Parmi les dernières décisions prises par le gouvernement d’Edouard Philippe, la France, via sa représentation permanente auprès de l’Union Européenne, a adressé au Conseil de l’Union Européenne sa liste des 24 membres composant la nouvelle délégation française du Comité Economique et Social Européen. Ce renouvellement est l’occasion de découvrir une institution largement méconnue mais indispensable au fonctionnement des institutions européennes.
Une recherche de consensus
Le Comité Economique et Social Européen a été créé le 25 mars 1957 par le traité de Rome. Il lui a été demandé selon les termes de Walter Hallstein, premier président de la Commission Européenne, de faire connaître auprès des institutions « le point de vue technique et les soucis de la population » des pays membres.
Le rôle du Comité est de fournir sur la plupart des grands sujets européens des avis exprimant les intérêts de la société civile organisée.
Ce comité est composé de 329 membres depuis le départ des 24 membres britanniques en janvier 2020. Les membres sont répartis en nombre égal en trois groupes ; celui des employeurs, des organisations syndicales et des groupes d’intérêt divers à l’exemple des associations de consommateurs ou des ONG environnementales.
Le nombre de membres par pays dépend du poids de la population totale ; la France, l’Allemagne et l’Italie désignent 24 membres alors que le Luxembourg, Chypre ou Malte n’en comportent que 6 ou 5. Les membres sont nommés pour cinq années et se répartissent au sein des différentes sections spécialisées.
Comme l’indiquait Roger de Staerke, premier président du CES européen, son rôle était de « trouver des arrangements qui marchent ».
Concrètement, cela signifie que l’objectif recherché n’est pas d’emporter un vote majoritaire, mais de recueillir les plus vastes adhésions de l’ensemble des conseillers à l’occasion d’une des sessions plénières qui se déroulent en moyenne toutes les cinq semaines. La culture interne est marquée par des échanges permanents visant à obtenir le consensus le plus large sur des avis demandés par le Conseil de l’Union Européenne, le Parlement Européen ou la Commission Européenne. Les membres disposent également d’un droit d’initiative. Le Comité Economique et Social Européen prononce en moyenne 150 avis par an dont 20 % selon la procédure de l’avis d’initiative.
Un rôle en extension
Le CES européen a progressivement élargi ses prérogatives, notamment après 1992 et le traité de Maastricht qui a accru ses domaines d’intervention, puis en 2007 par le traité de Lisbonne.
Le Comité a lancé en 2010 la première opération « Votre Europe, votre avis » permettant à des lycéens des Etats membres de venir débattre de l’Europe et apprendre à travailler dans une atmosphère multiculturelle. Au printemps 2020, une opération de simulation d’une négociation climatique devait être effectuée par des lycéens européens, mais la crise de la Covid-19 a empêché l’événement de se dérouler.
Parmi les réussites du Comité, il faut citer la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux, votée par le Comité au début des années 80 et qui appuya fortement Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, pour engager le tournant d’une Europe conçue comme un simple organe de coopération économique, « le Marché commun » vers une Europe davantage sociale.
En 2013, le Comité vota un avis d’initiative relatif à la consommation durable, cet avis que j’avais eu l’honneur de piloter, fut voté à l’unanimité des membres, il ouvrit la voie aux politiques européennes visant à favoriser la durabilité des produits et à lutter contre l’obsolescence programmée. Cet avis, premier texte européen sur le sujet, servit de fondement à une résolution du Parlement européen votée en 2017 et au nouveau plan d’action économie circulaire publié par la Commission Européenne en mars 2020.
En 2018, notre Comité accueillit un panel représentatif de citoyens européens afin de préparer le questionnaire qui allait servir de base aux consultations citoyennes sur l’Europe.
L’avenir du Comité
Comme le Conseil Economique Social et Environnemental français, le CES européen est soumis à de multiples pressions relatives à son évolution. Les principales menaces proviennent du numérique qui fournit à de nombreux décideurs européens l’illusion de pouvoir connaître en temps réel les attentes des citoyens européens tout en bénéficiant d’une image de modernité. Le second danger repose sur la multiplication d’organes spécifiques de rencontres des parties prenantes, chaque institution européenne semble de plus en plus vouloir se doter de sa propre structure de conseil. La réalité est que le CES européen est un organe unique, nécessaire et irremplaçable. Il offre la seule occasion pour un ensemble de représentants européens d’intérêts très divers et parfois contradictoires de se rencontrer et de tâcher de se mettre d’accord sur un texte capable d’influencer les décisions de la Commission, du Parlement ou du Conseil de l’Union Européenne.
Certes, tous les avis ne sont pas d’une qualité égale, mais seul un dialogue civil permanent et organisé permet à l’Europe de refléter plus fidèlement les attentes de ses citoyens.
Par ailleurs, les membres du Comité n’ont pas seulement un rôle d’influence auprès des institutions européennes, ils exercent également un rôle de passerelle des enjeux européens auprès de leurs propres organisations. Non seulement ils reflètent la société civile organisée à Bruxelles, mais ils apportent la dimension européenne dans l’ensemble des organisations nationales dont ils sont membres.
Pour conforter sa légitimité, le CES européen devra toutefois continuer à s’ouvrir, améliorer toujours davantage sa représentation, notamment en s’élargissant à de nouvelles catégories comme les droits de l’homme ou la jeunesse et innover en expérimentant de nouveaux dispositifs comme la convention citoyenne réalisée par nos homologues français.
Les 24 nouveaux membres doivent encore voir leur nomination validée par le Conseil de l’Union Européenne, vraisemblablement en septembre prochain. La session officielle d’installation du nouveau Comité se déroulera du 27 au 29 octobre 2020. Les membres pourront ainsi accompagner la prochaine présidence française de l’Union Européenne au premier semestre 2022.
Thierry Libaert
Membre du Comité Economique et Social Européen et du Comité d’Orientation du GIE « Toute l’Europe », premier site d’information francophone sur l’Union Européenne.