L’actualité politique et internationale récente a mise en lumière les difficultés de financement de la Défense. Alors que ces problématiques reviennent dans le débat politique et médiatique et qu’il est l’auteur d’une proposition de loi (PPL) visant à créer un livret d’épargne « défense et souveraineté », nous avons souhaité interroger Rachid TEMAL, Sénateur Socialiste et Président délégué du groupe SER au Sénat, vice-président de la commission des affaires étrangères et défense de la Haute-Assemblée.
Arnaud Benedetti : Dans un contexte financier et Budgétaire difficile et face à une situation internationale préoccupante, comment jugez-vous les choix politiques du gouvernement en matière de Défense ?
Rachid Temal : Il nous faut partir de la situation que nous vivons pour répondre convenablement à votre question. Nous assistons à un basculement géopolitique historique.
Avec la guerre en Ukraine, la dégradation du contexte sécuritaire international, la concurrence des puissances empires, et la solidarité euro-atlantique qui ne va plus de soi en termes de valeurs, de vision et de priorités stratégiques, la nécessité de développer et d’entretenir une base industrielle et technologique de défense (BITD) souveraine et résiliente s’impose pour assurer l’autonomie stratégique de nos armées.
La force de notre industrie de défense conditionne notre sécurité pour préserver ce en quoi nous croyons : la démocratie. Or, les industriels de la défense, en particulier les PME et ETI signalent, depuis 2020, des problèmes de financement rendant difficile la montée en cadence de leur production, le besoin de fonds propres et d’accès facilité au crédit.
Dans ce contexte, le Ministre des armées depuis 2022, Sébastien Lecornu, a proposé une loi de programmation militaire. Lors de son examen au parlement, il a su retenir les propositions venant des différentes sensibilités présentes au sein des hémicycles afin d’aboutir à un texte consensuel. Au Sénat, – par exemple – plus de 60% des amendements socialistes ont été retenus, ce qui nous a conduit – nous socialistes -, à bonifier, à co-écrire et à voter en faveur du texte.
Cependant, et dans le contexte que je viens de décrire, la France, notre pays doit en plus du travail démarré via la LPM et par un financement budgétaire, se doter d’autres outils afin de faire face à la situation, et ce bien évidemment dans le cadre de l’OTAN et de l’UE.
Arnaud Benedetti : Vous parlez d’autres outils dont pourraient se doter notre pays, pensez-vous par exemple à la proposition de loi visant à créer un livret d’épargne défense souveraineté dont vous êtes l’auteur ? Pouvez-vous nous en dire plus à son sujet ?
Rachid Temal : Dès le début de l’année 2024 avec mes collègues socialistes, nous avions en effet déposé cette proposition de loi, conscients de la grande difficulté d’accès facilement au crédit pour les entreprises de la base industrielle et technologique de défense.
Nos objectifs étaient nombreux :
- Répondre aux besoins de nos industries de défense mais aussi renforcer les liens entre l’armée et la nation.
- Permettre aux français de faire de l’épargne
- Permettre aussi aux entreprises de la BITD d’accéder au crédit
- Permettre aux Français d’agir pour la sécurité
Cette épargne sera attractive car le secteur de la défense n’est ni risqué, ni spéculatif : il repose sur des commandes publiques stables et de long terme. Enfin la création d’un livret défense & souveraineté ne se limitera pas aux seules entreprises de défense mais englobera un périmètre plus large, incluant tous les secteurs contribuant à notre souveraineté nationale, tels que la cybersécurité, les technologies de l’information, ou encore les industries spatiales. Nous envoyons ainsi un signal fort aux acteurs financiers tout en démontrant l’engagement des citoyens en faveur de la défense.
La situation internationale avec la poursuite du conflit en Ukraine et donc le retour de la guerre sur le continent européen, la nouvelle composition du parlement et de la commission européenne ainsi que l’élection de Donald Trump pour un second mandat à la tête des USA n’ont fait que renforcer la pertinence de notre analyse et la justesse de notre proposition.
Arnaud Benedetti : Que pensez-vous de la proposition formulée par le gouvernement par la banque publique d’investissement, Bpifrance, d’un fonds de capital-investissement, baptisé « Bpifrance Défense », réservé aux particuliers et destiné aux secteurs de la défense et de la cybersécurité ?
Rachid TEMAL : La proposition du gouvernement me semble moins adaptée et ne répond pas à la demande des entreprises et celles des classes populaires et moyennes. En effet, Le ticket d’entrée s’élèverait à 500 euros. L’argent serait bloqué pendant au moins cinq ans et les dépôts d’argent pourraient se faire au fil de l’eau. Cette solution ne me semble pas suffisamment attractive.
De plus, un fonds de capital investissement par nature plus risqué qu’un livret d’épargne : la part investie au capital d’une entreprise, quel que soit son secteur, peut se dévaloriser dans le temps. Ainsi, le risque de ces placements sera élevé. Or les français ont davantage confiance dans les placements de type livret A, et où ils peuvent en outre – y verser la somme qu’ils veulent sans minimum.
D’ailleurs une enquête d’opinion récente réalisée par ELABE pour « Les Echos » sur les français et la défense commune européenne nous apprenait que 43% des citoyens français seraient prêts à placer une partie de leur épargne sur un livret dédié à financer l’effort budgétaire de défense.
Alors du courage, de la lucidité et de l’ambition pour créer le livret d’épargne défense et souveraineté.
Rachid TEMAL
Sénateur Socialiste du Val-d’Oise, Président délégué du groupe socialiste écologiste et républicain du Sénat, Vice-Président de la commission des affaires étrangères et Défense du Sénat