En cet automne, comme en de nombreuses périodes pré-électorales, arrive comme un marronnier la critique des sondages. La ou les critiques. On leur prête beaucoup à ces enquêtes d’opinion. D’occuper trop de place. De « faire l’opinion ». De limiter la réflexion politique. D’être instrumentalisées.
Commençons, déjà, par objectiver la situation : nous connaitrions une publication exponentielle de sondages en cette rentrée. La commission des sondages, par la voix de Stéphane Hoynck, tempère cette critique, si tant est que celle-ci en soit une avérée. En septembre et octobre, 45 enquêtes d’intentions de vote ont été publiées. Libre à chacun de qualifier cette quantité. En revanche, ce sont 32 de moins qu’il y a précisément 5 ans. L’inflation sondagière n’est pas là.
« Democracy is the worst form of Government, except for all others» aurait dit Winston Churchill. Nous pourrions le paraphraser en disant que les enquêtes d’intentions de vote sont les pires méthodes de mesure de ce que comptent faire les Français au moment où ils sont interrogés… à l’exception de toutes les autres. Evidemment, les études d’intentions de vote contiennent des biais. Mais elles se basent sur des méthodes éprouvées, contrôlées par la commission des sondages et répondant à un protocole scientifique. Comment connaitre à un instant T, comme on a coutume de dire, ce qu’envisagent de faire les citoyens ? En se basant sur leurs lectures ? Les sites qu’ils consultent ? Le nombre d’amis sur Facebook ? De follower sur Twitter ? Je ne crois pas qu’une méthode a pu être, jusqu’à présent, plus instructive. On se rappellera que certains acteurs, tels Filteris en 2017, ont tenté en agrégeant des données de Twitter et de la partie publique de Facebook de procéder à des « prévisions » plus fiables que celles des instituts. Sans réussite probante jusqu’à présent.
Outre le volume, nous pouvons nous interroger sur l’utilisation qui est faite des sondages.
Déjà, remarquons qu’il n’existe pas un lien intime entre publication et publicisation. Certaines études font l’objet de reprises médiatiques d’autant plus marquantes que les résultats apparaissent spectaculaires. La montée d’Éric Zemmour a constitué, indéniablement, un attrait médiatique important. On peut, sans trop risquer de se tromper, imaginer que si un autre candidat avait connu de telles évolutions dans les intentions de vote, l’émoi aurait été plus faible. Le sondeur peut regretter que d’autres études fassent moins l’objet de traitement médiatique. On peut ainsi estimer que des enquêtes ambitieuses (telle « le Cœur des Français » réalisé pour Challenges auprès de plus de 10 000 personnes) n’aient pas eu l’écho qu’elles auraient pu avoir. La question n’est donc pas le volume mais leur utilisation. Comme la météo ne fait pas, la plupart du temps, l’ouverture des journaux, certaines intentions de vote gagneraient à être traitées de manière plus apaisée qu’elles ne l’ont parfois été.
Nous plaidons pour une lecture non seulement de nos sondages mais également de nos notes. Et comme un sondage ne peut, à nos yeux, être considéré ni comme une ligne politique à suivre ni une prévision de ce qui va se dérouler à l’avenir (et ce encore moins à six mois qu’à quelques jours de l’échéance) il ne peut être analysé que dans un contexte de dynamique électorale que nous cherchons à restituer avec nos écrits.
Enfin, on accuse parfois les sondages de « faire » l’opinion. Les Français seraient trop ignares pour se forger leur propre jugement et suivraient aveuglément ce que « disent » les enquêtes.
Dans nos études, à peine plus d’un quart des Français déclare que ces sondages ont une influence sur leur vote. Sur 15 critères testés, celui-ci arrive en antépénultième position, juste devant les affiches et le soutien de personnalités extérieures au champ politique. Il est indéniable que les sondages ont des effets. Des effets sur la campagne, sur les intentions de vote… Celles-ci constituent une information parmi d’autres mis à la disposition des électeurs, des commentateurs et… des responsables politiques. Ce que nous remarquons, c’est que les électeurs vont d’autant plus les considérer au moment de leur choix que le débat politique sera faible. Ou les convictions peu avérées. L’utilisation stratégique des intentions de vote est inversement proportionnelle à l’enthousiasme à « voter pour ». Qui plus est, aucun chercheur en science politique n’est parvenu jusqu’à présent à considérer l’impact réel des enquêtes. Que ce soit la part des électeurs souhaitant venir en aide à un candidat distancié ou celle volant au secours de la victoire.
Le lecteur attentif, le citoyen exigeant, le journaliste consciencieux prendra le temps de lire le détail des enquêtes. Et derrière les résultats d’ensemble, regarder les sous-catégories. Derrière une étude, observer les dynamiques. Pour prendre la séquence récente, et pour l’une des raisons pour lesquelles la place des sondages est interrogée, l’observateur patient aura vu que la montée d’Éric Zemmour dans les enquêtes n’est pas tant le fait d’un électorat d’extrême-droite que de la droite filloniste orpheline d’un débouché politique, de prises de parole fortes à ses yeux (sur l’immigration, l’Islam, la place de la France dans le monde…) et d’un chef incontesté. Loin des impressions et des conversations, les enquêtes permettent d’objectiver, par exemple, cette donnée. Jusqu’à présent, je ne crois pas que nous ayons trouvé meilleur outil.
Jean-Daniel Lévy
Directeur délégué d’Harris Interactive France