Socle de la démocratie représentative, les élections n’en représentent pas moins un coût très important pour l’État. Afin d’évaluer l’efficience de leur organisation en France, Hervé Marseille, sénateur-maire de Meudon, a récemment rendu un rapport dans lequel il soulève un certain nombre de dysfonctionnements et formule plusieurs recommandations.
Revue Politique et Parlementaire – Pourquoi avoir rédigé un rapport sur le coût de l’organisation des élections ?

Hervé Marseille – En ma qualité de rapporteur spécial de la mission “Administration générale et territoriale de l’État” (AGTE) au sein de la commission des finances du Sénat, j’ai la possibilité d’effectuer chaque année des contrôles budgétaires sur les éléments de la dépense qui composent cette mission.
Cette année, j’ai choisi d’examiner la question du coût de l’organisation des élections, qui représente une dépense importante, afin de présenter des propositions permettant de moderniser l’organisation des élections et de réaliser des économies budgétaires.
En 2012, d’après les données du programme budgétaire 232“Vie politique, cultuelle et associative” de la mission AGTE qui regroupe les crédits consacrés à l’organisation des élections, l’élection présidentielle a représenté un coût pour l’État de 180 millions d’euros et les élections législatives un coût de 154 millions d’euros. Il s’agit d’un coût a minima, qui ne comptabilise pas toutes les dépenses de l’État associées aux élections, puisque les dépenses relatives au personnel du ministère de l’Intérieur mobilisé lors des scrutins sont retracées dans d’autres programmes budgétaires. C’est le cas par exemple des dépenses de personnels de police et de gendarmerie qui instruisent les demandes de vote par procuration. Il est en effet difficile de distinguer, au sein des dépenses de personnel du ministère de l’Intérieur, les crédits qui rémunèrent spécifiquement les agents assurant des tâches relatives à l’organisation des élections.
Dans un rapport d’avril 2015, l’Inspection générale de l’administration (IGA) a tenté de présenter un chiffrage exhaustif du coût pour l’État de l’organisation des élections de 2012, et est parvenue à un total de 437 millions d’euros.
À l’heure où il est demandé de faire des efforts de baisse de la dépense publique, il me paraît important que les élections soient organisées au meilleur coût, sans que cela ne remette en cause la sincérité des scrutins et leur bonne tenue.
RPP – Comment se répartit ce coût ?
Hervé Marseille – Le coût pour l’État de l’organisation des élections résulte principalement de deux types de dépenses. Il s’agit, d’une part, du coût de la préparation et de l’organisation matérielle du scrutin par l’administration centrale et les préfectures, des indemnités versées aux personnels mobilisés lors des scrutins ainsi que des frais d’assemblée électorale versés aux communes (c’est-à-dire des subventions versées par l’État aux communes pour compenser une partie des coûts de l’organisation des scrutins).
D’autre part, ce coût résulte des montants associés aux remboursements aux candidats des frais d’impression et d’affichage des documents de propagande électorale officiels et de leurs dépenses de campagne, sous certaines conditions.
Le tableau ci-dessous retrace les différents éléments de la dépense électorale en 2012, tels que retracés par le programme budgétaire 232.
Coût de l’organisation des élections présidentielles et législatives de 2012 (en millions d’euros)

RPP – Vous avez également relevé dans votre rapport un certain nombre de dysfonctionnements. Quels sont-ils ?
Hervé Marseille – Je pense principalement aux dysfonctionnements qui entourent la procédure d’inscription sur les listes électorales. Dans le système actuel, chaque commune gère sa propre liste électorale et envoie ses avis d’inscription à l’INSEE. L’INSEE tient un fichier général des électeurs, qui est censé permettre de mettre en cohérence les différentes listes.
Or, il existe des discordances importantes entre les listes communales et le fichier tenu par l’INSEE. Le cumul des écarts concernerait 2,5 % du corps électoral, soit 1,1 million d’électeurs. Il est donc probable qu’il y ait des cas de doubles inscriptions sur les listes.
Ceci conduit aussi à ce que les enveloppes de propagande électorale ou les cartes électorales ne puissent pas être délivrées, les électeurs n’habitant plus à l’adresse indiquée. Lors des élections européennes de 2014, près de trois millions d’enveloppes de propagande officielle n’ont pas pu être délivrées par La Poste.
RPP – Vous avez formulé dix recommandations afin d’organiser les élections au meilleur coût. Quelles sont-elles ?
Hervé Marseille – En effet, mes travaux m’ont permis de présenter dix recommandations afin d’organiser les élections au meilleur coût :
- Recommandation n° 1 : expérimenter la dématérialisation de la propagande électorale à l’occasion de l’élection présidentielle de 2017, en informant les électeurs sur les modalités d’accès aux documents de propagande en ligne.
- Recommandation n° 2 : harmoniser les décisions des commissions administratives de propagande par la rédaction d’un vadémécum recensant des “décisions-types”, afin de remédier aux différences de traitement existantes.
- Recommandation n° 3 : supprimer l’envoi des bulletins de vote au domicile de chaque électeur, qui ne présente qu’une faible utilité.
- Recommandation n° 4 : généraliser, lorsque cela est possible, l’externalisation par les préfectures de la mise sous pli de la propagande électorale.
- Recommandation n° 5 : achever le projet de dématérialisation totale du processus de vote par procuration.
- Recommandation n° 6 : expérimenter la suppression de l’envoi de la carte électorale, en prévoyant un moyen d’informer les électeurs du lieu de leur bureau de vote par affichage en mairie ou sur internet.
- Recommandation n° 7 : créer un répertoire national unique des électeurs, afin d’éviter les doubles inscriptions et de faciliter la procédure d’inscription et de radiation des électeurs.
- Recommandation n° 8 : supprimer, à terme, les commissions administratives de révision des listes électorales, qui occasionnent des lourdeurs de fonctionnement et dont la fonction de contrôle est limitée.
- Recommandation n° 9 : améliorer l’information des candidats quant aux modalités de remboursement de leurs dépenses de campagne par la rédaction d’un nouveau guide exhaustif et harmoniser les informations délivrées par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) et les services préfectoraux.
- Recommandation n° 10 : clarifier par la loi les règles d’imputation des dépenses effectuées lors de primaires“ouvertes” dans les comptes de campagne des candidats.
RPP – De nombreux élus sont réticents à la dématérialisation de la propagande électorale et à la suppression de la carte d’électeur, pourquoi ?
Hervé Marseille – La commission des finances du Sénat, sur ma proposition en qualité de rapporteur spécial de la mission“Administration générale et territoriale de l’État”, avait voté contre la dématérialisation de la propagande électorale pour les élections départementales, régionales et des assemblées de Guyane et de Martinique qui était prévue par le projet de loi de finances pour 2015. En effet, celle-ci risquait de provoquer des inégalités d’accès à l’information entre les citoyens, certains n’étant pas reliés à Internet ou ayant un accès difficile aux contenus disponibles en ligne. Par ailleurs, il paraissait peu judicieux de réaliser une telle réforme alors même que le mode de scrutin des élections départementales avait été profondément modifié et que les cantons avaient fait l’objet d’un redécoupage à travers la loi du 17 mai 2013.
Dans le cadre de ce rapport, je propose d’expérimenter la dématérialisation de la propagande à l’occasion de la prochaine élection présidentielle. La forte couverture médiatique lors de cette élection assure aux candidats une publicité suffisante et par conséquent une large diffusion de leurs idées et de leurs programmes politiques auprès des électeurs. Par ailleurs, le nombre limité de candidatures lors de ces élections garantirait un accès aisé aux professions de foi des candidats sur Internet. Notons enfin que celle-ci nécessiterait de prévoir des moyens d’information pour les électeurs, et en particulier la conduite d’une campagne d’information ambitieuse sur ces nouvelles modalités de consultation de la propagande électorale ainsi qu’une mise à disposition d’exemplaires papier de propagande électorale dans les préfectures, les sous-préfectures et les mairies.
Je reste en revanche attaché à l’envoi papier de la propagande électorale pour les élections locales, puisque les candidats sont moins médiatisés.
Concernant la carte d’électeur, plusieurs de mes collègues s’opposent à sa suppression considérant qu’elle est un symbole de la citoyenneté. Pour autant, sa seule utilité réside dans le fait qu’elle précise à son détenteur l’adresse de son bureau de vote.
En effet, les cartes d’électeur ne sont ni nécessaires ni suffisantes pour pouvoir voter puisque l’électeur doit obligatoirement présenter une pièce d’identité le jour du scrutin. D’ailleurs, ces cartes sont souvent perdues par les électeurs ou oubliées lors du jour du vote. Parfois, elles créent la confusion, certains électeurs ne l’ayant pas reçue ne sachant pas s’ils sont quand même en capacité de voter.
Je propose donc d’expérimenter leur suppression, et de prévoir que les électeurs soient informés sur le lieu du bureau de vote où ils sont appelés à se rendre, par un affichage du lieu de vote de chaque électeur en mairie ou sur Internet. La mairie de Paris a par exemple créé un service en ligne“Quel est votre bureau de vote ?” qui permet à chaque électeur de trouver, à partir de l’adresse de son domicile, le lieu de son bureau de vote.
Je rappelle qu’à l’occasion de la refonte périodique des listes électorales de 2012, l’envoi à chaque électeur d’une liste électorale a représenté un coût de trois millions d’euros.
RPP – Le vote électronique fonctionne de mieux en mieux pour les Français de l’étranger. Est-il envisageable d’étendre ce système à l’ensemble des électeurs ?
Hervé Marseille – Il existe deux modalités de vote électronique : le vote par machines à voter et le vote par Internet.
S’agissant du vote par machines à voter, il existe depuis 2007 un moratoire sur l’extension de leur usage. Ainsi, les communes équipées de machines à voter peuvent continuer à les utiliser, sans que de nouvelles communes soient autorisées à s’équiper. Compte tenu des difficultés qui ont été constatées lors du scrutin présidentiel de 2007, il me paraît sage de ne pas encourager ce type de vote.
S’agissant du vote en ligne, s’il constitue une modalité utile de vote pour les Français de l’étranger, il ne présente toutefois pas les mêmes garanties de sincérité du scrutin que le vote traditionnel. Il n’est en effet pas assuré que le votant soit l’électeur concerné ni que le vote soit secret. Je suis donc très réservé quant à l’extension de ce système à l’ensemble des électeurs.
RPP – Quelles suites vont être données à vos propositions ?
Hervé Marseille – Le gouvernement travaille actuellement à un projet de dématérialisation totale du processus de vote par procuration, ce qui me paraît aller dans le bon sens, puisque cela permettrait de réaliser des économies tout en simplifiant les démarches des électeurs.
Par ailleurs, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve s’est récemment déclaré favorable à la dématérialisation de la propagande électorale à l’occasion de l’élection présidentielle de 2017.
La question de l’organisation des élections a fait l’objet du programme de “revue des dépenses” conduit par le gouvernement en 2015, qui devrait aboutir à un certain nombre de propositions de réforme. Je suivrai donc attentivement les évolutions qui seront proposées dans les prochains mois.
Hervé Marseille
Vice-président du Sénat, sénateur-maire de Meudon
Propos recueillis par Florence Delivertoux
Photo : Rama/Wikimedia Commons