On était habitué jusqu’à présent à ce que les pouvoirs autoritaires et les dictatures à travers le monde bafouent allègrement le droit et les libertés, tant sur le plan intérieur que sur le plan international.
Ce qui est plus inquiétant est de voir l’arrivée récente dans nos démocraties occidentales, de pouvoirs autoritaires qui remettent en cause les fondements même de l’état de droit. Un de premiers exemples a été et reste encore la Hongrie où le Premier ministre Viktor Orban a bouleversé l’ordre démocratique en détruisant systématiquement tous les contrepouvoirs. Il s’en est pris à la fois aux juges qui subissent des pressions mais également aux journalistes. Malgré les dénégations des autorités hongroises, la presse libre n’existe plus dans ce pays. Les valeurs sont foulées au pied, notamment celles de la Communauté LGBT, le parlement hongrois ayant récemment voté une loi interdisant la gay pride à Budapest. Certains diront qu’il n’appartient pas à l’Europe de prendre partie dans ces sujets de société qui relèvent de la seule politique nationale.
La violation des valeurs européennes
Il s’agit manifestement de se défausser car le respect des valeurs européennes découle bien de l’article 72 du traité de l’Union européenne qui prévoit que « l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ». On constate ainsi une tendance à remettre en cause le socle des valeurs européennes, non seulement chez certains responsables politiques mais aussi manifestement chez des électeurs qui aujourd’hui votent pour les partis d’extrême-droite.
La Pologne aussi subi le retour de l’autoritarisme avant que le modéré et ancien président du Conseil européen Donald Tusk ne revienne au pouvoir en décembre 2023. Les mêmes attaques avaient eu lieu contre les juges de la Cour suprême et les journalistes. L’avortement y avait été quasiment interdit entraînant des décès de la part de médecins ayant refusé de pratiquer cette intervention à des fins pourtant purement thérapeutiques.
Les Etats-Unis, nouvel Etat illibéral
Toutefois, l’évènement majeur de ces derniers mois est l’arrivée de Donald Trump au pouvoir le 20 janvier 2025, qui a consacré l’arrivée d’un nouvel Etat illibéral. Le président Donald Trump de retour à la Maison-Blanche après un premier mandat (2016-2020) s’est radicalisé à tous les points de vue, comme en a témoigné le choix de l’ultra-conservateur J. D. Vance comme vice-président ainsi que celui du milliardaire Elon Musk nommé chef du « département de l’efficacité gouvernementale ». L’exécutif américain, en faisant fi des pouvoirs du Congrès des Etats-Unis, a ainsi décidé de limoger des centaines de personnes dans l’administration, en particulier au sein des agences fédérales. Que de telles décisions soient contraires à la séparation des pouvoirs n’a à aucun moment effleuré le président américain, jusqu’à ce qu’une juge du district de Californie décide enfin récemment de suspendre les licenciements massifs dans les agences fédérales au motif que « le président doit probablement demander la coopération du Congrès pour ordonner les changements qu’il souhaite », actant une violation du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.
Le président américain et son administration n’ont évidemment aucun respect de ces décisions, dénonçant les juges qui selon eux s’interposent entre le peuple et l’exécutif et mettraient en danger la démocratie elle-même. Donald Trump oublie de dire qu’à aucun moment les électeurs qui ont voté pour lui n’avaient entendu lui donner un blanc-seing pour décider de de façon autoritaire par le biais d’ordre exécutifs illégaux.
Par ailleurs, une élection politique n’autorise évidemment en aucun cas le nouveau détenteur du pouvoir exécutif à violer les dispositions de la Constitution. Donald Trump a voulu politiser la justice jusqu’à l’extrême pour mieux la décrédibiliser et au final la détruire.
Le réveil des juges
L’administration américaine a systématiquement décidé de violer les décisions de justice. Il en est allé aussi de cette façon pour l’expulsion au mois de février 2025 de 190 migrants vénézuéliens sans qu’ils aient disposé de voies de recours habituelles, en violation des droits de la défense. Il a ainsi utilisé une loi de 1798 sur les étrangers et la sédition pour expulser des ressortissants vénézuéliens accusés à tort, pour la plupart d’entre eux, d’appartenir à l’organisation criminelle Tren de Aragua. La Cour suprême des États-Unis, pourtant majoritairement conservatrice, a le 19 avril 2025 suspendu l’expulsion de ces derniers en jugeant que « Le gouvernement est tenu de n’expulser aucun membre de cette catégorie de détenus aux Etats-Unis jusqu’à nouvel ordre », ce qui démontre que les contre-pouvoirs se sont enfin mis en marche après une période de léthargie.
Le droit international bafoué
Mais Donald Trump a aussi défié le droit international. Il a ainsi décidé de nommer « golfe d’Amérique » le golfe du Mexique, ce pays ayant décidé de poursuivre Google pour avoir repris cette appellation. Il a menacé de faire usage de la force pour reprendre le contrôle du canal de Panama qui avait fait l’objet d’un traité entre Jimmy Carter et le président mexicain Omar Torrijos au mois de septembre 1977. Il a utilisé la même méthode vis-à-vis du Groenland, en estimant qu’il en prendrait le contrôle par la force, ce qui a provoqué une vague de protestation et d’indignation à travers le monde. Si aucune des ces menaces ne s’est concrétisée (elles ne se réaliseront sans doute jamais), l’administration américaine a ainsi encouragé tous les pouvoirs à travers le monde à adopter cette même attitude de défiance vis-à-vis du doit international. Il a ainsi donné son feu vert au gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu dominé par des partis nationalistes et religieux pour une quasi-annexion de Gaza. Le même gouvernement, encouragé par Donald Trump envisage aussi, en violation totale du droit international et des résolutions des Nations-Unies, d’annexer la Cisjordanie. Il a enfin évoqué de faire le Canada le 51e Etats des Etats-Unis sans mesurer les conséquences de sa prise de position sur les élections législatives au Canada le 28 avril 2025 qui ont permis aux libéraux de Mark Carney de rester au pouvoir.
Plus la défiance envers le droit international croît, plus cela engendre la violence. Les affrontements entre l’Inde et le Pakistan, deux puissances qui possèdent l’arme nucléaire, vient encore de le démontrer. La revendication territoriale devient un motif légitime pour recourir à la force.
Les démocraties fragilisées
Nul doute que l’attitude adoptée par Donald Trump a encouragé ce type de réflexes qui donnent aujourd’hui la primauté à la violence. L’Ukraine avait en quelque sorte montré le chemin. Ainsi, en encouragent ce langage de violence légitime, les Etats-Unis poussent le dirigeant chinois Xi Jinping à recourir un jour ou l’autre à la force pour reprendre à moyen terme le contrôle de Taiwan. La Corée du Nord se voit encouragée à continuer sa politique d’intimidation vis-à-vis du Japon.
Nos démocraties sont également devenues très fragiles. Même dans les pays de l’Union européenne, les ressorts démocratiques se fissurent les uns derrière les autres. Les juridictions judiciaires et administratives sont régulièrement sous le feu des critiques de la part non seulement des citoyens mais aussi et surtout des responsables politiques qui n’hésitent plus à fustiger les juges laxistes, sous la pression des partis d’extrême-droite qui instrumentalisent la question de l’immigration.
La montée du populisme encourage aussi les gouvernements à restreindre le champ des libertés publiques de nos concitoyens, sans que les juges suprêmes n’aient nécessairement la capacité ou la volonté de s’y opposer.
Il y a là une débat philosophique autant que politique. Le recours à la force et à la violence est constitutif d’un risque de guerre civile en interne, et de guerre tout court à l’international. Mais les récentes décisions des juges américains montrent qu’il y a des raisons d’espérer. L’Etat de droit reste plus que jamais le ciment de nos démocraties.
Patrick Martin-Genier
Spécialiste des relations européennes et internationales
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