Au terme d’un épisode particulièrement traumatisant et certainement loin d’être soldé, ces dramatiques journées d’émeutes destructives qui ont mis en lumière un effondrement sidérant de la cohésion nationale et le grave pourrissement de la situation depuis avril 2022, le remaniement du gouvernement s’avère hélas comme un non évènement alors que juillet touche à son terme dans un été de restrictions et d’interrogations sur ce qui les attend à la rentrée pour beaucoup de vacanciers, qui résume parfaitement l’impuissance de l’exécutif à concrétiser un quelconque rebond, à surmonter ce qui risque de ressembler de plus en plus à une laborieuse fin de règne et à sortir une macronie démonétisée, usée, condamnée à une autosatisfaction pathétique, éloignée du monde réel, de l’impasse dans laquelle elle a entrainé le “cher et vieux pays” durant six années de déni, d’arrogance dans sa certitude de détenir les clés du progrès et de diagnostic erroné sur les maux qui minent désormais la société française toute entière…
Révolte des Gilets jaunes, crise sociale profonde autour de la totémique réforme des retraites, émeutes urbaines un an à peine après la séquence électorale de 2022, autant d’étapes révélatrices d’un chemin de croix avec quelle issue au bout si on persiste dans la surdité et la cécité face à la perte manifeste de confiance des Français en leurs institutions et en leurs dirigeants choisis par défaut sans débat digne de ce nom par ceux qui n’auront pas définitivement tourné le dos aux urnes, et si on continue sur cette pente là, sans parvenir collectivement à poser le bon diagnostic ni dégager les réponses politiques aptes à redresser le cap, en multipliant à l’envi les artifices de communication, états généraux de ceci ou de cela, en résumé du vent pour gagner du temps afin de masquer l’abandon d’ambition et de réelle volonté de réforme et de redressement au terme d’une démission ou d’une incapacité à corriger les défaillances accumulées au fil des décennies ?
La France est encore sous le choc de ces épisodes de chaos d’une violence tragique, emblématique de notre dérive collective et de la pernicieuse remise en cause de l’autorité publique encouragée et alimentée par ceux à l’extrême de la gauche qui croient être capables de maîtriser les forces obscures de la révolte qu’ils attisent pour tenter de parvenir au pouvoir en se trompant d’époque, et il s’y ajoute en plus quelque chose d’irrémédiablement brisé dans le rapport de confiance des citoyens avec leurs dirigeants depuis le déplorable passage en force de cette réforme des retraites massivement rejetée par l’opinion et qui sera probablement à corriger à la fin de la mandature en cours…
Dans une démocratie irrémédiablement abîmée et fragilisée, il n’y a guère que cette macronie traversée de courants contraires, loin d’être univoque, et la caste technocratique de plus en plus déboussolée, qui semble souvent servir ses intérêts sans grande conviction bien plus que l’intérêt général, pour faire semblant de croire que l’apaisement, l’union et l’action, la formule incantatoire des 100 jours dont l’épilogue s’est avéré aussi désastreux pour le pays et sa cohésion, sont au rendez-vous et que la page est tournée sur la succession de déconvenues enregistrées en cette première année de saison 2 d’un délitement entamé, il est vrai, bien avant 2017 mais dangereusement accentué par la chimère du “En même temps”, cette illusion d’un dépassement du clivage droite gauche qui s’avère une tromperie intellectuelle retentissante. Le réajustement a minima de l’attelage improbable – un mélange d’ambitions individuelles opposées plus que de fusion impossible des deux grands courants de notre vie politique- qui a conduit la France au bord du précipice fin juin signe l’échec d’un élargissement de la majorité relative et le pouvoir en place n’a en définitive eu que l’alternative de se recentrer ou plutôt se replier sur lui-même faute d’être capable de rallier, quand ce n’est pas débaucher, d’autres soutiens opportunistes à sa politique de balancier oscillant inlassablement de contradictions en louvoiements sans cap clair ni crédible et malheureusement sans résultats convaincants.
A défaut d’être en mesure de proposer une réelle voie de sortie de crise, sans même aller jusqu’à espérer le sursaut éventuel offert par une perspective d’union nationale qui exigerait le passage raisonnable par un retour aux urnes pour sortir de l’ornière, il faudra se contenter de discours répétitifs vantant un bilan bien maigre auquel plus personne n’accorde un réel crédit et s’accommoder d’une communication de l’exécutif qui reflète le désarroi général tant dans sa forme décalée – deux discours à bonne distance du peuple, à l’issue d’une fête nationale sous protection plus que nécessaire pour éviter une reprise de l’embrasement – que dans son fond – un contenu de formules creuses qui n’impriment plus, gommant laborieusement la gravité de la séquence insurrectionnelle à peine écoulée sans convaincre qui que ce soit en dehors du camp retranché d’une majorité de plus en plus relative -.
La reconduction sans éclat, comme à contrecœur et en tout cas à contre-courant de l’aspiration de l’opinion publique à un vrai remaniement, de l’essentiel du gouvernement antérieur aux émeutes du début de l’été ressemble plus à un aveu d’impuissance qu’à une réelle capacité d’impulsion d’élan nouveau. Il faudra entre autres juger sur pièce les prestations des “nouveaux venus” à la tête de l’éducation nationale et de la santé car pour les autres domaines il n’y a aucune illusion de changement à attendre ou espérer puisque tous les indicateurs seraient au vert dans cet étrange exercice d’autosatisfaction auquel vient de se livrer l’exécutif.
En d’autres temps, on parlait déjà de continuité dans le changement sans que cette recette ait réellement porté ses fruits…
Aucun souffle, aucun enthousiasme (il est vrai malaisé à afficher de bonne foi après ce qui restera un terrible échec et un traumatisme difficile à résorber en quelques jours et semaines dans bien des municipalités de France…), aucune réelle lueur d’espérance, tout au plus un service minimum éloigné des protocoles usuels, et c’est tant mieux somme toute dans la résignation générale au vu du résultat de toute cette gesticulation inutile, une sensation d’accalmie trompeuse, similaire à la pesanteur du silence subit observé dans l’œil d’un cyclone avant la reprise de la tourmente, qui coïncide avec une pause estivale morose, marquée par des épisodes caniculaires éreintants…
La carte postale présidentielle en provenance d’Océanie aura au moins eu pour mérite de rappeler l’importance vitale de notre outre-mer dans le monde périlleux de 2023, une chance et une respiration exceptionnelles qu’il ne faut ni gaspiller ni mépriser par des politiques inadaptées et éloignées des spécificités territoriales, et d’acter que la Nouvelle-Calédonie est terre de France sans tergiversations ni atermoiements possibles. Dont acte !
C’est un signal positif à prendre au cœur d’un été sans occasion particulière de se réjouir tant l’actualité demeure préoccupante et sombre, marquée encore et toujours par l’insécurité et la violence installées au quotidien : Vieux Condé, Évreux, Marseille, la barbarie est là, hideuse, semant l’effroi, révélant, tel un acide corrosif, l’effondrement d’une société en perte totale de repères, repoussant sans cesse les limites de l’insupportable et de l’admissible dans notre capacité à vivre les uns avec les autres, sapant la résilience de plus en plus malmenée d’une population au bord de l’exaspération et désarmée face à ce fléau. Combien de temps va-t-on encore tolérer de survivre sans réagir dans un environnement où un coup de couteau pour un simple regard peut mettre fin à la vie d’un adolescent âgé de 15 ans ?
Le malaise profond et le besoin urgent de réforme qui transparaîssent dans ce débat polémique autour d’une opposition justice police après le second placement en détention provisoire d’un policier marseillais cette fois-ci, dans la séquence des événements dramatiques de juin – opposition qui n’aurait pas lieu d’être si nos institutions régaliennes fonctionnaient correctement- laissent perplexe quant à la possibilité de restaurer aisément l’autorité de l’Etat dans le délétère contexte actuel. L’ordre ne se décrète pas sur injonction répétitive au détour d’un discours lointain et la justice ne souffre aucune relativité tant dans son exercice que dans sa perception par celles et ceux sur lesquels elle est censée s’appliquer en toute impartialité… Ce qui est sûr aussi, c’est que la police chargée de faire respecter ordre et loi, qui a réussi en ultime rempart à contenir l’incendie sociétal de juin, mérite beaucoup plus de considération générale et de moyens pour continuer à lutter contre l’effondrement en cours faute de quoi tout pourrait être emporté beaucoup plus rapidement qu’on ne l’imagine dans l’atmosphère (et non sentiment !) de poudrière et de violence de moins en moins contenue qui s’est abattue sur l’ensemble de nos territoires depuis plusieurs mandatures. Le reste de la doxa dominante en termes d’opposition entre domaines régaliens vitaux relève de la méthode Coué pour continuer à s’aveugler sur la gravité de la situation et la réalité des ferments délétères et mortifères de division qui agitent et mettent en péril la maison France. Là encore, l’apaisement sera loin d’être acquis si on se contente de paroles ou de postures aussi guerrières soient-elles sans les accompagner d’actions tangibles…
“Indépendance et justice” vaste sujet, projet, perspective ? dont on peut se demander comment les termes auront été compris par les gens ordinaires, en vacances ou non, les estivants au pouvoir d’achat érodé par l’inflation qui réduisent leurs dépenses devant la cherté des fruits et légumes sur les marchés de leurs lieux de détente ou villégiature, les restaurateurs et commerçants qui s’adaptent à une fréquentation en baisse, tous ceux in fine qui devront supporter les restrictions induites par l’annonce de la fin des boucliers tarifaires et de l’augmentation de 10 % au 1er août du prix de l’électricité pour les particuliers… Indépendance ou souveraineté dans le domaine de l’énergie, en se libérant des contraintes communautaires, par exemple ? Justice mais laquelle à dire vrai dans la confusion actuelle ?
Le risque d’accroître le désarroi avec une parole publique difficile à appréhender par le commun des mortels est très grand mais pour autant la rentrée semble éloignée, pas autant, sans doute, que le Vanuatu ou la Papouasie-Nouvelle Guinée dans l’imaginaire des Francais…
Les incendies qui touchent le pourtour sud de la Méditerranée, Rhodes, Eubée, Corfou, Palerme, Corse, Espagne et Portugal, Tunisie, autant de noms de lieux souvent idylliques quand ils sont associés à l’insouciance relative des vacances, occupent pour l’heure les esprits fatigués par des mois de difficultés de tous ordres et de polémiques. Terrible carte postale révélatrice du désordre mondial (pas seulement climatique !) également que cette image de deux enfants prenant une leçon de voile sur un optimiste dans le port de Boulogne avec à l’arrière plan un canot pneumatique, taxi tragique dangereusement surchargé de migrants à destination du Royaume-Uni en plein jour, à relier à l’annonce incongrue relayée par les médias de cours de natation offerts à des migrants par une association humanitaire sur une plage du Midi, en triste contrepoint ironique de l’actualité à venir à la rentrée sur le débat politique au sujet de l’immigration qui se profile, chargé de tous les dangers, en addition à ce “mauvais vent” qui enfle, soufflant sur le “cher et vieux pays” depuis trop longtemps maintenant…
Quoi d’autre pour faire diversion ? Au choix :
- L’état d’avancement des chantiers de préparation des Jeux olympiques de 2024 qui feront de la France meurtrie de 2023 le “centre du monde” dans un Paris, dont on espère qu’il survivra à cet incroyable pari tant financier, logistique que sécuritaire au vu du retour dans le réel économique qui nous attend, sur fond de guerre en Ukraine perdurant à l’horizon en dépit d’une contre-offensive dont on attend des effets plus rapides pour stopper l’engrenage infernal de ce conflit qui mine à bas bruit nos économies post pandémie ;
- Ou la préemption insolite de la “succession” en 2027 au détour d’une petite phrase anodine ou pas avec la désignation avant l’heure du candidat “dynastique” de la macronie, pour rééditer une saison 3 avec en lice la même distribution des rôles et des cartes qu’en 2022 ?
Les Français en vacances ou non apprécieront ou pas, jugeront et profiteront peut-être du ralentissement traditionnel de l’activité au mois d’août pour se faire une religion ou une opinion tranchée sur le sérieux et la fiabilité des perspectives qui s’ouvrent devant eux dans les mois à venir, si ils gardent, avec leur bon sens, encore un peu de recul sur l’incroyable tournure des récents événements ! Tôt ou tard, il est encore possible que la réalité dans sa crudité implacable finisse par s’imposer et rattraper ceux qui pensent pouvoir continuer à les diriger sans réellement les consulter ni tenir compte des signaux inquiétants qui s’allument de tous côtés sur le chemin commun… Cela peut constituer, en guise de devoir de vacances, un sujet de réflexion au bord de la plage, sur un chemin de randonnée à la montagne ou à la campagne, pour ceux qui pourront s’abstraire momentanément de la dureté des temps.
Eric Cerf-Mayer