Le Royaume-Uni et les 56 Etats souverains membres du Commonwealth sont en deuil en ce soir du 8 septembre 2022. Ce deuil est partagé par le reste du monde et des millions de personnes de toutes religions, opinions politiques et convictions auront ressenti le même sentiment de perte et ce choc d’une infinie tristesse au moment où le communiqué annonçant le décès de la Reine a été affiché aux grilles du palais de Buckingham et où la nouvelle a été diffusée et s’est répandue au-delà des côtes de la Grande-Bretagne. Sous toutes les latitudes, la disparition d’Elizabeth II à l’âge de 96 ans parle au cœur d’un nombre immense d’êtres pour qui elle aura incarné un exemple et un repère uniques au cours des 70 ans du plus long règne d’un monarque britannique.
Peu de souverains dans l’histoire universelle auront régné aussi longtemps, à cheval sur deux siècles aussi marquants dans l’épopée de l’humanité. Viennent à l’esprit Louis XIV qui aura été Roi de France pendant 72 ans, et plus proche de nous dans l’échelle du temps, Bhumibol de Thaïlande décédé en 2016, 70 ans également au service de son pays…
Il n’est probablement pas un endroit de la planète où son image ne soit connue, toutes générations confondues, que ce soit sous les traits de la jeune et resplendissante princesse accédant au trône le 6 février 1952, jour de la disparition prématurée à 56 ans au château de Sandringham de son regretté Père, le Roi George VI à la santé minée par son héroïque lutte contre le nazisme aux côtés de Sir Winston Churchill pendant la Seconde guerre mondiale, jusqu’à ceux de cette aïeule vénérable, rayonnante et souriante malgré les épreuves d’une vie consacrée au service de ses sujets avec un sens du devoir inaltérable hérité de ses parents.
Rien ne la destinait initialement à ce destin exceptionnel et à cette notoriété comparable à celle de la Reine Victoria, son aïeule, Reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, Impératrice des Indes qui régna 63 ans et s’éteignit à l’âge de 81 ans dans sa résidence de l’île d’Osborne le 22 janvier 1901 – orée d’un siècle tragique-, entourée elle aussi de sa famille, grand-mère de l’Europe monarchique engloutie dans le cataclysme de la Première guerre mondiale… L’abdication de son Oncle, le charismatique et controversé Edouard VIII, pour épouser une Américaine deux fois divorcée a été la péripétie spectaculaire et teintée de scandale à l’époque, dans les années sombres de l’entre-deux-guerres mondiales, qui a permis l’heureux tour historique de l’accession à un des trônes les plus prestigieux et chargés de gloire du monde de l’aînée des deux filles d’un couple propulsé sur les devants de la scène, qui saurait le moment venu galvaniser la résistance d’un peuple au cours d’une des plus grandes épreuves jamais traversées par l’humanité. Un Père et une Mère entrés dans la légende de leur Royaume pour un courage hors normes et le partage de valeurs intangibles, transmises à l’héritière du trône sous le souffle des bombes et dans le brasier des destructions de Londres, ultime refuge de la démocratie européenne face à la barbarie nazie…
Dans le monde abîmé et à la dérive de 2022, la Reine laisse le monde orphelin d’une rare conception de la vie, de son sens et de ses valeurs immortelles – honneur, respect du devoir envers soi et autrui, fidélité à ses principes, reconnaissance de la grandeur et noblesse de l’humanité quelle que soit la place occupée, foi profonde – en dépit de tous les assauts qu’on s’acharne à lui porter…
L’incroyable force qui l’habitait, sa constance et sa résilience face aux épreuves privées et publiques qu’elle aura eu à affronter tout au long de son parcours, ne sont pas le fruit du hasard mais celui d’une observation de principes clairs dans la tenue d’un cap de vie inlassablement dévoué au service de la nation et de l’héritage historique dont elle était un maillon et l’incarnation vivante, mais avant tout consacré, depuis le serment de son sacre en l’abbaye de Westminster le 2 juin 1953, au service indéfectible de ses sujets pendant 70 ans.
Il y a là quelque chose d’unique qui explique l’aura et le caractère iconique de la Reine en cette nuit de sa disparition le 8 septembre 2022, à Balmoral, le refuge dans les Highlands d’Ecosse conçu par Albert de Saxe-Cobourg-Gotha pour Victoria, lieu de vacances heureuses où Elizabeth II pouvait redevenir mère, épouse et grand-mère, retrouver son goût des espaces naturels, soigner ses corgis et ses chevaux, loin du tumulte du monde et de ses innombrables obligations officielles. 48 heures avant de s’éteindre, la Reine y aura reçu sa 15e et dernière Première ministre Liz Truss, tout juste désignée pour succéder à Boris Johnson, dans la continuité de ses devoirs de monarque et dans le respect du fonctionnement des institutions du Royaume-Uni.
Celle qui aura côtoyé des géants entrés dans la légende historique universelle dès son plus jeune âge et aura rencontré les dirigeants éphémères d’un nombre incalculable de nations, sillonné la planète en incarnant le prestige du Royaume-Uni et ses traditions les plus nobles, va à son tour entrer au panthéon des immortels, ceux et celles dont le règne sur l’esprit et le cœur des humains perdure à travers les siècles.
Heureux celles et ceux qui auront eu l’insigne privilège de la rencontrer et de lui rendre hommage, qui auront pu s’honorer de son amitié comme Nelson Mandela et partager un peu de son existence en appréciant ses grandes qualités.
Une anecdote la dépeint dans son humanité profonde à un moment où les médias se sont montrés les plus injustes à son égard, lors de la disparition tragique de la Princesse de Galles à la fin de l’été de 1997. Devant les grilles du palais de Buckingham, une petite fille tendit à la Souveraine qui se mêlait à la foule (à son retour de Balmoral où elle avait tenté de préserver un peu ses deux petits fils de la tourmente dans l’épreuve de la mort de leur Mère) un modeste bouquet de fleurs. S’ensuivit un dialogue à ne jamais oublier : « Veux-tu que je le dépose pour toi auprès des autres (la marée de fleurs qui obstruait l’accès aux grilles) ? » – « Non, Madame, celui-ci est pour vous » répondit à la Reine la petite fille aujourd’hui certainement adulte en deuil, à Londres ou ailleurs dans le Royaume…
Adieu à la Reine qui rejoindra dans l’éternité son Père, le Roi Georges VI à Windsor, ainsi que le Prince consort Philip, duc d’Edimbourg -disparu le 9 avril 2021- aux termes d’obsèques où le monde entier retiendra son souffle pour rendre un dernier hommage à une personnalité unique et rare, que des millions de personnes au-delà des frontières de son royaume ont considéré et reconnu comme un membre respecté et familier de leur environnement personnel, reconnaissable entre toutes par la grâce de cette aura magique qui magnifie les êtres élus par le destin pour éclairer notre route sur terre.
Son fils aîné, désormais le Roi Charles III, va lui succéder comme Elle le souhaitait et nul doute que fort du souffle et de la force de la Souveraine qui l’aura précédé avec tant de dignité et d’humanité, il s’attachera à perpétuer le cap tracé et suivi depuis 70 ans par la Reine, pour le salut du Royaume-Uni et la pérennité des liens du Commonwealth dans les eaux incertaines du monde présent.
Eric Cerf-Mayer