Voici quelques temps nous disions dans ces colonnes que le président Macron devait se démettre ou se soumettre. Etant donné l’état du pays et surtout la situation politique critique qu’il a provoquée, cela devient une impérieuse nécessité qu’il se démette. Avant lui, un président l’a fait. Il lui faudrait prendre de la graine.
En 1969, le général de Gaulle a tenté un ultime « coup », le référendum. « Mon père était élu par référendum » nous a un jour confié l’Amiral de Gaulle. Effectivement avec celui de 1961 concernant l’autodétermination en Algérie ; les deux de 1962 concernant les « accords d’Évian » puis l’élection du Président de la République au suffrage universel direct ; et enfin celui de 1969 concernant la création des régions et la rénovation du Sénat ; cela fait 4 référendums. Soit sur 11 ans de présidence, un référendum presque tous les 3 ans. Etant donné qu’il y adjoignait une dimension plébiscitaire, il remit en cause systématiquement son mandat. Et en 1969, défait par le suffrage universel, il mit à exécution et quitta le pouvoir. Si l’on rajoute les deux dissolutions (1962 et 1968) qu’il gagna haut la main,
il n’est pas un seul de ses successeurs qui rechercha autant l’onction populaire.
Notre collègue Frédéric Bon a publié au printemps 1970 un lumineux article intitulé : Le référendum du 27 avril 1969 : suicide politique ou nécessité stratégique ? (Revue Française de Sciences Politiques, Année 1970 20-2 pp. 205-223). Nous oserions dire un peu des deux ! En tout état de cause, alors que personne n’osait y croire, le général quitta l’Elysée. Ainsi le 28 avril 1969 à minuit dix, par un communiqué laconique depuis Colombey-les-Deux-Églises il déclare : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi ». Ce sera son dernier communiqué politique. Il ne s’occupera plus de politique et, pour mieux fuir le microcosme, il partira en séjours à l’étranger, notamment en Irlande. C’est d’ailleurs là-bas qu’il votera par procuration à la présidentielle de 1969. Et puis le général s’enferme dans son bureau pour écrire ses Mémoires d’espoir qui prendront la suite des Mémoires de guerre. A Colombey il mène une existence simple, retirée voire recluse, jusqu’à son décès en 1970. Il lui restait à peine trois ans à faire à la présidence. Même si une certaine usure c’était fait jour (Mai 68), il pouvait encore présider. Il l’avait même évoqué en citant Pompidou comme éventuel successeur. A. Peyrefitte en atteste dans ses Mémoires. A cette époque, en tout état de cause, économiquement la France allait bien.
Sa politique étrangère était respectée et influente notamment car elle était une puissance atomique en voie de devenir nucléaire. Chaque pouvoir était à sa place.
Le Président fixait les caps principaux et se chargeait de la diplomatie et de la défense. Le gouvernement mettait en exécution les caps, sous la direction du Premier Ministre, avec le soutien d’une majorité. Schéma présidentialiste idoine qui fonctionna très bien de 1958 à 1986. Même en cohabitation, le schéma se reparlementarisait, le président était plutôt replié sur son Aventin élyséen mais le pays restait géré de façon plutôt équilibrée.
Et puis est arrivé E. Macron et son élection hold-up de 2017. Et avec lui, très vite, une accentuation aussi prononcée qu’inédite de dégradation de la fonction présidentielle (nous l’avons relaté dans ces colonnes à plusieurs reprises). Et l’on en est arrivé à ce printemps 2024 de tous les dangers, sorte de quintessence des nuisances apportées à notre système politico-institutionnel par ce huitième président de la Vé. Rappelons- en les grandes lignes. D’abord un scrutin européen, des 8 et 9 Juin, au terme duquel sa liste (il l’a confectionné pour l’essentiel) subit un cuisant revers. C’est avant tout son échec car il s’est investi dans la campagne, notamment contre le RN, comme aucun de ses prédécesseurs. Même l’ARCOM a pointé du doigt cette situation. Le président semble tellement vexé (sa susceptibilité est connue ) que le 9 Juin il prononce, de façon tout à fait inattendue, la dissolution. Là encore, c’est un échec pour ses troupes notamment au 1er tour qui couronne le RN. Pour le second tour, E. Macron ne sera pas le dernier à prôner en sous-main, des alliances avec le NFP afin de barrer la route au RN. Le fameux « front républicain » dont nous avons parlé ici aussi. Résultat ? Une majorité introuvable à trois blocs, comme il y en avait sous les III è et IVe républiques. Alors face à cela, en cet été olympique, E. Macron décide que le gouvernement Attal sera intérimaire jusqu’à la rentrée. C’est sa fumeuse « trêve olympique ». Après avoir ouvert un « bal des prétendants », absolument guignolesque, pour Matignon, il désigne M. Barnier (auquel avec M. Kohler il songeait en vrai depuis Juillet). Et puis c’est la cruelle phase du budget qui doit supporter une dette de près de 1000 milliards accumulés depuis 2017. Notre analyse de la semaine dernière dans ces colonnes démontre que la « faute » doit être principalement imputée au président Macron. Les débats sur les budgets (général et sécurité sociale) ont démontré que, finalement, vu la configuration des majorités, c’était le retour des marchandages et des bidouillages. A l’heure où paraitront ces lignes, on aura peut-être eu une motion de censure qui aura fait chuter, comme il fallait s’y attendre, le gouvernement Barnier. Alors le président devra nommer un autre gouvernement. Comme la majorité parlementaire n’aura pas bougé, ce sera encore un « machin » pas possible. L’absence temporaire de dissolution (gelée jusqu’au printemps 2025) ne simplifiera pas les choses.
Alors oui, il existe une autre hypothèse. Ultimum remedium, la démission du chef de l’Etat.
Car, n’oublions pas que tous les sondages se rejoignent depuis 6 mois, voire plus, pour montrer que c’est la personne d’E. Macron qui est rejetée. Plus encore que les considérations, certes majeures, de majorité ou de budget. E. Macron est devenu le problème. Une sorte de « nœud gordien » comme l’a si bien écrit G. Pompidou.
Comme l’a fait le général de Gaulle en 1969, il « suffira » au président de remettre sa démission au moment où il le jugera opportun. Il s’en suivra l’application de l’art. 7 C sur la vacance de la fonction. Ce sera au président du Sénat (M. Larcher en l’espèce) d’assurer alors l’intérim. Il exercera l’essentiel des pouvoirs présidentiels à l’exception des art. 11 (référendum) et 12 (dissolution). Mais à la vérité, il expédiera les affaires courantes et préparera la future élection présidentielle. A noter que c’est le CC qui constate la vacance (et sa date) et l’élection se déroule entre 20 et 30 jours après ladite vacance.
Pour le référendum de 1969 F. Bon a parlé, on l’a vu, de « suicide politique » ou de « nécessité stratégique ». Selon nous ce fut aussi une manière pour le général de sortir parle haut. Si tant est qu’il en ait eu besoin car, durant toute sa présidence, il a toujours prôné et pratiqué cet adage : « prenez invariablement la position la plus élevée, c’est généralement la moins encombrée ».
Pour M. Macron ce serait, à notre avis, la seule solution pour essayer de sortir le moins mal possible de l’histoire. Pour, peut-être aussi, mettre le pays face à ses réalités ? Et puis, surtout, réfléchir sur soi-même….
“Est-ce que, lorsqu’on sait que l’on va partir, on acquiert une lucidité qu’on n’a pas eue auparavant ?” (G. Simenon).
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités.