Je ne suis point à la mode. Je pense que sans la liberté d´expression il n´y a rien dans le monde.
Alphonse de Chateaubriand, Mémoires d´outre-tombe, 1848
Je suis Mila, oui bien sûr… dieu qu´elle est élégante.
Mona Ozouf
Il ne fallait pas inviter Mila sur BFM. La chronique d´Élodie Solaris Arrêt sur images du 28 avril 2024 cible l´interview de Mila par Apolline de Malherbe (face à face) du 8 avril 2024. L´émission se présente comme un retour critique sur des sujets traités – trop peu ou mal – dans les médias.
Le sous-titre de la chronique est clair : Mila [voir plus loin] n´est plus seulement une « jeune femme harcelée » : c´est une influenceuse d´extrême droite. Elle dispose d´un pouvoir, et ce pouvoir est toxique. On retrouve ce reproche tout au long d´une chronique très documentée avec des évocations, (de fin mars au courant du mois d´avril) du Point, du site Boulevard Voltaire, de tweets, de Cnews, du Figaro, du collectif féministe Nemesis, de RMC (les grandes Gueules), la liste n´est pas exhaustive.
On a bien compris que lui donner la parole – à Mila – est perçu comme une façon de céder au « buzz » et de participer à la diffusion d´idées « rances » et de favoriser la montée de l´extrême droite.
Cette émission d´Arrêts sur images est une charge politique, partisane ciblant Mila sans la moindre modération : pas étonnant que je sois amené à exprimer les critiques que cette mise en accusation inspire naturellement. Il s ´est beaucoup écrit sur Mila, depuis ces jours de janvier 2020 où elle subit l´assaut médiatique d’une meute de cyberharceleurs à connotation lesbophobe, islamique et raciste auquel elle répondit dans des termes d´une indéniable crudité, et dont on peut dire qu´ils sont passés à la postérité.
Mila : les quatre lettres d´un prénom qui projettent dans la sphère publique une infinité de mots. Ces mots se cristallisent en constellations : liberté d´expression, liberté tout court, laïcité, blasphème, féminisme, civilisation, culture, orientation sexuelle, identité, gravitant autour d´un noyau dur, l´islam dans sa version conquérante. À l´exclusion, comme Mila l´a bien précisé à plusieurs reprises, de toute personne ou groupe de personnes de confession musulmane.
Je suis le prix de votre liberté
En l´espace de quelques jours, l´histoire de Mila, une adolescente de seize ans, est devenue « l´affaire Mila ». En 2021 paraît aux éditions Grasset Je suis le prix de votre liberté, un livre, une histoire qui transcende, comme elle l´a précisé, la fugacité d´un tweet, d´une story Instagram ou d´un entretien de presse, avec cette idée : Essayer de comprendre comment j´en suis arrivé là. Comment nous en sommes arrivés là. Mila exprime parfaitement et avec élégance, la double dimension de son épreuve : une histoire personnelle qui fera d´elle, pour certains, un étendard, et pour d´autres le révélateur d´un monde, un moment de vérité où tombent les masques, où se posent, à propos de faits de société, des questions qui nous impliquent tous.
Il y a quatre ans, Mila avait choisi de s’exprimer dans quelques rares médias, dont l´hebdomadaire Le Point avec une longue interview de Peggy Sastre (« Mila et moi » : les coulisses de notre grand entretien), et puis une apparition sur le plateau de Quotidien avec Yann Barthès.
Voilà que Mila fait un retour médiatique en avril de cette année. Elle est invitée le lundi 8 avril par Apolline de Malherbe sur les plateaux de RMC et de BFM, (Face à face). Elle a l´occasion de revenir sur les épreuves subies mais aussi celle de s´exprimer sur des sujets d´une actualité brûlante qui concernent l´école, l´islam et ses menaces face au principe de laïcité, principe fondamental d´un régime démocratique. Il est question d´événements violents survenus aux abord d’établissements scolaires à Viry-Chatillon, à Montpellier et à Tours ainsi qu´au lycée Maurice-Ravel dans le vingtième arrondissement de Paris :
« C´est que le début » : « À l´école, « la laïcité est morte » et une sorte de charia s´impose », assure Mila.
« On parle de laïcité au sein des établissements, est-ce que la laïcité elle est encore efficace aujourd´hui ? pour moi la laïcité elle est morte ». […] Mila dit avoir l´impression qu´une véritable police des mœurs dans les lycées, des élèves qui sont encouragées par leurs parents ». (Site de BFMTV contributions de Glenn Miller et GD.)
Mila dénonce encore la détestation de la France qui s´exprime dans le milieu scolaire :
Je sais reconnaître le fond du problème. Si on pouvait trouver une façon radicale de sanctionner pour le moindre prosélytisme, ça pourrait bouger, ça pourrait bouger. La détestation de la France est une tendance. On voit des gamines qui portent des abayas un jour et des crop top le lendemain, c´est devenu un effet de mode.
Quant à l´idée de la ministre de l´Éducation nationale qui recommande parmi d´autres des mesurettes du style « l´interdiction des téléphones portables pour lutter contre le harcèlement », c´est une solution complètement à côté de la plaque, estime Mila. (À l´occasion d´un remaniement ministériel, Le Président de la République a ressorti de sa boite à malices une ministre de la Justice déchue, Nicole Belloubet, pour en faire une ministre de l´Éducation nationale bien-disante). Cette dernière adresse au proviseur son soutien face à cette situation inacceptable. Nous ne laisserons rien passer.
C´est bien peu aux yeux de Mila, mais peu aussi suivant le rapport de la commission d´enquête sénatoriale sur les menaces et agressions contre les professeurs, dans le cadre de la commission demandée par la famille de Samuel Paty.
L´histoire de Samara, la collégienne montpelliéraine de 13 ans, de famille musulmane, est à cet égard emblématique. Considérée comme coquette, « habillée à l´européenne » par des élèves, traitée de « mécréante », elle est victime d´une sauvage agression. Mila :
Ces jeunes filles qui ont un entourage à majorité musulmane ont une pression qui est colossale. On attend d´elles qu´elles conviennent à des standards qui ne devraient même pas exister.
Suivent trois mises en examen pour tentative d´homicide volontaire sur la personne de Samara et les déclarations de la ministre Nicole Belloubet dont la main ne tremblera pas, nous est-il assuré.
Aspect secondaire mais toutefois significatif : Apolline de Malherbe rappelle à Mila que celle-ci, lors d´une interview, quatre ans auparavant, sur le plateau de Yann Barthès (Quotidien), avait présenté des excuses. Mila répond qu´elle avait été « briefée » dans ce sens avant l´émission, ce que conteste la rédaction de Quotidien. Mais n´était-ce pas la pression des milieux « macronistes » ou LR qui s´était exercée sur Mila à l´occasion de cette interview ? En tout cas, Mila avait affirmé sur le média Boulevard Voltaire que « beaucoup de personnes autour d´Emmanuel Macron, beaucoup de chez Les Républicains l´avaient persuadée de présenter ses excuses dans l´émission de Quotidien. D´où le malentendu causé par l´indécision du « On ». Après enquête, la chose est claire : Mila s´est vue enjointe d´exprimer des excuses juste avant son passage sur le plateau de Quotidien. J´ai sur ce sujet des témoignages précis et confondants. Pour autant, cela n´exclut pas qu´elle ait été sous pression par des milieux « macronistes » et LR.
Je m´arrêterai à présent à deux interviews récentes de Mila évoquées par Élodie Solaris dans sa chronique : l´une de Peggy Sastre (un article du Point) : l´autre sur le site de Boulevard Voltaire avec Jordan Florentin.
Osons dire non !
Le 21 janvier 2021, la chroniqueuse Peggy Sastre avait publié dans Le Point Mila et moi. Les coulisses de notre grand entretien. Et je voulais aussi lui apporter mon soutien face au déferlement de violences qu´elle subissait et subit encore, précise la journaliste. Trois ans plus tard, le titre de son article dans le même hebdomadaire est : Mila sur l´affaire du lycée parisien Maurice-Ravel : « Osons dire non !». Exclusif. La jeune femme menacée de mort pour avoir dit ce qu´elle pensait de l´islam en 2020 dénonce une nouvelle fois « les lâchetés et le déni face aux idées dangereuses et mortifères ».
Revenons à l´affaire. Dans un message en interne, le proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel déclare qu´il a choisi de « quitter ses fonctions pour des raisons de sécurité ». À la suite d´un différend avec des élèves voilées auxquelles il demande de retirer leur voile islamique, l´une d´entre elles a prétendu qu´il l´avait agressée. Succèdent une campagne d´insultes et de menaces de mort sur les réseaux sociaux. Pour le rectorat comme pour la ministre, le proviseur a démissionné pour « convenances personnelles » et rien d´autre.
Dans son interview, Peggy Sastre pose à Mila sept questions. Les réponses de Mila cadrent parfaitement avec ses opinions, telles qu´on a pu en suivre l´évolution depuis janvier 2020. Elle exprime de sévères attaques contre les fanatiques de l´islam biberonnés à la propagande victimaire. […] C´est tellement plus facile de fermer les yeux sur la violence parce qu´on la craint. C´est tellement moins facile pour nos élites d’assumer les conséquences de leurs lâchetés et de leur déni depuis des dizaines d´années. […] Pas de musique, pas d´amour, pas de libre arbitre, pas d´esprit critique, pas de science, pas d´humour, pas de tolérance.
Dans ses réponses, Mila dénonce les deux sortes de phénomènes dont l´école est la victime : l´assassinat de professeurs et le lynchage médiatique, d´une part, et de l´autre l´auto-censure qui pourrait se résumer avec le néologisme de « pas-de-vaguisme ». Quant aux complices, ce sont ceux qui ne veulent pas voir, qui n´en parlent pas, qui ne dénoncent pas, qui nient l´impact de l´islamisme sur notre société et plus particulièrement sur la jeunesse.
Libérons notre parole, et défaisons-nous de nos peurs. Osons dire que non, ce n´est pas OK, quand une lycéenne force pour entrer dans le lycée avec son voile ou son abaya, et qu´elle tape un scandale pour ça. Non, ce n´est pas OK quand un professeur d´histoire-géo qui essaye d´apprendre l´esprit critique à ses élèves en les initiant au dessin de presse se fait accuser d´islamophobie.
Après quelques questions personnelles sur la vie qu´elle mène aujourd´hui, Peggy Sastre demande à Mila :
S´il y avait un message à faire passer à votre génération, quel serait-il
J´aimerais qu´ils se rendent compte qu’ils ne pourront pas survivre dans le futur de la France qu´ils sont en train d´abandonner. […] Les masques sont tombés depuis bien longtemps. J´aimerais qu´ils se réveillent, qu´ils comprennent que c´est une question de survie et qu´ils résistent dans nos rangs face à l´ennemi de la liberté : l´islamisme. Les jeunes devraient d´abord se tourner vers le passé pour savoir que leurs aînés se sont battus pour qu´ils puissent vivre librement sans la contrainte des religions.
Boulevard Voltaire
Le journaliste Jordan Florentin questionne amicalement Mila sur sa vie, sur ses opinions, sur ses engagements : Quelques-uns des propos de la jeune femme méritent une mention : elle fustige un ministre de l´Intérieur dont la complaisance envers la Jeune Garde, organisation d´ultra gauche violente est hallucinante. Pire, le leader de La Jeune Garde Raphaël Arnault, fiché S, est coupable de nombreuses violences, mais mieux encore : celui qu´on ne peut éviter de traiter de racaille est officiellement candidat à l´Assemblée Nationale, investi par le Nouveau Front Populaire et LFI.
Lors d´un rassemblement en hommage au professeur de français Dominique Bernard assassiné à Arras, Mila et Alice Cordier du collectif féministe Nemesis ont été l´objet d´insultes et de menaces. En cette fin du mois de juin 2024, l´affaire en est à ses débuts.
Concernant Samara, elle comprend que sa mère ait avant tout eu le souci de défendre sa fille et pose la question : y-a-t-il vraiment une différence entre musulman et islamiste dans ce cas ?
Répondant à une question de Jordan Florentin, Mila répond : je fais simplement partie de ces personnes qui feraient tout pour la France sans savoir forcément ce qu´elle deviendra.
BFM, Le Point, Boulevard Voltaire : il n´y a rien dans ces médias, ni dans les déclarations de Mila, qui justifie la condamnation de Mila accompagnée de qualificatifs tels que propagatrice de haine, égérie des fafs (fascistes) sous la plume d´Élodie Solaris.
Il ne fallait pas inviter Mila sur BMF
Arrêt sur images du 28 avril et 29 avril 2024 (version digitale) fait le compte des idées rances et des relations douteuses que Mila entretiendrait dans la « fachosphère ».
Dans l´univers médiatique d´une démocratie, nous avons la consolation d´un pluralisme et du contrôle vigilant de l’instance qui est chargée d´en faire respecter le principe, l´Arcom. En dehors des règles strictes de la déontologie, il en est qui ressortent plutôt de l´élégance morale. Avant même d´aborder le détail de votre chronique, j´ai retenu quelques petites choses intéressantes, dont deux ne m´étonnent pas trop et correspondent assez bien à l´air du temps tandis que la troisième trahit une malveillance jubilatoire.
Il ne fallait pas l´inviter, Élodie Solaris ?
Vous assumez dans le titre même de votre chronique un double droit de censure sur la journaliste Apolline de Malherbe et sur le sujet de l´interview. À vos yeux, la notoriété de cette journaliste et l´importance de l´émission l´emportaient sur d´autres médias, comme par exemple Le Point.
L´interview était pourtant d´autant plus justifiée que Mila, au moment où éclatait l´affaire en 2020, avait réduit sa présence dans le paysage médiatique (mis à part les médias sociaux) à très peu, malgré une infinité d´invitations (un millier). Je me souviens que Cyril Hanouna avait convoqué Mila sur le plateau de TPMP. Il avait considéré son refus comme un crime de lèse-Baba et lui avait même consacré dans son livre (publié à l´automne suivant) un chapitre moqueur et vengeur de17 pages.
J´aurais pu comprendre cet « il ne fallait pas l´inviter » si le caractère des propos l´avait justifié. Mais cela n´était pas le cas, et voilà au fond où le bât blesse : vous ne faites pas du journalisme, chère madame, mais de la propagande. La pratique du débat contradictoire correspond à une liberté d´expression, une liberté que tout le monde ne soutient pas dans la sphère médiatique française, en particulier celle qui vous emploie. Et puis après tout, le genre de la chronique vous donne tous les droits, n´est-ce pas ?
Élodie Solaris n´est pas la seule à donner à cette liberté des limites, ainsi qu´au droit à l´information. Edouard Louis en est un exemple prisé dans les médias. Pour le romancier, il y a des choses qu´on ne peut pas dire, et la démocratie, c´est aussi la capacité à clore des sujets. Et pour la liberté d´expression, ça ne veut pas dire : On vient de là et on dit ce qu´on veut. Nous voilà en plein vokisme intersectionnel, où le mot islam est inscrit en lettres rouges, en plein gauchisme culturel. On ne s´étonnera donc pas de ne pas retrouver dans la chronique d´Élodie Solaris ce qui est au centre de « l’affaire Mila » : l´islam dans sa version totalitaire et l´islamo gauchisme BCBG. C´est cher payé en litres de moraline quand on pense aux quatre milliards d´euros que coûte aux contribuables le service public français.
De son nom complet X
En revanche, Élodie Solaris a eu soin de faire la publicité du nom de famille de Mila une bonne demi-douzaine de fois. Je me contenterai de réduire le nom de famille à « X ». Et elle précise bien que, Mila étant majeure, elle en a parfaitement le droit. Mais c´est tout de même autre chose quand cette publicité accompagne une bordée de qualificatifs haineux qui, pour être injustifiés, n´en constituaient pas moins une motivation criminelle pour un esprit « radicalisé » rêvant d´accéder au paradis des martyrs.
Nous avons d´abord le sous-titre où Mila X n´est plus seulement etc…
Le paragraphe introductif reprend : Mila (de son nom complet X), tristement connue pour avoir été la jeune fille la plus harcelée de France en 2020…
Quelques lignes plus loin, on trouve :
Mila X, de son nom complet… et plus loin : Mila X est désormais majeure.
Il est plus que temps de mettre à jour le bandeau de BFM pour décrire celle qui affiche elle-même son nom de famille sur Instagram.
Et puis : Mila X affiche également ses fréquentations….
Contactée, Mila X n´a pas répondu.
Certains pourront vous dire qu´afficher le nom en toutes lettres (on se souviendra que son nom et son adresse furent divulgués sur les réseaux sociaux alors qu’elle était lycéenne et mineure), c´est lui mettre une cible de plus dans le dos. (Concernant son compte Instagram, Mila a supprimé son nom de famille, ce qui n’était pas auparavant possible pour les comptes certifiés).
Et pire, vous la mettez encore plus en danger, quand vous placardez sur un média de grande audience un portrait aussi diabolisé que menteur.
Vous n´avez pas honte, Élodie Solaris ?
Mila : pour certains un étendard, pour quelques autres la révélation d´un monde, un prénom se suffisait à lui-même. À présent, Mila X n´est plus que la référence de sa carte d´identité, et vous l´avez répété assez de fois pour qu´on ne risque pas de l´oublier. Je comprends, vous ne l´aimez pas. Et bien entendu pas question d´évoquer « l´affaire Mila ». Ce serait concéder à Mila et à son histoire une dimension emblématique qu’il est urgent d´occulter.
À la fin du premier paragraphe de votre texte, vous déclarez : […] sur les réseaux sociaux elle s´affiche désormais comme identitaire en outrepassant les limites du droit au blasphème.
Des limites au droit au blasphème ?
Il y a dans ce bout de phrase trois mots intéressants : intéressants par eux- mêmes, mais aussi pour la relation syntaxique qui les unit. Tout d´abord, outrepasser les limites du droit au blasphème serait un marqueur d´identitarisme, c´est-à-dire d´appartenance à l´ « extrême-droite ». Y aurait-il donc une limite au droit au blasphème, celle de l´extrême droite ? Non-sens.
Il me semblait pourtant que depuis les sottises volontairement émises par une ministre de la Justice et les propos criminels d´un Abdallah Zekri (l´islamiste enragé du Conseil Français du culte musulman, placé sous l´égide du ministère de l´Intérieur), en janvier 2020, il me semblait qu´en 2024, grâce au formidable écho de « l´affaire Mila », le mot de blasphème appartenait plutôt au Pakistan qu´à la France, aux coupeurs de tête chariatiques, aux fanatiques coraniques plutôt qu´aux démocrates de notre pays et de notre civilisation.
Veuillez considérer la cohorte des idiots utiles œuvrant à la déconstruction de la France, les Frères musulmans et leurs cousins salafistes, les islamogauchistes universitaires dénoncés par Blanquer, par exemple ou bien encore le silence des intellectuels comme le vecteur le plus fort de l´islamisme que dénonce Boualem Sansal dans son ouvrage Gouverner au nom d´Allah.
Avez-vous pensé que donner des limites au droit du blasphème est, dans un premier temps, d´affirmer l´existence du blasphème comme concept religieux, culturel mais aussi juridique ? Et quant aux limites il vous échoit de nous apporter quelques précisions intéressantes dont j´imagine qu´elles pourraient être d’ordre anatomique. Mais dites-moi.
Le concept de « djihadisme d´atmosphère » (exprimé par Gilles Kepel, évoqué le 14 mars 2021 sur France Info par Marlène Schiappa à l’époque où elle était déléguée du ministre de l´Intérieur, repris par Gérald Darmanin à Luxembourg le 19 octobre 2023) confirment les propos de Mila sur la police des mœurs et de la religion dans les quartiers. De même pour le concept de « charia light » de Michel Onfray. Pour Céline Pina cette affaire a été le symbole de notre lâcheté collective, de nos faiblesses et de nos reniements […] Si Mila a pris la main tendue des identitaires, c´est parce que ni le pouvoir ni la société ne se sont montrés à la hauteur des enjeux. On retrouve plusieurs fois cette explication, notamment dans l´interview des Jeunes Socialistes (avec sa présidente Emma Rakowicz) publiée dans Charlie Hebdo (9 avril 2024) et citée par Élodie Solaris : mon impression est qu´elle s´est sentie abandonnée, sans doute par une partie de la gauche.
Sur sa lancée, Emma Rakovicz aurait pu élargir son propos, dire qu´il s´agissait d´une grande partie de la gauche, expliquer pourquoi, mais évoquer également les médias, la sphère intellectuelle, le pouvoir. Sa réflexion montre qu´elle n´est pas capable de dépasser le cadre des partis politiques. Il y a d´autre part une correction importante à « Elle s´est sentie abandonnée » […]. Désolé, elle a été abandonnée, et lâchement abandonnée par ceux dont on pouvait naïvement croire qu´ils la défendraient. Il y a des mythes qui ont la vie dure. Dupont-Moretti affirmait que l´insécurité était un sentiment…
Prenons garde également à l´ordre chronologique : ce n´est pas Mila qui, au début de 2020, est allée chercher aide et consolation auprès de sites féministes, identitaires ou non. Mais ce sont nombre d´associations de sensibilités très diverses, dont la gauche humaniste traditionnelle et la droite conservatrice, qui lui ont apporté leur soutien.
Il est une chose que beaucoup non pas comprise, également parmi certains qui la soutiennent : Mila n´appartient pas et ne désire pas appartenir au monde de la politique encartée et professionnelle, et si elle des préférences et des ambitions c´est à un niveau supérieur au niveau de la métapolitique, qu´elle a assez bien défini en parlant de la France et des libertés.
Antisémite ? Elle se déclare, vous l´ avez vous-même noté, fervent soutien d´Israël. Mais il est vrai que l´antisémitisme et l´antisionisme sont la chasse gardée des racisés racistes décoloniaux.
Mila est solidaire de Thaïs d´Escufon, victime d´une tentative de viol. Elle confesse qu´elle ne partage pas ses idées pour autant, ni d´ailleurs celles d´Éric Zemmour. Est-ce « instrumentaliser » que de condamner les émeutes de l´été dernier et se déclarer solidaire de la police ? Mais, horresco referens, elle a assisté à une soirée des Éveilleurs réunissant des personnalités comme Philippe de Villiers, Éric Zemmour, Marlène Schiappa et Éric Ciotti !
Mila : L´islamophobie m´a fait glow up (« rayonner »). Soyez islamophobes !
D´autre part, Élodie Solaris, vous dénoncez l´islamophobie dont elle fait la publicité. Mais savez-vous que le mot est inventé/utilisé par les Frères prêcheurs de l’islam et leurs amis gauchistes pour interdire tout débat sur une idéologie totalitaire et déclencher le mot de raciste, quand race et religion ne signifient pas la même chose ? Il existe sur le sujet une masse de documentation. Je vais vous en donner un exemple.
Elisabeth Badinter : Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d´islamophobe !
Tel est l´intitulé d´un article publié par Louis Haushalter dans Marianne le 01.06.2016, et tels sont les mots prononcés un an après la tuerie de Charlie Hebdo :
- 2020 : Affaire Mila : Elisabeth Badinter dénonce le silence « lamentable » des féministes. (Valeurs Actuelles, 25.11.2020).
Voilà qui montre quelque part, en tous les cas pour certaines féministes actuelles, que leur silence signe une complicité avec d´autres mouvements. Mouvements qui sont plus proches des islamistes que de Mila.
- 2023 : Elisabeth et Robert Badinter reçoivent le prix spécial de la Laïcité. (Comité Laïcité République, 14.11. 2023).
À cette occasion, Elisabeth Badinter déclare : […] Il y a eu une gradation dans l´opposition à la laïcité, et notamment du côté de la gauche. Suit une accusation d´intolérance. Et puis, un peu plus tard, ce n´était plus d´intolérance dont nous étions taxés, c´était, effectivement, d´être racistes. […] C´était très grave et ça nous désignait – pardonnez-moi l´expression – comme des « salauds ». Enfin elle estime que depuis une quinzaine d´années l´entrisme des islamistes radicaux a passé encore à un stade. Ce stade, c´est celui de la menace.
Soit on est pour la défense inconditionnelle de Mila soit on est pour son abandon honteux. Il n´y a pas de place pour le « oui mais »
Communiqué du Collectif contre le Terrorisme, 15 juin 1921
Si Mila a connu son heure d´ abattement, elle a dû sa résilience à sa forte personnalité, au soutien de ses parents, à tous ceux qui lui ont manifesté leur solidarité dans les médias sociaux et dans la vie réelle. Il serait alors bon de citer, un peu au hasard et de manière peu exhaustive, que l´on me pardonne, le MPCT (Mouvement pour la paix et contre le terrorisme), le Comité Laïcité République (LCR), quelques mouvements féministes (Regards de femme, Ligue du Droit International des Femmes, Libres MarianneS), des personnalités comme Jean-Michel Blanquer, Michel Onfray, Zorah Bitan, (à qui l´on doit la parution de # je suis Mila #,je suis Charlie # je suis la République recueil de cinquante contributions), Boualem Sansal, Marlène Schiappa, Abnousse Shalmani, Jean Pierre Sakoun (Unité laïque) très actif sur la Toile (lire sa Tribune du 16/06/2021 « Le symbole du naufrage de la pensée et de l´action démocratique s´appelle Mila ») dans Marianne.
Il est vrai que l´immigration et l´islam sont au centre du débat, et que Mila est le révélateur d´un monde : le monde de Mila dans sa foisonnante variété.
Il est question d´islam et non d´islamisme. La raison en est simple et fort bien expliquée par l´écrivain Boualem Sansal et l´universitaire Florence Bergeaud-Blackler : elle est d´ordre intellectuel et non politique (Voir Michel Festivi Site Eurolibertés : Émeutes en France… et La rencontre entre Boualem Sansal et Florence Bergeaud-Blackler : Islam et islamisme).
Boualem Sansal : Ne parler que d´islamisme est détourner le regard. La civilisation qui s´installe en France, c´est l´islam, l´islamisme n´est pas une religion, c´est un mouvement politico-religieux vulgaire, dont l´histoire commence au tout début de l´islam.
Florence Bergeaud-Blackler parle d´un but : la société islamique promue par la ruse mobilisée dans toute lutte asymétrique. Guerre ou moyens coercitifs violents : les Frères musulmans n´ont pas de préférence.
Leur fait écho la philosophe Razika Adnani : Il faut en finir avec l´idée que l´islamisme n´est pas l´islam. (Le Figaro 15 avril 2024 Steve Tenré, Entretien). Celui qui a l´objectif d´imposer la charia (ordonner le convenable et interdire le blâmable) a l´objectif d´imposer l´islam, et celui qui veut imposer l´islam impose la charia. Quant à l´islamophobie, elle est un concept qui a pour objectif d´empêcher la pensée de s´exprimer. La théorie du Coran incréé, celle du « salaf », du naql (littéralisme), autant d´éléments réprimant toute réflexion critique.
S´inscrivent dans cette perspective deux ouvrages l´essai d´Hamed Abdel-Samad Le fascisme islamique (Grasset 2017) et Détruire le fascisme islamique de Zineb El Rhazaoui (Ring 2026).
Périclès : Il n´est point de bonheur sans liberté ni de liberté sans courage.
Mila ? Pourquoi l´inviter, et en quelle qualité ? Mila est une propagatrice de haine, l´égérie des fafs […] (fafs présentés comme issus du groupe des Identitaires).
La réponse est là, avec toutes ces opinions qui corroborent les siennes et qui proviennent d´analystes qualifiés, parfois exprimées avec vivacité. Il est difficile de dénier à l´agrégé, ancien élève de Normale Sup., des compétences en matière d´éducation. Le 10 mars 2024 il développe les arguments de Mila dans un article de Figaro Vox : Mila a raison : aujourd´hui la laïcité est morte à l´école. Dans L´Express, le philosophe Raphaël Enthoven avait qualifié d´abjectes les réticences de Ségolène Royal ou des féministes à défendre une lycéenne considérée par lui comme un modèle. (L´Express, 17 novembre 2020 : L´ahurissante indifférence de féministes pour le sort de Mila. […] Mila a eu raison de mettre un doigt dans le cul d´Allah. Quatre ans plus tard, regrette que Mila ait rejoint le camp « identitaire ». (L´Express 11 avril 2024 Raphaël Enthoven : Mila est entrée en politique par la petite porte de l´identitarisme. Propos recueillis par Thomas Mahler). Au-delà du cas de Mila, ce basculement d´une partie de la gauche laïque témoignerait, aux yeux du philosophe, d´un choix qui privilégie l´Occident aux dépens de l’Universel. Il oublie au passage l´emprise et l´entrisme de l´islam politique dans les sociétés occidentales, le communautarisme et l´identitarisme islamiques qui s´y déploient. Et c´est le même phénomène qui caractérise les mouvements qui défendent le principe de laïcité tout comme les traditions culturelles de l´Europe.
Caroline Fourest se réclame de cette gauche Charlie. Fort bien. Mais je ne suis pas sûr que l´esprit de Charlie Hebdo se love dans le discours qu´elle développe dans son article Affaire Mila : je suis blasphème (Marianne 01.02.2020). Elle place sur le même plan deux choses bien différentes : d´une part la monstrueuse marée de haine qui a bouleversé la vie de Mila et qui, aujourd´hui même, fait craindre pour sa vie, et d´autre part les protestations indignées de catholiques à propos de la chanson de Fromet « Jésus est pédé » qui a fait sourire madame Fourest au début – en effet la chanson est d´un humour décapant mais moins quand elle a vu, écrit-elle, la meute de haine fondre sur lui comme s´il avait commis un crime, des évêques le mettre à l´index, des journalistes le lâcher, des animateurs populaires lui reprocher de s´en être « pris à la religion » [Hanouna je présume ? ] jusqu´à ce que France Inter mette un genou à terre et présente ses plus sincères excuses. Pour avoir offensé les homosexuels ! Caroline Fourest persiste et signe : Entre les meutes qui lynchent et lâchent Mila parce qu´elle s´est emportée contre le Coran et ceux qui prétendent défendre son droit au blasphème après avoir lapidé un humoriste pour une chanson outrancière sur Jésus, il y a de quoi suffoquer. On peut trouver sa dramatisation épique de l´épisode Fromet grotesque et avoir un sourire de pitié en contemplant les visages hilares des journalistes de l´émission entourant l´artiste lors de sa prestation. Mais aligner Fromet et Mila est malhonnête : cela revient à ramener le drame de Mila et les risques qu´elle court aux pitreries de Fromet. Plus grave : Caroline Fourest met sur le même plan les protestations éparses de catholiques indignés et le sort que risque Mila. Or, comme l´explique Allan Kalval dans un article du Monde, le 14 février 2019 (voir : Trente ans après la fatwa contre Salman Rushdie, le blasphème reste une arme politique) : Le 14 février 1989, l´écrivain était visé par des appel au meurtre. Depuis, la liberté d´expression se heurte de plus en plus au fait religieux.
Le poids d´un combat
En lisant le livre de Mila Je suis le prix de votre liberté (Grasset), je suis tombé sur quelques passages qui me rappellent des idées exprimées dans un ouvrage célèbre publié il y a plus de soixante-dix ans.
Il y a dans le livre de Mila deux moments forts : le premier où elle rappelle son sentiment de déréliction :
Malgré moi, je porte sur mes épaules le poids d´un combat qu´un pays entier devrait mener. Celui de la liberté d´expression. […] Je suis abandonnée par une nation fragile et lâche.
Dans le second, elle exprime sa résilience avec le Notre force sur lequel s´achève le livre et qui l´accompagne dans la vie. Le titre lui-même manifeste le balancement entre le « Je » et le « Nous » ou le « Vous ». On n´aurait sans doute pas pu accorder à cette relation une dimension existentielle si le drame de Mila ne concernait un problème fondamental de la vie, la liberté concrétisée dans le pluriel : les libertés, ici la liberté d´expression, dans une intention : essayer de comprendre comment j´en suis arrivée là. Comment nous en sommes tous arrivés là.
Et sans doute aussi, pourquoi pas, redécouvrir dans L´homme révolté d´Albert Camus (1951) quelques idées proches de celles de Mila ?
Qu´est-ce qu´une jeune femme révoltée ?
Qu´est-ce qu´un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s´il refuse, il ne renonce pas : c´est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement.
Il dit oui à ce qui justifie sa révolte, au nom d´une valeur dont il a le sentiment, au moins, qu´elle lui est commune à tous les hommes.
La notion de révolte, au nom de valeurs qui transcendent l´individu, aboutit à Je me révolte donc nous sommes.
L’hashtag Je suis Mila s´est répandu comme une traînée de poudre. Il exprime une forme de solidarité, un questionnement : et toi ? La question implicite n´est pas innocente. Mon histoire est entre vos mains, as-tu écrit. Dans le sillage des mots du livre mais aussi de tes nombreuses déclarations auxquelles il serait intéressant de revenir, il ´agit de se mettre en règle, comme dirait Camus, avec d´intraitables réalités, et d´imaginer de possibles réponses, face à ceux qu´il traitait de ténébrions, définis comme les amoureux des ténèbres intellectuelles. Nous voilà face à une transcendance qui n´est pas celle, verticale, d´une divinité, mais horizontale d´un bien commun, celui d´une collectivité inscrite dans l´histoire et dans un espace défini. D´une identité. D´une culture.
Et si l´on devait parler d´un dieu très humain, je choisirais Kairos, le dieu grec du moment opportun. Il y a ceux qui ne le voient point, ceux qui le voient sans bouger, enfin ceux qui lui tendent la main au moment où il passe. Telle est la leçon de la mythologie grecque.
Que Mila ne soit pas la seule à payer le prix de notre liberté.
Dr. Gérard Lehmann
Professeur associé em.
Syddansk Universitet (Université de Danemark Sud), Danemark. Lauréat de la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris.