Dans le chapelet des grandes cités mythiques qui ceinturent le bassin méditerranéen – Barcelone, Gênes, Naples, Palerme, Alger la blanche, Alexandrie et tant d’autres – il est clair que Marseille occupe une place plus que particulière dans le cœur des Françaises et des Français.
En cette rentrée 2021 à l’ambiance si lourde, la deuxième métropole de l’hexagone, carrefour du commerce et de l’immigration depuis sa fondation par les Grecs, aux environs de 600 avant Jésus Christ, est devenue le théâtre du jour, au cœur d’une actualité fébrile d’ores et déjà marquée par le démarrage du festival de promesses électorales qui vont ponctuer notre quotidien jusqu’à l’élection présidentielle du mois d’avril 2022, quand viendra l’heure de solder les comptes et de tourner la page d’une mandature charnière entre le monde d’avant et celui instable et clivant qui émerge péniblement suite à la pandémie…
Qu’est ce qui peut bien expliquer la fascination exercée par la cité phocéenne sur notre imaginaire collectif ? Sans nul doute, cette attraction est en grande partie dûe à la magie propre aux lieux chargés d’histoire et imprégnés de tant de passages, d’arrivées et de départs qu’ils finissent par devenir une partie de nous-mêmes. En l’occurrence, Marseille, ville creuset de multiples migrations, cultures et denrées de tous horizons, en raison de sa position à la croisée des routes maritimes en provenance du bassin méditerranéen mais aussi du monde entier, a fini par devenir le miroir de toutes nos fragilités et contradictions. Jadis port de départ à destination d’un vaste Empire colonial solidement établi de l’Afrique à l’Asie, siège de très nombreux armateurs et compagnies puissantes comme les légendaires Messageries maritimes, pour ne retenir à titre d’exemple que celle qui reliait la France à l’Indochine, cette ville à l’image d’un phare a toujours éveillé des vocations d’aventuriers et de grands voyageurs, en inspirant des récits dignes des contes des mille et une nuits et des œuvres d’avant-garde, comme la Cité radieuse de Le Corbusier ou le très beau Mucem, premier grand musée national consacré à la Méditerranée…
Ce qui précède est là pour illustrer le côté lumière dans la légende de la métropole qui s’étale au pied de la Basilique Notre-Dame de la Garde, la Bonne Mère qui veille sur ses marins, ses pêcheurs et tous ses habitants, édifiée dans un style ottoman-byzantin sous le règne de Napoléon III par l’architecte Henri-Jacques Esperandieu (cela ne s’invente pas, un Nimois issu d’une vieille famille protestante qui a laissé une empreinte puissante à travers toute la ville !). Au temps où les Souverains et le pouvoir exécutif avaient une vision d’avenir et une prise réelle sur la destinée collective et où l’exercice de la politique signifiait une volonté tangible de réaliser du concret, bien avant l’avènement de l’ere des faux-semblants et de la primauté de la communication sur les réseaux sociaux au détriment d’une véritable action réformatrice ou novatrice, la cité phocéenne a connu une transformation remarquable, notamment illustrée par la rénovation de l’hôtel Dieu, du port de la Joliette et la construction du Palais du Pharo débutée en 1852 mais achevée à la chute du Second Empire en 1871 – destinée initialement à servir de résidence au couple impérial, la bâtisse fut offerte à la ville par l’ex Impératrice Eugénie aux termes d’un long procès en 1884…
Le côté sombre de la légende – sans remonter jusqu’à la Peste de 1720 qui décima la ville et au delà la Provence – revêt finalement la forme d’un long délitement, depuis les tragiques destructions de la Seconde Guerre Mondiale infligées par l’occupant jusqu’à l’effondrement de deux immeubles rue de Noailles en novembre 2018, causant hélas des victimes, fruit d’une insalubrité qui gagne et ronge tel un cancer une portion grandissante de l’habitat urbain – incurie, démission devant l’ampleur des travaux de rehabilitation à entreprendre ou corruption généralisée ?-… Des incessants règlements de comptes meurtriers au sein du milieu marseillais dans les années 70 jusqu’ au cadavre d’un jeune en perdition brûlé dans le coffre d’une voiture au cœur de l’été 2021, la liste noire s’est allongée d’une manière vertigineuse dans cette saga de la seconde métropole de France, qui a par ailleurs été le terrain de vives polémiques au fil de la pandémie et qui reste un lieu critique pour l’évolution de la politique sanitaire suivie par le gouvernement…
Aujourd’hui, des pans entiers de Marseille sont dans un état de délabrement tel que la ville entière nécessite un plan d’urgence pour éradiquer en priorité la gangrène de l’insécurité liee au trafic de la drogue qui ronge ses quartiers nord et pour enrayer ce qui s’apparente à une descente urbaine aux enfers, accentuée inexorablement au fil des années des discours et innombrables effets de manches d’une succession d’orateurs politiques de toute obédience, dont il vaut mieux oublier le nom pour éviter de les accabler… « Marseille en grand « , un plan aux louables et vastes ambitions, au budget que lui envieront bien d’autres villes de l’hexagone, arrive in extremis à quelques mois de l’échéance de la présidentielle, et place la cité phocéenne au premier rang des attentions des pouvoirs publics. On ne peut que souhaiter sa réussite, sans galéjade aucune ni irréverence quelconque, sous la protection de la Bonne Mère qui veille sur tous les habitants de Marseille, et peut-être aussi espérer que le nettoyage par des sociétés privées de la cité Bassens emblématique des maux des quartiers nord, avant la visite du cortège officiel, ne s’avère pas un avatar lointain des villages Potemkine chers aux yeux de Catherine II en d’autres temps et bien loin des rives de la Méditerranée…
Et surtout, à la grâce de la Bonne Mère, on voudrait tant y croire à ce plan, « Marseille en grand », car il y a belle lurette qu’on n’accorde plus crédit à la sardine qui bouche l’entrée du Vieux Port selon une autre des légendes de la cité phocéenne chère à toute la France…
Eric Cerf-Mayer