À défaut d’appliquer des politiques publiques salutaires, les élus ne sont plus en mesure que de mettre en scène des victoires dépolitisées. La volonté de la maire de Paris de garder les anneaux sur la Tour Eiffel en est un exemple.
Forte de la popularité des Jeux olympiques dans l’opinion, Anne Hidalgo a fait part de son intention de conserver un certain nombre de ces symboles sportifs dans le paysage de la capitale. Confinés à l’impuissance, les pouvoirs publics se retrouvent en réalité contraints de s’assurer des réussites sur des objets qui ne relèvent en rien de demandes idéologiques. Néanmoins, compte tenu des éléments qui ont contribué au succès de l’organisation des JO (par exemple une politique sécuritaire répressive à rebours de ce que promeut le Parti socialiste), il est surprenant que la municipalité de gauche souhaite en préserver des représentations.
À tous égards, il s’est agi au cours de cette période de compétition de retirer à la capitale son caractère originel. Devenue à moitié Potemkine et à moitié olympique, mais certainement pas parisienne, la ville s’est transformée en un vaste ensemble sans identité, vidé de ses habitants. Ces derniers, priés de quitter leur domicile par leur propre mairie, devraient ainsi se féliciter de voir pérennisés les outils de leur exil contraint. Anne Hidalgo, qui n’avait réuni que 2,17 % des suffrages parisiens à la présidentielle de 2022, est en réalité constamment rappelée au dissensus qui s’érige entre elle et ses administrés. Incapable de s’inscrire avec eux dans une certaine harmonie idéologique, elle s’en retrouve réduite, comme nombre de ses homologues contemporains, à des mesures qui relèvent de la post-politique.
En effet, le discrédit qui touche les élus, au niveau local, national et global, pousse constamment nos gouvernants à statuer de manière prétendument dépolitisée. Il s’agit de se satisfaire d’accomplissements aussi visibles qu’insignifiants comme derniers soubresauts des prérogatives que possèdent nos autorités.
Autrefois, ces dernières n’avaient pas à se dire « en responsabilité », selon le néologisme macronien, pour être reconnues en tant que « responsables politiques ».
Dans le stimulant essai Post-politique, Mathieu Laine avait analysé la bascule qui s’est opérée entre le XXe siècle, l’ère des grands récits doctrinaux, et le XXIe siècle, au cours duquel les idéologies rationnellement argumentées ont laissé place à la politisation d’objets théoriquement neutres. Incapables d’opposer à leurs concitoyens un discours intellectuel général et subjectif, les prétendants à une élection ont préféré polariser la base de la société, se satisfaisant de mesures adaptées à l’incessant rythme médiatique et non au gouvernement de la Cité sur le temps long.
C’est ainsi qu’Anne Hidalgo vit en des anneaux multicolores l’occasion de durablement marquer le paysage parisien de sa main, plutôt que d’octroyer à la ville la large refonte dont ses infrastructures ont cruellement besoin.
À préciser par ailleurs que la municipalité n’a que trop conscience du gouffre qui sépare la capitale au quotidien de sa version olympique. Cet été, l’économie parisienne a souffert d’une importante baisse de fréquentation touristique par rapport aux années précédentes. Interrogé sur ce sujet par Jean-Jacques Bourdin, mardi 3 septembre sur Sud Radio, l’ex-premier adjoint à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire, a concédé : « Si vous êtes amoureux de Paris, et que vous voulez visiter Paris, vous ne venez pas au moment des JO ». Le désormais député de Paris a pour autant soutenu l’initiative d’Anne Hidalgo…
Enfin, il ne faut pas être naïf quant au message identitaire qu’envoie également cette altération du plus éminent des monuments parisiens. Cette insigne représente par excellence la dissolution des cultures nationales que le néoprogressisme cherche à déconstruire : l’entrelacement des cinq anneaux entend symboliser les cinq continents, tandis que le site internet du Comité international olympique (CIO) précise que « les six couleurs ainsi combinées reproduisent celles de toutes les nations sans exception. »
D’ailleurs, dans son entretien à Ouest-France le week-end dernier, Anne Hidalgo a légitimé moralement sa décision en arguant « avoir l’accord du CIO. » En résumé, il s’agit de vider de sa substance nationale un emblème français, grâce à la seule onction d’une organisation internationale.
Eliott Mamane