En Gaule, Mercure est le dieu suprême. Aucun autre pays du monde classique ne l’a autant honoré. Les dédicaces qui l’invoquent dépassent celles attribuées à Jupiter1. Par Thomas Flichy de La Neuville.
Jules César note dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules : « Le dieu qu’ils honorent le plus est Mercure : ses statues sont les plus nombreuses, ils le considèrent comme l’inventeur de tous les arts, il est pour eux le dieu qui indique la route à suivre, qui guide le voyageur, il est celui qui est le plus capable de faire gagner de l’argent et de protéger le commerce ». La figure du Mercure gaulois, qui se perpétue à l’âge moderne2 a pourtant été altérée par les influences gréco-romaines. En effet, cette figure indigène, ne ressemble au Mercure romain que pour une partie de ses attributions : la protection des commerçants et des voyageurs. Dans sa figure première, il incarne le dieu de la fécondité universelle et l’inventeur de tous les arts. Aussi convient-il de procéder de distinguer avec soin les éléments d’importation se rapprochant de la figure d’Hermès de l’héritage indigène s’apparentant au dieu celtique Lug.
Le cousinage apparent avec Hermès
Aux yeux de César, le dieu suprême des tribus gauloise ressemble à une divinité connue du panthéon helléno-romain, celle d’Hermès. Ce messager des dieux, dispensateur de la chance et gardien des carrefours3 est le dieu des commerçants, des voleurs et des orateurs. Celui qui gonfle dans la clarté conduit également les âmes des morts vers les enfers. Selon les hymnes homériques, la jeunesse du dieu psychopompe est marquée par un double tropisme : les arts et le brigandage. Alors qu’il se met en quête du troupeau d’Apollon, il rencontre une tortue en chemin, qu’il tue. Fabriquant une lyre dans sa carapace, et plus tard une flute de Pan dans un roseau, il gagne la Piérie où paissent les troupeaux divins. Il dérobe cinquante bœufs à son demi-frère Apollon puis retourne chez sa mère à laquelle il annonce son intention d’embrasser le meilleur des métiers, celui de voleur4. Zeus lui ordonne néanmoins de révéler l’endroit où il a caché le troupeau puis de céder sa lyre à Apollon, maître des arts. Voici donc Hermès relégué à un rôle mineur. Pendant la guerre de Troie, ce dieu refuse de combattre. Il se contente d’être le messager et l’interprète. Apparaissant fréquemment sous les traits d’un jeune homme à la première barbe, Hermès se réfugie dans les plaisirs. Il est le père de dieux à la sexualité débridée : avec Aphrodite, il engendre Hermaphrodite, divinité bisexuée. Parmi ses enfants, l’on trouve Autolycos (vrai loup) qui a reçu de son père le don de voler sans jamais se faire prendre, Echion, conteur d’aventures ou encore Palaestra, reconnue pour avoir inventé l’art de la lutte afin que les hommes se divertissent en temps de paix. Contrairement à Dionysos « philanthrope », il est dit philandros : les hommes qu’il favorise sont ses complices, ceux qui réussissent par chance, ou malhonnêteté. Cette activité se concilie avec son caractère nocturne. Il est la personnification de la mètis, c’est à dire de l’intelligence rusée. Ce dieu des voleurs et des prostituées apprécie la pâtisserie comme offrande. Comme dieu des orateurs, ses offrandes préférées sont le lait mêlé de miel et les langues d’animaux. Vers la fin de l’Antiquité, notamment dans l’Égypte hellénisée, Hermès devient le dieu des savoirs cachés. En réalité, seule une partie des attributs d’Hermès se retrouve chez le Mercure Gaulois : tout au plus sa fonction de protecteur du commerce. En revanche, il n’est jamais en Gaule, le dieu des voleurs.
L’héritage englouti du dieu Lug
En réalité le dieu gaulois baptisé Mercure par César ne se soucie qu’accessoirement du commerce. Dieu de la fécondité universelle et de la vie, sa bourse est parfois remplacée par un enfant qu’il peut tenir sur le bras. Cette figure et plus entreprenante qu’Hermès. Un bas-relief le présente avec des pinces à Gross-Limmersberg. Un autre, à Strasbourg, brandissant un marteau avec l’œil fermé. Il se rapproche ici davantage d’Héphaïstos, dieu de la métallurgie, habituellement représenté sous les traits d’un forgeron boiteux. Ce dieu est d’abord un inventeur divin et un créateur d’objets magiques. C’est dans une grotte de l’île de Lemnos qu’il fait son apprentissage d’artisan en façonnant des bijoux. Héphaïstos fabrique un trône d’or aux bras articulés, qui emprisonne quiconque s’y assoit, et l’envoie dans l’Olympe en guise de présent. Ce dieu boiteux épouse une incarnation de la beauté. Son imagination et son activité sont inépuisables : Héphaïstos façonne les armes d’Achille, la cuirasse de Diomède, la maison souterraine de Poséidon, le char du Soleil, le géant de bronze Talos et le collier d’Harmonie. Il crée également des servantes d’or, créatures à l’apparence humaine mais faites de métal. Le mercure gaulois se rapproche parfois de Mars5 ou de dieux plus entreprenants telle Athéna, déesse des artisans et des artistes, protectrice de l’effort héroïque et patronne du tissage. C’est elle toujours qui montre à Érichthonios comment fabriquer un char, et à Danaos, à Rhodes, comment concevoir un navire à cinquante rames. Tout ce qui est filé ou cousu est de son domaine, comme le montre la fable d’Arachné6. Le Mercure gaulois emprunte enfin certains de ses attributs à Apollon, qui se rapproche du Lug celtique, l’inventeur de tous les arts.
Ainsi, le Mercure Gaulois protège d’abord la vie et les arts, même s’il soutient les entreprises des hommes, qu’elles soient industrielles ou commerciales. Ce dieu allie en son sein, des fonctions complémentaires qui ont été soigneusement séparées au sein du panthéon gréco-romain. Il ordonne surtout les activités humaines à un but suprême qui est la transmission de la vie. Cet héritage religieux est sans doute à l’origine d’une singularité gallique : la marque de la souveraineté divine est d’oser créer. C’est ainsi qu’en France, la personnalité complète de l’entrepreneur innovant l’a emporté sur celle du spécialiste de l’intermédiation commerciale.
Thomas Flichy de La Neuville
Agrégé de l’université, habilité à diriger des recherches en histoire
Titulaire de la chaire de géopolitique de Rennes School of Business
- Plus de 470 inscriptions et plus de 570 statues ou bas-reliefs, sans compter des centaines de statuettes en bronze confirment le témoignage de César. Un temple de Mercure couronne le Puy-de-Dôme ↩
- Le Mercure galant, un des premiers périodiques français (1672), donne à ses lecteurs les nouvelles de la Cour et de Paris. Le Mercure galant a pour but d’informer le public des sujets les plus divers et de publier des poèmes ou des historiettes. Cette publication bénéficie d’un privilège royal. ↩
- Il était de coutume de placer des empilements de pierres en son honneur aux carrefours : chaque voyageur ajoutait une pierre à l’édifice. Ces tas de pierres ont été peu à peu supplantés par des bornes en pierre de forme phallique placées le long des routes. ↩
- Le vol des vaches d’Apollon lui a valu le titre de « Prince des voleurs » et il existe un culte d’Hermès kléptēs « voleur » à Chios comme à Samos. ↩
- Un monument d’Alise Sainte-Reine le montre, appuyé sur une lance. ↩
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Lorsqu’elle se rendit compte que la tapisserie d’Arachné dépassait de loin la sienne, la déesse explosa de rage. Elle déchira la toile d’Arachné et la frappa. Dévastée, Arachné se pendit avec un lacet. Prenant pitié pour elle, la déesse décida alors de la transformer en araignée afin qu’elle puisse continuer à tisser sa toile pour l’éternité. ↩