Pour Caroline Cayeux, présidente de Villes de France, la transition énergétique implique une nouvelle gouvernance qui devra réunir l’ensemble des acteurs représentant les différentes échelles géographiques.
Revue Politique et Parlementaire – Lors de vos 6es Assises, vous avez rappelé le rôle majeur joué par l’échelon local dans la transition énergétique. Quelles sont les grandes lignes de vos demandes et que pensez-vous à cet égard des réponses apportées par le projet de loi ?
Caroline Cayeux – Le projet de loi sur la transition énergétique va concerner les collectivités territoriales directement. Nous avons participé au Débat national sur la transition énergétique et nous avons déposé d’ailleurs une contribution remarquée à ce sujet.
L’échelon local des villes et de leurs intercommunalités est tout particulièrement pertinent pour intégrer les enjeux de la transition énergétique. En effet, les gisements de sobriété et d’efficacité énergétiques émergent prioritairement à ce niveau. Ce sont les acteurs locaux, comme les villes ou les intercommunalités, qui disposent des leviers de l’action publique, qu’il s’agisse des grands services urbains tels que l’habitat, les transports, les infrastructures publiques, les espaces verts, la collecte et le traitement des déchets, auxquels s’ajoute la “compétence urbanisme”, qui gèrent de façon stratégique le développement urbain. Légalement, c’est la ville (ou l’intercommunalité) qui est en charge des politiques énergétiques et des projets de développement durable. Elle réalise de nombreux documents de planification tel que le Plan climat énergie territorial (PCET) ou encore l’Agenda 21, la mettant ainsi au cœur des dispositifs de maîtrise de la demande d’énergie.
Dans le projet de loi, les collectivités sont très sollicitées pour permettre à la France d’atteindre de justes objectifs de maîtrise de l’énergie. Beaucoup d’ambitions et bien peu de moyens. On peut faire déjà un petit inventaire à la Prévert ensemble si vous le voulez : obligations pour la rénovation des bâtiments, système des tiers financeurs pour les travaux de rénovation des particuliers, nouvelles exigences dans les documents d’urbanisme, le transport propre et l’obligation de mettre en place sept millions de points de recharge pour les voitures électriques en France (alors qu’il n’y en a que 10 000 aujourd’hui), le tri à la source des biodéchets par les collectivités, comme aussi la mise en place de nouveaux schémas divers et variés et d’études à réaliser…
Pour l’ensemble des observateurs, les financements proposés par l’État seront clairement insuffisants pour faire face aux ambitions finales du texte. Prenant acte de l’incapacité financière de l’État d’aider directement les collectivités et les acteurs privés à mettre en place la transition énergétique, le ministère avait convoqué en juin dernier une conférence ayant vocation à mobiliser les investisseurs, publics et privés, autour des enjeux et principaux mécanismes de financement possibles. J’avoue rester dans l’expectative. C’est un peu un aveu d’impuissance.
RPP – La transition énergétique ne peut réussir sans la mobilisation des parties prenantes de la société, qu’il s’agisse des collectivités mais également des entreprises et des citoyens. Quel mode de gouvernance et quel cadre juridique vous paraissent-ils pertinents pour réussir une telle mobilisation ?
Caroline Cayeux – En effet, la transition énergétique ne peut réussir sans la mobilisation de l’ensemble des parties prenantes de la société : entreprises, collectivités territoriales, citoyens… Les élus ont un rôle essentiel dans la mobilisation de tous. Ils doivent être exemplaires pour impulser et coordonner les actions à mener. Cette double légitimité doit permettre aux représentants des villes d’être davantage consultés afin de défendre au mieux les intérêts des citoyens. Par ailleurs, les acteurs locaux ont, de par la loi, le statut d’autorité concédante dans le domaine de l’électricité.
Ainsi, “Villes de France” est favorable à l’ouverture des organes de décision et de consultation des entreprises publiques aux élus légitimes en la matière, rééquilibrant ainsi les rapports de forces en vue d’une meilleure gouvernance, et cela dans un cadre juridique spécifique. Par souci d’efficacité et de transparence, il serait nécessaire de privilégier la concertation approfondie entre les parties prenantes et les échelons locaux en matière de plan d’investissement réseau afin de répondre aux objectifs d’énergies renouvelables. De plus, la mise en cohérence des différents documents d’urbanisme (SCOT, PLU) m’apparaît souhaitable.
La transition énergétique, qui ne peut se faire qu’à long terme, implique une nouvelle gouvernance. Celle-ci devra réunir l’ensemble des acteurs représentants les différentes échelles géographiques.
RPP – La future loi telle qu’elle est présentée ne met pas en cause les fondements historiques de la stratégie française en matière énergétique. Les expériences réalisées à cet égard dans d’autres pays européens, l’Allemagne ou la Finlande par exemple, retiennent l’attention. L’Institut Choiseul a d’ailleurs publié un état des lieux comparatifs. Quelles conclusions en tirez-vous pour notre pays notamment en matière de mix énergétique et de hausse des prix ?
Caroline Cayeux – Je ne partage pas tout à fait votre opinion. Ce texte remet en cause durablement la stratégie française en matière énergétique car il vise à permettre de baisser la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025. Au regard du mix énergétique français actuel, c’est plutôt un objectif révolutionnaire. Mais, il demeure évident que l’Europe doit aujourd’hui trouver une solution à la pertinence économique et technique des énergies renouvelables. Il n’y a aucune raison que ce secteur fonctionne en dehors de règles fondées sur le marché et la concurrence. Un marché du carbone organisé autour d’un prix raisonnable et suffisamment incitatif pour encourager aux économies d’énergies, l’adoption d’équipements performants, pourrait contribuer à unifier la politique européenne.
Ce que ne doit pas être, en revanche, cette politique européenne de l’énergie : une politique qui semble s’opposer au nucléaire, mais laisse certains pays, dont l’Allemagne, se rééquiper en centrales à charbon. Une vraie politique énergétique doit combattre surtout le charbon. La réduction des consommations d’énergies fossiles s’inscrit dans les défis de la transition énergétique. Rappelons-le, l’Union européenne des 27, dans son “paquet énergie climat” avait fixé des objectifs ambitieux à travers la directive des trois fois vingt : elle consiste à réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, à accroître de 20 % l’efficacité énergétique et à porter à 20 % la contribution des énergies renouvelables dans les bilans énergétiques. À ce titre, l’électricité en France constitue un véritable atout dans le cadre de la transition énergétique : au regard de la sécurité d’approvisionnement et en termes d’émission avec une production d’électricité à 90 % sans CO2.
RPP – Le gestionnaire du réseau électrique, RTE, vient de publier son quatrième schéma décennal de développement du réseau. Près de 15 milliards d’euros sur dix ans devraient être investis. Qu’attendez-vous du gestionnaire du réseau d’autant que vous êtes particulièrement concernée par la question des liaisons travail/habitat ?
Caroline Cayeux – J’ai pris bonne note de la volonté affichée de RTE de renforcer la capacité du réseau là où risquent d’apparaître des “goulots d’étranglement”, pour permettre la fluidité des échanges entre territoires excédentaires et déficitaires en électricité. Selon ce schéma, des connexions entres les villes petites, moyennes et grandes semblent être au cœur des projets, comme Lille-Arras, Charleville-Reims, Cergy-Persan dans le Val d’Oise, ou encore des projets Lyon-Montélimar ou Midi-Provence. Cette évolution est surtout la conséquence directe, et sans surprises majeures, des grandes orientations prises par le gouvernement, avec la fermeture de certaines centrales au charbon ou au fioul, l’arrêt de la production de la centrale nucléaire de Fessenheim, ou la future mise en service de l’EPR de Flamanville.
Au-delà des infrastructures, il faut aussi rappeler que nous importe beaucoup la dimension financière. En effet, le rapport de la Cour des comptes sur les concessions de distribution d’électricité, publié en février 2013, avait à juste titre reconnu les vertus du modèle actuel de la distribution. “Villes de France” est très attachée à la péréquation tarifaire. À cet égard, la péréquation permet de distribuer l’électricité en tous points du territoire au même tarif, de la plus grande métropole, au plus petit village de montagne, en passant par maillage urbain. Ce mécanisme ne prend pas seulement en compte la distribution d’électricité, mais aussi le transport. Les sources de production étant généralement éloignées des centres urbains, les villes bénéficient de la péréquation tarifaire.
Nous devons rappeler que le développement croissant des sources d’énergies renouvelables décentralisées, consommées localement, ne permet pas de diminuer les besoins de développement des réseaux électriques, bien au contraire. En effet, les réseaux électriques sont dimensionnés pour faire face aux situations dans lesquelles la production renouvelable est nulle (pas de soleil, pas de vent…). De plus, les lieux d’implantation des énergies renouvelables sont généralement diffus, ce qui implique la construction de nouvelles lignes électriques pour les relier au réseau. Les villes et intercommunalités en sont parfaitement conscientes, devant s’adapter à la multiplication des travaux liés au raccordement des énergies renouvelables dans leurs villes.
RPP – Enfin, quelle serait la part dans votre mix idéal des diverses ressources énergétiques ?
Caroline Cayeux – Les politiques énergétiques devront impérativement promouvoir des sources d’énergie sobre en carbone (hydraulique, biomasse, nucléaire, gaz naturel, éolienne, solaire…), mais également encourager des modes de consommation moins énergivores : c’est-à-dire organiser la véritable transition énergétique.
Toutefois, lors du Débat national sur la transition énergétique, nous avions proposé un mix énergétique équilibré qui conjugue compétitivité économique, performance écologique et solidarité entre les territoires. Cela avait fait un peu polémique alors… Notre position reste inchangée aujourd’hui. “Villes de France” avait rappelé, notamment par la voix de mon prédécesseur Christian Pierret, que l’énergie nucléaire reste encore irremplaçable. C’est un fait reconnu, même par les promoteurs du projet de loi sur la transition énergétique. Il en va de l’indépendance stratégique de notre pays et aussi du pouvoir d’achat de nos concitoyens.
Notre mix énergétique doit répondre aux impératifs écologiques, mais aussi tenir compte des priorités économiques et sociales. L’enjeu stratégique pour la France, c’est à notre avis essentiellement la maîtrise de l’énergie et la baisse de l’usage des fossiles dans les bâtiments et les transports, qui représentent 70 % de notre consommation d’énergie.
Les villes et leurs intercommunalités sont des consommateurs d’énergie importants. Les dépenses d’énergie représentent près de 4 % de nos dépenses de fonctionnement. Pour une ville de 10 000 à 50 000 habitants, je précise que la facture énergétique équivaut à 40 euros par habitant et par an. Toutes les communes françaises dépensent ensemble chaque année 2,2 milliards d’euros en achats d’énergie. Nous sommes, vous le voyez, de très gros consommateurs.
C’est donc sur la maîtrise de la dépense où la transition doit avoir le plus d’impact. La transition énergétique, nous y avons certes un intérêt écologique, mais aussi un impératif financier.
Carole Cayeux, présidente de Villes de France, sénateur de l’Oise, maire de Beauvais