Dans ses vœux du 31 décembre dernier, E. Macron a à nouveau évoqué le référendum. Mais ce fut fait, comme il est de coutume dans le verbiage présidentiel, de façon déguisée : « […] Nous aurons des choix à faire pour notre économie, notre démocratie, notre sécurité, nos enfants », énonce le chef de l’Etat. « Je vous demanderai de trancher certains de ces sujets déterminants, car chacun d’entre vous aura un rôle à jouer ».
Cela veut tout dire et rien dire ! En même temps je voudrais le faire et en même temps non ! Le référendum comme une sorte de contrefeu au marasme ambiant (Bayrou n’imprime pas sa marque et, comme il n’est pas à la hauteur de la fonction, il ne l’imprimera jamais) et au désamour qui le touche. Car c’est incontestablement la personne de Macron (plus encore que la fonction) qui est rejetée. En effet selon Statista plus de la moitié des Français (54 %) souhaitent sa démission et une élection présidentielle anticipée dès 2025. Comme le révèle le Baromètre politique Ipsos-La Tribune Dimanche, la cote de popularité d’Emmanuel Macron a plongé de 7 points depuis septembre, tombant à 23 % en novembre. Il va battre le record de ses prédécesseurs les plus rejetés (Sarkozy et Hollande).
Avec cette évocation référendaire à peine voilée, il convient de préciser un peu ce qu’il en est de cette règle constitutionnelle éminente de notre Ve. Sur laquelle certaines et certains fantasment de façon éhontée. En effet un certain nombre de contre-vérités, d’approximations voire de mensonges sont dits à son propos. Notamment dans la classe politique surtout à ses extrêmes au sein desquelles on est habité par une sorte de « référendumite aigüe ».
D’abord de quel référendum parle-t-on ? Il existe trois types de référendums : article 11, article 89 et article 72 C. Evacuons les deux derniers, plus secondaires, pour se concentrer sur le premier.
Article 89 C
Celui que l’on appelle le référendum constituant permet la révision de la Constitution. Cette dernière peut être initiée par le président de la République sur proposition du Premier ministre (c’est alors un projet de révision) ou par le Parlement (c’est une proposition de révision).
Dans le cadre de la procédure de révision, les deux assemblées ont les mêmes pouvoirs. C’est pourquoi le projet ou la proposition de révision constitutionnelle doit être voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat.
Le référendum n’est pas obligatoire pour les projets de révision constitutionnelle. En cas de projet de loi constitutionnelle, le président de la République peut écarter le recours au référendum et soumettre directement le texte à l’approbation du Parlement. Le texte est adopté s’il obtient les trois cinquièmes des suffrages exprimés des deux chambres réunies en Congrès à Versailles. En revanche, en cas de proposition de loi constitutionnelle, le recours au référendum est obligatoire. Hormis sous de Gaulle, les révisions constitutionnelles ont toutes été réalisées selon cette procédure. Mais elle peut être risquée en cas de majorité « fébrile ». Ainsi G. Pompidou a préféré renoncer à son référendum sur le quinquennat en 1973.
Article 72 C
Le référendum local permet au corps électoral de se substituer à l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale pour prendre une décision sur un sujet lié à la politique locale.
Ce type de référendum est ouvert à toutes les collectivités territoriales depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 (article 72-1 alinéa 2). D’après les modalités fixées par la loi organique du 1er août 2003, le scrutin vaut décision s’il réunit les conditions suivantes :
- si la moitié (ou plus) des électeurs inscrits a pris part au scrutin ;
- s’il réunit la majorité des suffrages exprimés.
L’exécutif local est seul compétent pour proposer à l’assemblée délibérante l’organisation d’un référendum local. Cela concerne essentiellement les communes. Cette procédure n’est pas beaucoup utilisée en France notamment par rapport aux autres grandes démocraties de l’UE. C’est regrettable car il incarne pourtant, par définition, ce que l’on appelle la démocratie locale. Mais il est vrai que, s’il a une valeur essentiellement indicative, le résultat du scrutin lie l’autorité locale qui l’a impulsé. Si l’électorat dit « non » à une réforme, il sera difficile au maire de persister. Et s’il dit oui, le maire peinera à renoncer à ladite réforme. Ce référendum local, qu’on le veuille ou non, est aussi un test pour celui ou celle qui pose la question. Mais il est certainement la meilleure incarnation de la démocratie locale et communale en particulier. Comme l’énonçait Alexis de Tocqueville : « C’est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales mettent la liberté à la portée du peuple. » Tant de maires sont trop frileux à ce niveau.
Article 11 C
Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat.
Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.
Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.
Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.
Lorsque la proposition de loi n’est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de deux ans suivant la date du scrutin.
Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet ou de la proposition de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation.
Ce texte référendaire révèle à vrai dire deux types de référendums. Le premier et le plus important : le référendum législatif. Le texte soumis au référendum peut porter exclusivement sur les trois sujets suivants :
- l’organisation des pouvoirs publics ;
- l’autorisation de ratifier un traité international ;
- les réformes affectant la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et les services publics y concourant (depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995).
Ce type de référendum a été utilisé, par exemple, en 1992 pour la ratification du traité de Maastricht sur l’Union européenne ou, plus près de nous, sur la Constitution européenne de 2005. Le premier fut malheureusement adopté d’extrême justesse alors que le second aboutît à un échec aussi salutaire qu’éphémère. Il s’avère que l’on est dans les deux cas dans le second domaine de l’article 11 ie l’autorisation de ratifier un traité international (européen en l’espèce). Depuis les vœux sibyllins de Macron, on reparle beaucoup ces derniers temps du dernier référendum pratiqué sous la Ve, celui de 2005 impulsé par J. Chirac. Il s’est soldé par un échec et donc par le rejet de la Constitution européenne. On croyait cette Europe-là enfin écartée. Point du tout. Il s’avère que deux ans après à l’initiative de N. Sarkozy a été adopté par le Parlement le traité constitutionnel de Lisbonne. Que de cris d’orfraies ont été poussés par des ignorants du domaine constitutionnel ! On aurait volé la parole du peuple exprimée en 2005. Ineptie que cela. Rappelons ce que dit la première phrase de l’article 3 C : La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Donc la souveraineté nationale qui s’est exprimée en 2005 par un référendum s’est tout aussi bien exprimée en 2007 via les représentants (ndlr : les parlementaires). Eurosceptique patenté, nous nous sommes inclinés devant la vox dei. Il existe donc deux moyens, aussi légitimes qu’égaux, d’exprimer la souveraineté nationale sous la Ve.
Sur le premier domaine, le seul référendum qui a eu lieu le fut en 1962. Mais le général de Gaulle détourna quelque peu l’article 11 en faisant adopter par le peuple la révision de l’élection du président de la République au suffrage direct. Cette procédure suscita un tollé quasi général car, théoriquement, la révision constitutionnelle relève de l’article 89 C. Monnerville évoqua même une « forfaiture ». Mais comme l’ont souligné un certain nombre de collègues (certes minoritaires) à l’époque, l’onction populaire large (environ 70 %) lave de tout soupçon la manœuvre gaullienne. En revanche, en 1969, lorsque le général veut à nouveau réviser ainsi (régionalisation, fusion Sénat/ CES), il échoue et quitte le pouvoir. Et c’est un de ses plus virulents pourfendeurs d’alors, F. Mitterrand (Le coup d’Etat permanent, 1964) qui cautionna le procédé en 1994. Nous sommes de ceux qui pensent qu’il est désormais possible d’utiliser l’article. 11 C pour réviser la Constitution. C’est juste une question de courage politique ! Le succès n’est pas final. L’échec n’est pas fatal. C’est le courage de continuer qui compte. (Winston Churchill)
Le dernier domaine référendaire est certainement celui où il y a le plus d’opportunités. Paradoxalement il n’a encore jamais été utilisé. Il est vrai que politique économique, sociale ou environnementale de la Nation englobe beaucoup voire trop de choses. Et puis ce sont des concepts à tout le moins larges et prêtant donc à interprétation. Or on sait depuis Gustave Le Bon que L’interprétation diverse des mêmes mots par des êtres de mentalité dissemblable a été une cause fréquente de luttes historiques. Depuis 2022 nous voyons que certaines mentalités à l’AN sont de piteuse tenue. Et depuis quelques décennies, les mentalités du « nouveau monde » ont prouvé que celles de l’ancien pouvaient être regrettées…. Et notamment au plus haut niveau de l’Etat….
Lors de ses vœux pour 2025, E. Macron a donc remis sur la table, non pas le mot référendum lui-même, mais son souhait d’interroger les Français directement. Pour la dissolution il lui faut attendre juillet prochain. Il y a bien la démission mais, en l’état actuel et sauf à être plus informé, il ne l’envisage pas. A moins qu’il ne profite d’un référendum manqué pour partir ? Lui qui se trouve parfois des vertus gaulliennes. Jusqu’à oser mettre les mémoires du général sur sa photo officielle.
Il reste donc, il est vrai le référendum. Un certain nombre de partis, aux extrêmes de l’échiquier politique notamment, le demandent. Principalement sur trois domaines : immigration, retraites et fin de vie. Sur l’immigration, en l’état actuel du texte constitutionnel, pas une seule question ne résiste à la sagacité du Conseil d’Etat ou même du Conseil constitutionnel. Imaginons la question que suggère le RN : êtes-vous pour ou contre l’immigration ? Imaginons que pendant la campagne référendaire un crime ou un délit soit à nouveau commis par un migrant en situation irrégulière sous OQTF (cas le plus répandu). Dans un contexte nauséabond de quasi vendetta, le oui recueillerait a minima 80 %. Mais une telle question est inenvisageable en l’état actuel du droit fixé à l’article 11C. Cela signifie qu’il faut réviser le domaine de ce dernier. Il faudra beaucoup de précaution. Le dernier qui s’y est essayé c’est F. Mitterrand en 1984 (école privée). Il a vite rengainé son projet. En revanche, sur les retraites, c’est tout à fait possible. Encore faut-il trouver la bonne question. Car si c’est voulez-vous revenir sur la réforme Macron, cela déboucherait certes sur une approbation générale mais à quel prix par la suite…
Quant à la fin de vie, elle relève d’une question plus sociétale que sociale. Est-ce une question essentielle pour l’ensemble des Français ? Elle concerne avant tout les familles touchées par la fin dramatique d’un proche. Comme nous l’enseignons souvent, dans euthanasie il y a un radical (« nasie ») qui nous rebute… La loi « Claeys-Leonetti » de 2016 autorisant le recours à la sédation profonde nous semble suffisante pour soulager les gens. Et puis rappelons que s’appuyant sur les préconisations de rapport Chauvin (2023), la stratégie nationale des soins palliatifs a été présentée au conseil des ministres du 10 avril 2024, le même jour que le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. On sait qu’il existe de réels manques en France. La stratégie nationale prévoit la création d’unités de soins palliatifs pédiatriques (une par région) et l’ouverture de centres de soins palliatifs dans les 20 départements qui en sont encore dépourvus.
Mais cela c’était avant la dissolution inopportune de 2024. Avec l’impopularité record du chef de l’Etat (à peine 22 % en novembre 2024 et près de 55 % de Français qui souhaitent sa démission) entamer un référendum relèverait de l’échec assuré. Et des conséquences qui, en l’état actuel du contexte politique qui a lui-même provoqué, poserait assurément la question de son maintien à l’Elysée. Pour le référendum de 1969, Mauriac a parlé d’un « cas sans précédent de suicide en plein bonheur ». Qu’en serait-il si Macron en déclenchait un aujourd’hui ?… Ce serait l’échec certain. Un raz-de-marée anti Macron. Celui qui se prend parfois pour un gaulliste devrait donc, comme son lointain prédécesseur, en tirer toutes les conséquences et quitter l’Elysée sine die. Une sortie par le haut ?
On le disait plus haut, l’article 11 prévoit aussi depuis 2008, le référendum d’initiative partagée. Il est aussi un référendum législatif. Il peut être déclenché après qu’une proposition de loi a été soutenue par un dixième du corps électoral. A ce jour, sur huit propositions de RIP déposées, la seule ayant réussi à franchir le premier seuil parlementaire et l’avis du Conseil constitutionnel, est celle visant à considérer le groupe Aéroports De Paris (ADP) comme un service public. Elle n’a recueilli que 1 093 030 signatures, soit moins d’un quart du nombre de soutiens nécessaires (4,7 millions). Ce procédé de RIP défini à l’article 11 C est « une usine à gaz » qui, à notre sens, ne sera jamais couronnée de succès. A moins d’en simplifier les règles.
Attention, le référendum d’initiative partagée est différent du référendum d’initiative populaire ou citoyenne. Seul le premier existe en France, le second faisant partie des revendications de mouvements citoyens (tels que celui des Gilets jaunes en 2018). Le référendum d’initiative populaire existe à l’étranger. En Italie, il peut être lancé à la demande de 500 000 électeurs tandis qu’en Suisse, 50 000 électeurs suffisent.
“Un référendum c’est une excitation nationale où on met tout dans le pot. On pose une question, les gens s’en posent d’autres et viennent voter en fonction de raisons qui n’ont plus rien à voir avec la question.” (Michel Rocard)
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public – HDR des Universités