La faillite en bonne et due forme de la SVB en Californie est désormais suivie de lourdes incertitudes quant à la viabilité du Crédit Suisse. Tout ceci provoque une tourmente boursière et nous invite à convoquer la notion de crise systémique.
Le dossier Silicon Valley Bank est incroyable. Alors que les Auditeurs venaient de certifier les comptes (il y a exactement 13 jours) il est révélé une situation de crise de liquidités donc d’impossibilité de poursuivre l’exploitation.
Aux États-Unis, il n’y a pas eu de demi-mesure. Les actionnaires ont enregistré leurs pertes de manière frontale et les dépôts des clients ont été sauvés via une mesure fédérale.
En Suisse, la situation est plus complexe. Le Crédit Suisse pèse plus de 1.500 Mds d’euros et a de nombreuses ramifications avec ses homologues continentaux.
Ce sont précisément ses liens, encore mal identifiés, qui ont généré une vive inquiétude autour de la BNP Paribas et de la Société Générale. Ces deux fleurons de notre cartographie bancaire nationale ont perdu jusqu’à 12 % en séance le mercredi 15 mars.
La perte de capitalisation est importante et si l’on regarde les principaux actionnaires de Crédit Suisse, il est impératif de constater que le primo-actionnaire saoudien a clairement indiqué qu’il n’avaliserait pas de plan de soutien de la banque dont la valeur boursière a été divisée par 4 en un an.
Quelque chose n’est pas clair mais nul ne sait dire quelle proportion de la valeur bilancielle de Crédit Suisse est atteinte voire toxique comme du temps de Lehman Brothers en 2008.
Je veux ici insister sur l’importance du choc qui peut concerner le marché interbancaire et ainsi la confiance des divers opérateurs bancaires.
Depuis près de quinze ans, bien des commentateurs ou des praticiens avertis ont traité, sous différentes formes, de la crise de 2008. Tous les formats ont été envisagés : depuis un billet d’humeur elliptique à une thèse académique aussi fournie que captivante.
De nombreux travaux méritent donc considération voire respect.
Chacun veut tenter de tirer les leçons de la crise de 2008. Je n’aurais pas, ici, une telle audace et souhaite – en revanche – énoncer plusieurs points trop souvent passés sous silence alors qu’ils sont d’actualité en ce printemps 2023.
La datation de la crise est une obligation intellectuelle
Beaucoup trop d’analystes s’accrochent à la date de 2008 et à la fameuse faillite de Lehman Brothers. Ceci revient à chercher ses clefs au pied du réverbère et à occulter la genèse de la crise.
Comme souvent dans l’Histoire, tout est parti de l’immobilier avec une étape connue : les fameux subprimes, autrement dit des produits toxiques habilement instillés dans des véhicules d’investissement apparemment corrects au point de berner les agences de notation dont l’activité est souvent critiquée par des opérateurs qui sont – en réalité – comme l’obèse devant son pèse-personne.
Mais, cette datation est partiale voire inexacte. Il faut effectuer un recul en arrière de quelques années et s’intéresser au soutien de l’Administration fédérale en matière foncière. C’est de Washington, et non de New-York et de sa place financière, qu’est venue l’impulsion qui a conduit à négliger la solvabilité intrinsèque des acheteurs immobiliers et la conviction aberrante que les prix continueraient à suivre une tendance ascendante.
Autrement dit, et sans verser dans une lecture libérale à tout crin, j’invite le lectorat à mesurer que c’est l’État fédéral qui a émis le signal qui a enclenché la spirale mortifère. La crise de 2008 trouve son origine dans un flux sectoriel d’étatisme mal conçu.
Loin d’avoir élaboré une pratique keynésienne de soutien aux accédants, on a tablé sur le pur jeu de l’offre et de la demande sans vérifier la probité de chacun de ces facteurs.
La faillite n’est rien en comparaison de la crise interbancaire
La cessation des paiements de la banque Lehman Brothers, dont il se murmure parfois qu’elle a considérablement réjoui une ou plusieurs de ses concurrentes (Goldman Sachs), est un acte juridique aux conséquences capitalistes et financières. Autrement dit, en premier lieu, c’est un cygne noir pour les actionnaires de la banque et pour ses créanciers.
Pour ma part, je considère que l’imperfection de la contrepartie est un indice grave et vous noterez qu’il a peu été étudié l’impact de cet accident industriel sur les débiteurs de la banque dont certains, essentiellement institutionnels, ont su tirer parti.
Le vrai sujet qui retient mon attention depuis 15 ans, c’est la crise du marché interbancaire qui a été décrite comme une « thrombose » du système où plus personne ne fait confiance à son voisin d’affaires.
La crise de 2008 c’est une folle destruction de valeurs (marchés financiers, Bourses), c’est la contagion à l’économie réelle avec son cortège d’impacts violents sur le niveau d’emploi en Occident. Mais techniquement, c’est d’abord la crise quasi-absolue de la contrepartie.
Le marché interbancaire ne s’est jamais totalement remis de ce choc.
Ainsi, il faut garder en mémoire qu’en 2016, plus de 640 milliards d’euros de liquidités détenues par les banques européennes étaient quotidiennement placées auprès de la BCE – même à des taux dérisoires – plutôt que conservées dans des opérations surjectives voire bijectives selon les entrelacs de la finance moderne.
A l’heure où les endettements public et privé atteignent des sommets, il faut relever la plasticité des nouvelles variantes de la contrepartie qui entraînent des surcoûts juridiques et opérationnels.
La régulation bancaire et les engagements hors-bilan
Issue de 2008, de nouvelles régulations (i.e Bâle III) ont permis de venir renforcer les fonds propres des banques. On parle de plus de 2.600 milliards. Ce point peut sembler positif à l’observateur pressé mais à lire l’actualité financière posément, on constate que tant un grand établissement espagnol que ses homologues italiens ont été surpris de découvrir l’étendue exacte de leurs prêts non performants, c’est-à-dire pour être précis de leurs créances douteuses.
Comment de telles sommes n’ont-elles pas été consolidées dans les systèmes d’information comptable des établissements financiers ? Ici se tient non pas une erreur ponctuelle mais l’amorce d’une faute systémique qui atteste que des accidents bancaires d’ampleur demeurent possibles voire plausibles.
Là est le sujet pour le cas Crédit Suisse.
Les normes comptables IFRS et Bâle III ne nous prémunissent pas, à ce stade, d’une échelle de risque qui reste excessive. Sans l’action de la BCE, le système bancaire italien ne serait partiellement plus viable. S’il y a une leçon à tirer de la crise de 2008, c’est précisément que l’Histoire peut aimer repasser les plats.
A ce stade, il me revient d’aborder un sujet sur lequel j’ai eu l’opportunité de conduire des travaux de recherche : il s’agit des engagements hors-bilan des banques.
Ceux-ci recouvrent une foule d’opérations qui concerne les échanges interbancaires, des opérations en devises, des cautionnements divers, des engagements de sociétés faîtières à l’égard de filiales, etc.
Tout ceci mériterait un long développement mais pour aller à l’essentiel, il est fondamental de savoir que ces opérations souvent intra-journalières sont parfois mal retracées par les appareils comptables. D’évidence pour la comptabilité générale et encore plus nettement pour ce qui touche à l’analyse des flux sous une forme ordonnancée.
Un praticien reconnu comme Jean-Luc Siruguet a ainsi été jusqu’à démontrer et écrire : « Une activité notable du banquier est la prise ou réception d’engagements significatifs (opérations de hors-bilan) sans qu’il y ait transfert de fonds. Il peut en découler que ces engagements ne génèrent pas d’écritures comptables dans les systèmes généraux. La non-prise en compte de ces éléments peut être difficile à déceler.« 1.
Le véritable impact de la crise de 2008, c’est l’approfondissement et la dynamique périlleuse du hors-bilan bancaire qui est un casse-tête pour les auditeurs externes tant privés (commissaires aux comptes) que publics. Il est objectivement loisible de s’exonérer de certaines obligations prudentielles. Comment ne pas concevoir un univers de tentations ?
Comment ne pas se souvenir des avertissements de Michel Pébereau, président d’honneur du groupe BNP Paribas ?
L’un des principaux impacts de la crise de 2008, c’est clairement le carburant qui remplit les engagements hors-bilan au mépris de la lucidité collective.
En cette matière, je laisse au lectorat le soin de lire ou de relire une phrase de Diderot :
»Je pense que nous avons plus d’idées que de mots. Combien de choses senties et qui ne sont pas nommées ! « .2.
Oui, en matière de fonctionnement bancaire, les opérateurs ont plus d’idées qu’il n’y a de lignes comptables et de mots pour décrire les pratiques. Voilà un vrai danger aussi objectif qu’opaque.
La taille systémique avérée de Crédit Suisse et ses interrogations intrinsèques sont un fait. Elle peut se transformer en sinistre fort significatif si une réflexion d’ampleur entre la BNS et la BCE n’a pas lieu.
Dans tous les cas, les actionnaires peuvent s’attendre à enregistrer des pertes sèches.
Quant aux déposants, rien ne permet d’affirmer que 100 % de leurs avoirs recevront une garantie digne de ce nom.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique
Photo : Pincasso/Shutterstock.com