Le groupe Wagner est une société militaire privée (SMP) d’origine russe qui, comme les autres structures de ce type dans le monde, cherche à tirer profit des crises et conflits. Ce groupe est intervenu en Syrie, un pays en crise depuis 2011 et où la Russie intervient officiellement en 2015. Cet article a pour but d’éclairer le rôle et le plan d’action du groupe en Syrie, de son engagement au profit du président syrien Al Assad, jusqu’à son affaiblissement et son retrait de Khoucham (région de Deir Ez-Zor) en 2018.
Les soldats de fortune, hier simples mercenaires, sont aujourd’hui regroupés au sein de SMP, sociétés militaires (ou sécuritaires) privées « SMP ». La question de leur légitimité n’a toujours pas été abordée par le droit international et leurs activités ne sont donc pas interdites. Compte-tenu des restrictions juridiques en matière d’ingérence, certains acteurs de la scène internationale sont enclins à faire appel aux SMP. En effet, si une telle société dispose d’un contrat avec l’une des parties légitime du conflit, son intervention devient légale et sans contrainte face au droit international. De ce fait, les SMP constituent une nouvelle solution afin de faire face aux risques sécuritaires, voire de gérer les conflits. À partir des années 90, le recours aux SMP a soudainement augmenté, la plus connue d’entre elles étant Blackwater Worldwide qui a acquis une certaine notoriété par ses opérations Irak et en Afghanistan. Dès les années 2000, le même type de société se développe en Russie et agissent principalement au Moyen-Orient et en Afrique. Les opérations du groupe Wagner ont ainsi fait naître de grandes interrogations quant à leurs relations avec le Kremlin car ce groupe est exclusivement intervenu dans des pays stratégiques pour la Russie, tels l’Ukraine, la Libye ou encore la Syrie.
Aujourd’hui, à l’heure où l’apparition de Wagner au Mali tend les relations entre la France et la Russie, l’action de cette société en Syrie est révélatrice de ses capacités, mais aussi de ses limites.
La Syrie est en crise politique et sécuritaire depuis 2011 dans le cadre des évènements du Printemps Arabe, qui a très vite dégénéré pour se transformer en une véritable guerre civile avec de nombreuses implications étrangères. Dès 2013, face à la dureté des combats, le président syrien fait appel au Corps Slave1, une SMP dirigée par un ancien agent du renseignement militaire russe (GRU), Dimitri Outkin2. À la suite des échecs que connaît cette SMP en Syrie, Dimitri Outkin crée en 2014, grâce au financement de l’homme d’affaire russe Yevgeny Prigozhin3, le groupe Wagner, présent lors des évènements qui se déroulent dans l’Est de l’Ukraine et en Crimée. Actif en Afrique et plus particulièrement en République centrafricaine, le groupe Wagner participe activement à l’extension de l’influence russe dans la région4.
En 2015, dans une Syrie ravagée par l’État Islamique (EI) et face aux menaces d’interventions occidentales, le président Al Assad décide de faire appel à la Russie via une demande officielle formulée le 30 septembre 2015, dans le cadre du principe juridique international de la légitime défense5.
Dans ce conflit, la Syrie, tout comme la Russie et le groupe Wagner, se trouve prise avec des ennemis intérieurs et extérieurs.
L’ennemi intérieur est principalement constitué des organisations terroristes comme l’EI, le Front de la Victoire (Djabhat Al Nosrah), ainsi que par les rebelles de l’Armée Syrienne Libre (ASL – Djaish Al Hor), soutenue par la Turquie dès le début du conflit syrien. À ces organisations s’ajoutent certaines forces Kurdes, premier allié des États-Unis en Syrie, qui combattent tout autant pour leur indépendance que pour bénéficier de l’exclusivité de l’exploitation du pétrole syrien.
Pour leur part, les ennemis étrangers du régime syrien sont principalement les États frontaliers ou régionaux en conflit direct ou indirect avec la Syrie, à savoir la Turquie, le Qatar et l’Arabie Saoudite. Ces pays, tout comme les organisations terroristes, ont leurs propres buts et agendas en Syrie. Ces ambitions, principalement de nature économique, ne peuvent toutefois se réaliser qu’au travers de la chute du régime d’Al Assad.
C’est donc dans ce cadre et dans celui de l’intervention militaire officielle russe en Syrie, que le groupe Wagner se voit chargé de missions ponctuelles à la demande conjointe des gouvernements de Moscou et Damas. Le rôle assigné au groupe Wagner est double : assurer la protection des installations pétrolières principalement dans l’Est de la Syrie, et soutenir les armées officielles russe et syrienne par l’engagement de mercenaires rompus à la tactique russe lors des batailles les plus violentes contre l’EI.
1/ Protection des installations pétrolières
Dans ce domaine, l’action du groupe Wagner a été de sécuriser les zones pétrolières les plus importantes situées dans les régions rurales de Deir Ez-Zor, où sont présents bon nombre d’intervenants et acteurs importants du conflit syrien. Cette tâche de protection des sites, mais aussi d’encaissement des dividendes de la vente du pétrole est en fait démesurée du fait de la complexité politique et de la taille géographique de cette région. Le tout étant encore compliqué par les bombardements de l’armée américaine, effectués en soutien aux Kurdes.
En outre, suite à la bataille de Palmyre, le groupe Wagner a également été chargé de nettoyer de l’EI le champ pétrolier syrien Al Sha’er à Homs, après qu’il ait été impossible de le libérer simplement par une intervention aérienne. En échange de son aide, Wagner reçoit 25% des bénéfices provenant des champs pétroliers syriens, soit un montant de 162 millions de dollars.
Avec l’obtention du contrat syrien, le groupe Wagner se doit de renforcer son effectif par le recrutement, en 1 mois, de 500 à 600 mercenaires pour servir à Deir Ez-Zor, face à la double menace kurde et américaine.
Cependant, Wagner ne dispose ni de la puissance ni des moyens d’un État et dépend donc principalement des bases militaires russes pour la réalisation de son contrat. Ces bases servent en particulier à l’entraînement et au ravitaillement en nourriture et en armes du groupe. Les principales bases utilisées par le groupe H’memim (située dans le gouvernorat de Lattaquié), et de Homs, dont la Russie a obtenu du gouvernement syrien, en 2017, un contrat d‘exploitation pour une durée de 49 ans. En outre, pour ce qui est de l’armement, les combattants de Wagner, souvent d’anciens militaires, ont une parfaite maîtrise de l’armement russe et de son fonctionnement.
2/ Soutien tactique en faveur de l’Armée Arabe Syrienne (AAS)
Depuis 2011, l’AAS est engagée dans un combat impitoyable contre le terrorisme international sans toutefois, dans un premier temps, sembler pouvoir l’emporter. Dans ce contexte, outre les frappes aériennes et la présence de troupes spéciales russes, le rôle des équipes de Wagner est d’épauler l’armée syrienne dans les combats comme ceux de Palmyre et de Khoucham, mais aussi de former des officiers syriens afin qu’ils puissent interagir avec leurs homologues russes dans les meilleures conditions.
Située dans la région d’Homs, au cœur de la Syrie, la ville historique de Palmyre (Tadmur) est un point stratégique. Entre 2015 et 2017, l’EI tente à quatre reprises de prendre la ville. Les combats les plus importants sont ceux de mars 2016 où, sur le terrain, l’action du groupe Wagner est déterminante. Celle-ci est conjuguée à la présence des forces spéciales russes, des milices chiites irakiennes dont le Regroupement Populaire Irakien (Al Hashd Al Sha’bi Al Iraqi) et du Hezbollahlibanais. En même temps, dans les airs, l’aviation russe effectue 41 sorties en 24 heures. Pour bien comprendre le rôle déterminant du groupe Wagner à Palmyre, il faut revenir sur les circonstances particulières du moment.
À plusieurs reprises, l’AAS a été mise à mal par l’EI dans les combats terrestres. Dans ces conditions, l’armée russe ne pouvait se permettre de subir ce type d’humiliation.
Ainsi, le rôle dévolu au groupe Wagner a donc été de préparer le terrain d’une manière pour le moins non conventionnelle en reprenant à son actifs les techniques de guérilla utilisées avec succès par l’EI (décapitations, tortures afin d’obtenir des informations, recrutement de nombreux membres de l’EI sous la menace de s’en prendre aux membres de leur familles etc.).
Ainsi, la victoire de Palmyre a été en grande partie emportée grâce au groupe Wagner, ce qui permet à l’AAS de retrouver une dignité perdue et de poursuivre les combats avec une plus grande assurance.
L’autre engagement d’importance du groupe Wagner a été la bataille de Khoucham (Khasham), l’une des villes stratégiques de l’Est syrien à la fois par sa situation politique, car elle abrite en effet différents partis qui sont la clé du conflit syrien, et par sa richesse en hydrocarbures.
Ainsi, dans le cadre plus large des opérations conduites autour de Deir Ez-Zor , les combats à Khoucham en février 2018 conduisent les détachements du groupe Wagner, déployé en soutien des troupes de l’AAS, à être confrontés aux forces de la coalition occidentale menée par les Etats-Unis. Pour la première fois, les combattants de Wagner se sont retrouvés face à face avec les forces américaines. L’attaque des forces de la coalition, conduite contre l’AAS – et donc en violation de la souveraineté syrienne – a été particulièrement sanglante. La Russie a reconnu officiellement 5 morts, des officiers d’active, alors que le groupe Wagner a connu plus de 200 morts, et 55 morts pour l’AAS. Pour sa part, la coalition occidentale a déclaré plus de 100 morts et la perte de 45 civils. En 24 heures – du 7 au 8 février 2018 – cette bataille a marqué à la fois la fin de l’EI dans la région, et donc une victoire pour les États-Unis, mais aussi un considérable affaiblissement du groupe Wagner, du fait d’une erreur stratégique. Le groupe a en effet été engagé pour le compte de l’armée syrienne à l’insu de l’armée russe. Une telle conduite a marqué l’arrêt de l’aide apportée par l’armée russe au groupe Wagner sur ce terrain d’opération, son affaiblissement et finalement son retrait de Syrie courant 2018.
Conclusion
Au final, le groupe Wagner reste un prestataire classique doté d’une doctrine propre à la Russie : servir la Patrie tout en s’enrichissant des contrats provenant exclusivement d’États en crise recherchant l’aide russe.
En fait, le rôle du groupe en Syrie reste secondaire et consistait principalement à protéger les installations pétrolières syriennes en échange du quart de la production de ces dernières. À ces opérations s’ajoute le soutien apporté aux militaires russes lors de leurs offensives, en contrepartie de l’emploi de leur armement et de l’utilisation des bases militaires russes en Syrie. Il est à préciser que les mercenaires du groupe n’ont guère le choix : combattre et revenir victorieux pour recevoir les honneurs du Kremlin6, ou bien mourir sur le champ de bataille ou encore dans des circonstances non élucidées de retour en Russie7. Un tel choix explique aussi la forte motivation des combattants de Wagner qui ne sont pas des fonctionnaires de la guerre, mais des mercenaires, de réels soldats de fortune.
Wahiba ZEINO
Chercheure au Laboratoire d’Études et de
Recherches en Relations internationales de l’université d’Alger 03
Diplômée en Master de Science Politique de l’université
Sorbonne Paris Nord
Bibliographie sélective
- ALLOU Ahmad, « les bases militaires en Syrie », site officiel de l’armée libanaise, n°396, publié en juin 2018, lien : القواعد العسكرية في سوريا | الموقع الرسمي للجيش اللبناني (lebarmy.gov.lb) (Ar)
- ALSAADI Salam, « Les objectifs à long terme de la Russie en Syrie », Carnegie Endowment For International Peace, publié le 06/10/2015, lien :https://carnegieendowment.org/sada/61524
- ARNOLD Thomas. D, U.S. Army, “The geoeconomic dimensions of Russian private military and security companies”, Army University Press (Military Review), novembre-decembre 2019. (En)
- Asymmetric Warfare Group & TRADOC G2, “Russian Private Military Companies: Their Use and How to Consider Them in Operations, Competition, and Conflict”, publié en avril 2020. (En)
- BERNARD Christian, « Pourquoi la Russie soutient-elle la Syrie ? », Institut Géopolitique Et Culturel Jacques Cartier (Poitiers), publié en septembre 2012.
- Le Corps Slave est une SMP filiale du groupe russe Moran, enregistrée à Hong Kong et crée par Dimitri Outkin afin d’intervenir exclusivement en Syrie à la demande du président Al Assad. À la suite de son échec, la filiale a été dissoute pour laisser place au groupe Wagner. ↩
- Chef et fondateur du groupe Wagner, Dimitri Outkin (connu sous le nom de guerre de « Wagner »), est un militaire d’origine ukrainienne ayant travaillé au sein du département principal du renseignement de la division du renseignement militaire du GRU. Retraité en 2013, il commence une nouvelle carrière dans les SMP grâce à la création du Corps Slave. ↩
- Yevgeny Prigozhin est un proche des dirigeants russes grâce aux services de consultations qu’offre son entreprise Concord Management and Consulting, mais aussi aux services de restauration que fournit Concord Catering au Kremlin. Il est l’un des hommes d’affaires les plus importants de Russie et finance en 2014 Dimitri Outkin dans la création du groupe Wagner. En 2017, Concord Management and Consulting est sanctionnée par les États Unies sous l’accusation d’avoir sollicité l’Internet Research Agency (IRA) dans le cadre d’une ingérence électronique dans les élections présidentielles américaines, en juin 2017. ↩
- L’action des membres du groupe Wagner en RCA a fait l’objet d’un film de propagande à grand spectacle, Le touriste, disponible sur YouTube https://youtu.be/wseqCN6tPA8. ↩
- Le principe de la légitime défense est ancré dans l’article 51 de la Charte des Nations-Unies. ↩
- Euromaidan Press, “Wagner mercenaries: what we know about Putin’s private army in Donbas”, publié le 19/10/2017, lien: http://euromaidanpress.com/2017/10/19/wagner-mercenaries-what-we-know-about-putins-private-army-in-donbas/ (En). ↩
- Abdel Jawad FAOUZI, «Après le Corps Slave et Wagner, La Russie ouvre la porte du volontariat pour le combat des étrangers en Syrie », Erem News, publié le 17/10/2017, lien : https://www.eremnews.com/news/world/1030411 (Ar). ↩