé mais surtout à sa maladie et à sa famille.
On le sait maintenant, dès le début de son mandat, l’homme de Jarnac a deux grands secrets : un cancer inéluctable de la prostate et une double vie avec une fille illégitime Mazarine qu’il a eue avec Anne Pingeot. Bien entendu, rien ne doit filtrer. Les secrets sont bien conservés grâce à sa garde rapprochée (menée par Charasse et de Grossouvre). Heureusement qu’il n’y a pas à l’époque de réseaux sociaux… Dès lors, pendant presque deux mandats, les Français ont vu leur président et son épouse apparaître, recevoir les chefs d’État, épouser le protocole. Mais rien de sa double vie. Et pourtant Mazarine est reconnue par François Mitterrand devant notaire le 25 janvier 1984. L’écrivain trublion Jean-Edern Hallier a tenté, dès 1982, de dévoiler la parenté complète de l’enfant puis veut publier, en mars 1984, L’Honneur perdu de François Mitterrand (un brûlot qui, au départ, devait d’ailleurs s’appeler Mitterrand et Mazarine). Le président de la République parvient à faire éviter la publication (liberté de la presse ?!). Ce n’est qu’en novembre 1994 que Paris Match publie une photo (des paparazzis P. Suu et S. Valiela), de Mazarine et son père à la sortie du restaurant Le Divellec. Lors de ses obsèques à Jarnac en 1995, les « deux familles » Mitterrand seront réunies sur la même photo. Des centaines de paparazzis se déchaînent. Même si la morale n’est pas vraiment sauve pour un président de la République, c’est un tournant dans la vie politique française !
Précisons quand même ici que Mazarine et sa maman ont été hébergées entre 1983 et 1995 dans les appartements que possède l’Elysée au 11 quai Branly. C’est-à-dire aux frais du contribuable…
Anne Pingeot suit une formation d’historienne de l’art à Paris, qui lui permet de devenir conservatrice au sein du département des sculptures au musée du Louvre. Spécialisée dans la sculpture du XIXe siècle, elle devient par la suite conservatrice des sculptures au musée d’Orsay. Sa proximité avec le locataire de l’Elysée peut expliquer aussi les postes qu’elle a ainsi occupés ! Le président de la République l’a aussi souvent consultée pour la réalisation du projet du « Grand Louvre ».
Par ailleurs, la maladie de François Mitterrand a reposé le problème du secret médical entourant le président de la République.
Depuis le général de Gaulle, une tradition s’est mise en place de faire publier, le plus régulièrement possible, un bulletin sur l’état de santé du président. Il n’existe aucune règle constitutionnelle en la matière. L’art 7 al 4 de la Constitution prévoit seul l’empêchement dudit président constaté par le Conseil Constitutionnel (saisi par le gouvernement) qui autorise l’exercice temporaire du mandat présidentiel par le président du Sénat. De Gaulle fut opéré de la prostate durant sa présidence.
Il s’avère que ce sont les maladies de G. Pompidou et de F. Mitterrand qui ont amené à poser le problème de ces bulletins. En effet, il est reconnu que ceux publiés à ces deux occasions n’ont été ni plus ni moins que mensongers. Ainsi G. Pompidou vécut un calvaire la dernière année où il exerça le pouvoir mais jusqu’au dernier moment on parla de simples voire de mauvaises grippes. Alors qu’il était atteint quasiment depuis le début des années 70 de la maladie de Waldenström (sorte de leucémie). François Mitterrand promit la transparence sur son état de santé mais fit publier des bulletins médicaux falsifiés, cachant un cancer pendant une grande partie de sa présidence. On sait qu’à l’extrême fin de son mandat (notamment durant la cohabitation) il fut à la limite de l’incapacité à présider. Cela posa tout de même question. N. Sarkozy (qui fit un malaise vagal à l’été 2008) en publia deux ou trois et depuis F. Hollande, la tradition du bulletin de santé s’est éteinte.
Du temps de la présidence Mitterrand, de nombreuses affaires ont vu le jour qui ont semé le trouble sur le locataire de l’Elysée. D’autant qu’elles émanèrent majoritairement des milieux socialistes. On peut dire que des sommets furent atteints au cours de ces années 80-90. On dénombre ainsi une vingtaine d’affaires d’ordre essentiellement politico-financier (Carrefour du Développement, Urba Graco, Ecoutes de l’Elysée, Rainbow Warrior, Péchiney…). Arrêtons-nous un instant sur l’ « affaire des écoutes de l’Elysée » car elle illustre bien les années Mitterrand. Sur instruction du président Mitterrand lui-même, un certain nombre d’écoutes téléphoniques illégales ont été mises en place entre 1983 et 1986. Essentiellement pour la sécurité de Mazarine et (très peu) contre le terrorisme. Ainsi une cellule de sécurité ad hoc à l’Élysée dirigée par Christian Prouteau, qui est installée au 2, rue de l’Elysée. Ce ne sont pas moins de 20 lignes d’interceptions téléphoniques prélevées sur le contingent de la DGSE. Le problème, c’est qu’une cinquantaine de personnes va être espionnée ainsi : journalistes, acteurs (Carole Bouquet par ex à laquelle le 13 mars 2007, la Cour d’appel de Paris a accordé 6000 euros de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée), élus. Au gré des caprices du Prince… Une enquête journalistique et surtout judiciaire s’ensuit. Un procès fleuve s’engage (perturbé par le secret défense). Un jugement du 9 novembre 2005 du tribunal correctionnel de Paris, avec la condamnation de sept anciens collaborateurs du président de la République (dont C.Prouteau qui, promu préfet par Mitterrand, parade depuis sur les plateaux tv notamment comme expert en sécurité !!).
Il faut noter tout de même que le tribunal a ainsi relevé que le président François Mitterrand s’était montré soucieux de protéger divers éléments de sa vie personnelle, notamment l’existence de sa fille naturelle Mazarine Pingeot. Selon le tribunal, François Mitterrand a été « l’inspirateur et le décideur de l’essentiel ». Le dossier a montré que le président avait ordonné lui-même certaines écoutes et avait laissé faire pour d’autres.
On le sait, le pouvoir exécutif a toujours procédé à des écoutes plus ou moins légales. Mais avec cette affaire, les limites furent à notre sens atteintes. Et F. Mitterrand a eu la chance qu’à l’époque, mettre en cause le président pour « haute trahison » était mission impossible. Avec la procédure de désistement mise en place en 2007 au Titre IX de la Constitution, il en aurait été autrement selon nous (sur cette affaire : Y. Bonnet, P.Krop, Les Grandes Oreilles du président, Presses de la Cité, 2004 ; JM Pontaut et J. Dupuis, Les Oreilles du Président, suivi de la liste des 2 000 personnes « écoutées » par François Mitterrand, Fayard 1996 ; E.Plenel, Le journaliste et le président, Stock, 2006).
Et puis, comme sous VGE, des morts curieuses d’hommes politiques se produisent.
La plus emblématique est celle de François de Grossouvre. Ce dernier, conseiller spécial très proche de F.Mitterrand, est retrouvé mort le 7 avril 1994 dans son bureau du palais de l’Élysée. C’est peu après 23H qu’un communiqué de la présidence de la République annonce sa mort. C’est la première fois dans l’histoire de la République qu’un collaborateur du chef de l’État se donne la mort dans le palais présidentiel (Pascal Krop, Silence, on tue : Crimes et mensonges à l’Élysée, Flammarion, 2001). Très vite, une polémique éclate quant aux circonstances de cette mort. Deux anti-mitterrandistes vont en être à l’origine. Le journaliste d’investigation et écrivain Jean Montaldo, (Mitterrand et les 40 voleurs, Albin Michel, 1994) ainsi que le capitaine Paul Barril, grand concurrent de C.Prouteau, (Guerres secrètes à l’Élysée, Albin Michel, 1996). On a dit que F. de Grossouvre était détenteur de secrets sensibles sur F.Mitterrand, lequel l’avait mis à l’écart depuis quelque temps. Il se sentait menacé ainsi qu’il l’avait exprimé à plusieurs reprises. On a dit que F. de Grossouvre était dépressif et suicidaire peu avant sa mort. Il nous a été donné de rencontrer à Vichy le Dr L. qui suivait de Grossouvre pour des soucis hépatiques. La dernière fois qu’il l’avait vu, peu de temps avant, il n’avait rien remarqué de spécial. Par ailleurs, du côté du village de Lusigny (proche de Moulins) où il détenait son château (qui hébergea longtemps Mazarine), personne n’a rien remarqué non plus. Une précision d’importance selon nous. L’inhumation du disparu au cimetière de Lusigny se déroula dans l’intimité familiale avec Amine Gemayel aux côtés de la famille et en présence, non souhaitée par la famille du défunt, du président de la République…
Enfin, nous avons eu l’occasion de rencontrer aussi un policier chargé de la sécurité des personnalités politiques à l’Elysée ce jour-là. Alors qu’il revenait de sa pause dîner, il assista à un branle-bas de combat devant l’Elysée. On lui indiqua de ne pas entrer et que tout était sous contrôle et pris en charge (notamment par la préfecture de police sur ordre de Charasse). Quand il put aller voir, et reprendre son poste, il constata que le bureau de de Grossouvre avait été complètement nettoyé et débarrassé. Il en fut de même de son appartement privé au quai Branly.
La journaliste du Monde, Raphaëlle Bacqué revient, dans Le Dernier Mort de Mitterrand (Grasset, 2010) sur le parcours de François de Grossouvre, sa relation avec Mitterrand et sa mort. Après avoir mené une enquête et avoir interrogé une cinquantaine de personnes (anciens ministres, collaborateurs, gardes du corps…), elle affirme n’avoir trouvé aucune preuve d’un assassinat. Mais (et ce mais est selon nous essentiel) elle détaille aussi la façon dont l’Élysée, pris de panique, songea d’abord à faire transporter le corps à l’extérieur (au point d’appeler une ambulance militaire), puis envoya les gendarmes du GSPR quai Branly — où François de Grossouvre vivait — afin de le fouiller avant l’arrivée de la police judiciaire et de son directeur Claude Cancès. Sa famille proche conteste fermement les interprétations de cette journaliste. En tout état de cause, la mort suspecte de ce fidèle grognard du défunt président, entache le dernier mandat de celui-ci.
Autre mort teintée de soupçon, celle de Pierre Bérégovoy. Législatives de 1993. Victoire de la droite pour une seconde cohabitation. Le maire de Nevers se considère, dans le mois qui précède et les jours qui suivent l’élection, responsable de la déroute de la gauche, incriminant également la politique du franc fort menée par Mitterrand. Il confie son mal-être à son avocat Me Maisonneuve. Sa dépression devient si forte que M. Charasse, craignant qu’il ne se « foute en l’air » (comme il nous le dira), demande à F. Mitterrand d’organiser un déjeuner avec « Béré » dans les jours qui suivent. D’autant que certains caciques du PS, ayant perdu leur siège, ne l’épargnent pas.
C’est donc un mois après avoir quitté Matignon, le 1er mai 1993, vers 18 heures, que Pierre Bérégovoy est découvert par son chauffeur et son garde du corps inanimé près de Nevers, sur la berge du canal de la Jonction. L’ancien Premier ministre ayant demandé aux deux hommes de le laisser seul pour téléphoner et faire quelques pas. Gravement blessé et dans le coma, P.Bérégovoy est d’abord transporté à l’hôpital de Nevers. Sur instruction de F.Mitterrand, on le transfère à l’hôpital de Val de Grâce à Paris où il décède à 23h. L’enquête de police conclut, de manière formelle, à un suicide au moyen de l’arme de service de son officier de sécurité Sylvain Lesport (à qui il avait demandé, comme à son chauffeur, de le laisser un peu pour téléphoner). Nous avons pu converser avec différents policiers ayant assuré la sécurité de personnalités politiques. Tous nous ont affirmé que s’ils pouvaient « laisser un peu tranquilles » celles et ceux dont ils avaient la charge, il était inenvisageable de laisser une arme de service dans la boîte à gants de la voiture sauf à commettre une « faute professionnelle ». Et puis ce sont bien deux balles qui ont été tirées dont seule une a atteint le crâne. De deux choses l’une. Soit l’ancien premier ministre s’est loupé et a réitéré. Soit s’il avait été atteint dès la première, il n’y aurait eu qu’un seul coup de feu. Et si un tueur s’était chargé de lui, il n’y aurait eu aussi qu’une balle. Paix à son âme de toute façon…
Lors des obsèques à Nevers, F. Mitterrand a vilipendé la presse : « Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie, au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d’entre nous ». Charasse aussi vilipenda la presse ! Cette mort reste encore porteuse de doutes. Et elle entache incontestablement aussi le dernier mandat de F. Mitterrand. Notamment car on lui a longtemps reproché d’avoir laissé tomber « Béré ».
(Pour plus d’informations sur ces affaires, voir Éric Raynaud, Un crime d’État ? : la mort étrange de Pierre Bérégovoy, Alphée-Jean-Paul Bertrand, 2008 ; Philippe Valode, Les énigmes de la Ve République, Éditions Générales First, 2007 ; Karine Hamedi, Scandale et suicide politiques : destins croisés de Pierre Bérégovoy et Robert Boulin, Harmattan, 1999).
Affaires politico-financières, morts suspectes, maladie cachée puis avérée, on ne peut nier qu’il y a, à partir de F. Mitterrand, un début de dégradation assez prononcée du mode d’exercice de la fonction présidentielle.
On ne peut faire l’économie d’évoquer aussi « Une jeunesse française », un récit biographique écrit par le journaliste et écrivain Pierre Péan, qui étudie la vie et les engagements successifs de François Mitterrand entre 1934 et 1947 (Fayard, 1994). Sur ce passé trouble de celui qui fut décoré de la Francisque (récipiendaire numéro 2 202, délégué du Service national des prisonniers de guerre, au printemps 1943), on doit souligner qu’il fut aussi entretenu par son amitié avec René Bousquet, ancien secrétaire général du gouvernement de Vichy et principal responsable de la rafle du Vel d’Hiv. Précisons aussi qu’en 1974, René Bousquet soutient et apporte son concours financier au candidat François Mitterrand comme il l’avait fait en 1965, pour sa campagne présidentielle. A cette époque, des proches du général de Gaulle conseillèrent à celui-ci de ressortir le passé sulfureux de son concurrent. Ce qui aurait eu toutes les chances de l’éliminer de la course. Le général écarta derechef ce moyen « déloyal ».
Ce n’est qu’à partir de 1986, quand les accusations portées contre René Bousquet prennent de la consistance, que les rencontres avec le président Mitterrand (qui le reçut même à Latché) se font plus rares jusqu’à cesser, officiellement à la fin des années 80. Il faut aussi noter qu’Elie Wiesel, rescapé des camps de la mort et prix Nobel de la Paix 1986, fit comprendre à Mitterrand qu’il ne pouvait être ami avec lui et Bousquet. Il faut souligner que jamais Mitterrand ne renia cet engagement vichyste puis sa longue amitié avec Bousquet. Il y a là quelque chose d’à tout le moins gênant pour un homme « de gauche », cependant jamais à un paradoxe près. On sait de source sûre, (en tant que vichyssois curieux de l’histoire de sa cité) que durant sa présidence, jamais Mitterrand n’est jamais revenu dans la ville de Vichy. Il est venu jouer assez souvent au golf sis à Bellerive/Allier (jouxtant Vichy) ou au mariage de la fille de son ami Guy Ligier au château des Brosses sis aussi à Bellerive (et occupé par la Milice française de 1943 à 1944 !).
M.Rocard avait le premier utilisé une formule à propos de la présidence Mitterrand : « le droit d’inventaire ». Cela lui a valu (une fois encore !) l’ire de la mitterrandie. Mais c’est Lionel Jospin qui l’a théorisé en février 1995 à la veille de la présidentielle. Tout juste désigné candidat (sans les voix mitterrandistes bien sûr !), celui-ci propose ni plus ni moins que de dresser le bilan des deux septennats de François Mitterrand. Un moyen, selon lui, de tirer des conclusions pour l’avenir : « pourquoi n’aurions-nous pas collectivement, et n’aurais-je pas moi, comme candidat à l’élection présidentielle, le droit d’inventaire ? N’est-ce pas cela l’attitude de la raison ? ».
Le philosophe Michel Onfray a révélé récemment un aspect du dernier mandat de F. Mitterrand que tous ses biographes ont pris soin d’éluder. A défaut de rester un président mythique, il devint durant son dernier mandat mystique. Ainsi se sont établis des contacts réguliers avec l’astrologue Elizabeth Teissier. Contre toute attente, elle l’a visiblement influencé sur des choix politiques majeurs (M. Onfray, Vies parallèles, de Gaulle, Mitterrand, Robert Laffont, 2021 ; E.Teissier, Sous le signe de Mitterrand, sept ans d’entretiens, éditions N°1, 1997). Sur sa fin de vie, le successeur de VGE reprit de l’intérêt pour la religion. Ainsi il conversa souvent avec le philosophe catholique Jean Guitton et visita beaucoup de cathédrales et d’églises. Sa maladie l’amena bien sûr à penser à la mort et à côtoyer Marie de Hennezel, psychologue et psychanalyste. Celle-ci raconta dans son dernier livre, Croire aux forces de l’esprit (Fayard, 2016), l’amitié spirituelle qu’elle a entretenue avec le président pendant douze ans, dévoilant le secret de sa quête spirituelle.
En tout état de cause, ne serait-ce que pour l’histoire, F.Mitterrand est le président qui est resté (et restera) le plus longtemps à la tête de l’Etat : quatorze ans !
Suite parue le 20/07.
Raphaël PIASTRA, Maître de Conférences en droit public des Universités ; consultant Institutions publiques et collectivités territoriales