« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. »
« Le Président de la République veille au respect de la Constitution. »
« Le Parlement vote la loi. »
Qu’il faille encore et toujours rappeler ces règles constitutionnelles fondamentales suffit à caractériser l’état de délabrement institutionnel et politique dans lequel notre pays a glissé depuis les trois derniers quinquennats.
Chaque jour, ou presque, est marqué par une entorse à l’une ou l’autre d’entre elles, de la part des principaux responsables, soit qu’ils outrepassent les pouvoirs que nous acceptons de leur confier – « l’exécutif » comme on dit maintenant -, soit qu’ils s’en défaussent – les députés de la majorité « présidentielle » – ; ces derniers faisant passer les godillots des débuts de la Vè République pour de vulgaires charentaises…
Une nouvelle illustration vient d’en être fournie à propos d’un sujet pourtant si grave et si difficile à régler, qu’il empoisonne non seulement la vie de milliers de jeunes sans formation et sans emploi, mais aussi notre société dans son ensemble. Le sujet méritait mieux, hélas !
Pour s’en tenir aux derniers événements, Les Échos annonçaient le mardi 19 octobre, que le Premier ministre était sur le point d’exposer le projet de nouveau contrat d’engagement destiné aux jeunes en difficulté, lequel d’un coût de 500 millions d’euros, ferait l’objet d’un amendement au projet de loi de finances, afin que l’Assemblée en débatte le jeudi 4 novembre. Jusque là, rien de particulièrement surprenant et les députés allaient disposer d’un délai suffisant pour étudier le texte avant de se prononcer par leur vote.
Mais c’était faire fi de la pratique présidentielle, surtout à quelques mois de la prochaine élection…
Il n’y eut donc pas d’annonce par le chef du Gouvernement, comme cela aurait été normal et conforme à l’article 20 de la Constitution puisqu’il « détermine et conduit la politique de la Nation » ; le mot nation étant appelé à présenter un relief tout particulier en l’espèce, comme on le constatera plus loin. Non, à la place, ce fut le Président de la République, sans qu’aucune règle ne l’habilite à intervenir sur le sujet, qui s’exprima et, en plus, par le moyen d’un réseau dit social, connu pour bafouer les règles élémentaires du droit des individus et exploiter à son profit toutes les ressources du droit fiscal, afin de ne pas s’acquitter de ses impôts. Bref, un médium de référence ! Heureusement, on a reproduit le message sur le site de l’Élysée et la lecture en est pleine d’enseignements.
Dès la première phrase, le décor est posé puisqu’il s’agit d’un message destiné aux « jeunes générations », de la part du signataire…qui ne fait d’ailleurs pas référence à son titre de Président de la République. Le style est direct et marqué par « Je », à deux reprises dans « Je vous écris ». Il s’agit donc de s’adresser, sans intermédiaire, aux jeunes, selon un procédé qui s’est généralisé ces dernières années : les corps intermédiaires (Parlement, partis, collectivités, syndicats, associations…) étant considérés comme des freins à une action déterminée et rapide. Soit dit en passant, la mesure en question était attendue depuis des mois… L’urgence tiendrait à l’échec des politiques précédentes même si, d’après le signataire « le chômage des jeunes est plus faible aujourd’hui qu’avant la crise. Il n’a d’ailleurs jamais été aussi faible depuis 2008. Il demeure toutefois trop élevé et je ne me résous pas à ce que plusieurs centaines de milliers d’entre vous soient depuis trop longtemps sans emploi, souvent sans ressources. Sans perspectives. » Un autre Président, dans d’autres circonstances, aurait pu ajouter : « Je vous ai compris ! »…
En considération des règles constitutionnelles, la suite du message est des plus significatives : « C’est pour mettre fin à ce gâchis que j’ai décidé, à la suite de ce que je vous avais annoncé le 12 juillet, de lancer le Contrat Engagement Jeune. 1» Tout est là. Le signataire a décidé. Aucune allusion au Parlement ni au Gouvernement. Que la Constitution ne l’y autorise pas ne présente plus aucune importance et, d’ailleurs, un seul journaliste a-t-il relevé le fait ? Ni ceux de France culture, ni ceux du Monde, le jour même, en tout cas, trop habitués à limiter, sinon à limer, leurs commentaires. Certes, aucune ambiguïté ne subsiste dès la lecture du document sur le site de l’Élysée, puisque son titre est : « Lancement du Contrat Engagement Jeune ». Toute la pratique de la « République » française contemporaine est résumée là : un Président qui s’adresse directement à ses sujets pour leur annoncer sa décision et des media disciplinés, réduits au rôle de relai de propagande. Là se situe un autre aspect caractéristique de l’épisode.
Comme on l’a rappelé précédemment, la Constitution octroie au Gouvernement la lourde tâche de déterminer et de conduire la politique de la Nation.
Or, en l’occurrence, le message présidentiel annonce aux jeunes que « la Nation sera là pour vous accompagner », autrement dit, quand le Président parle et écrit, il le fait au nom de la Nation… mais alors, quel est le rôle du Gouvernement ? De plus, le même auteur poursuit son texte par cette promesse : « Il s’agit d’une mesure simple : de l’engagement, de l’assiduité, de la motivation et un État qui vous accompagne. » Est-ce la Nation ou l’État qui accompagne ? Ou bien, dans la vision réductrice des institutions qui sous-tend le propos, les deux termes seraient-ils devenus identiques ?!
Finalement, il faudra un vote du Parlement sur le sujet, à partir d’un amendement (un de plus) au projet de loi de finances pour 2022, lequel amendement n’était pas encore déposé à l’Assemblée le 2 novembre dans l’après-midi, alors qu’elle devait en débattre le 4. Peu importe, puisque les députés de la majorité ne sont pas censés revenir sur une « décision » présidentielle déjà prise et annoncée comme telle. Que de temps perdu en procédure « inutile » puisque c’est déjà dit. Mais le plus inquiétant, hormis bien entendu le problème de fond du chômage des jeunes en difficulté, sera que la majorité des français ne réagira pas plus à cette entorse à leur règle commune, qu’ils ne l’ont fait auparavant. Inconscience ? Anesthésie médiatique ? Désintérêt civique ? Une très petite minorité d’entre eux profite, certes largement, des dérives de notre système public, mais le plus grand nombre ne tire aucun avantage de l’apathie politique qui gangrène notre société, alors, pourquoi si peu de réactions ? Le public a du mal à reprendre la route des salles de spectacles, est-ce pour cela qu’on se demande s’il y a encore un citoyen dans la salle ?
Hugues Clepkens
- Souligné dans le texte original ↩