Depuis le 27 septembre, les combats entre arméniens et azerbaïdjanais ont repris pour le contrôle du territoire du Haut-Karabagh, nation arménienne autoproclamée. Ces affrontements font resurgir le spectre d’une guerre entre les deux pays. Une paix reste possible, selon Gaël Perdriau, et la France peut, par sa diplomatie, aider les belligérants à trouver une issue à ces conflits.
Une fois de plus, dans son histoire millénaire, le Caucase, région stratégique majeure au carrefour des routes asiatiques de l’énergie, s’embrase au bénéfice de la résurgence d’un conflit pluriséculaire opposant Azerbaïdjan, Arménie, Turquie et Haut-Karabakh. Une guerre qui se sera réveillée à deux reprises, au cours du XXème siècle, d’une part, au moment de l’effondrement de l’Empire Ottoman et, d’autre part, de celui soviétique. Le tout sur fond d’une lutte exacerbée des nationalismes, instrumentalisés afin de servir des intérêts, moins avouables, permettant de tirer les immenses bénéfices de la manne énergétique.
Au moment même où, devant les ruines du Mur de la Honte, Rostropovitch émouvait la terre entière sur un air de Bach, un conflit prenait forme ; aux accents d’une mauvaise note échappée de la perfection du violoncelle du maître, elle résonnait tel un avertissement, nous mettant en garde sur la véritable nature de la fin de la guerre froide. Avec l’effondrement de l’URSS, le conflit du Haut-Karabakh reprit avec une rare intensité en ne s’arrêta, en 1991, après 30 000 morts.
Les grandes puissances sauvèrent les apparences en instituant un groupe de travail sur ce conflit, dont la localisation, à Minsk, capitale d’une future Biélorussie dictatoriale, ne laissait augurer rien de bon.
Trente ans plus tard, ce conflit n’est toujours pas réglé et le Groupe de Minsk peine à cacher la totale indifférence dans laquelle les grandes puissances tiennent cette guerre, surgie du passé, que la période communiste avait gelé, pudiquement, alors même que les autorités communistes de Moscou jouaient sur les cordes nationalistes afin d’asseoir l’autorité de la révolution bolchévique sur cette partie si turbulente de l’Asie.
L’échec patent du Groupe de Minsk, dû à la lâcheté des grandes puissances, est synonyme de massacres et autres violences que subissent les populations civiles de cette terre qui cherchent à faire valoir leurs droits légitimes face à l’aveuglement d’un régime azéri transformé en principauté post-communiste héréditaire dominé par la famille Alyev, parlant au nom d’un peuple dont nul saurait présupposer quels sont les véritables sentiments. Depuis quelques jours, cette guerre a repris avec une rare violence, faisant plusieurs dizaines de victimes et infligeant des souffrances aux populations civiles premières, voire seules, victimes de cette folie.
Aucune solution ne saurait naître de cette guerre d’autant plus violente qu’elle mêle nationalisme et religion pour servir de paravent honteux à la lutte pour l’influence et le contrôle des voies d’extraction des extraordinaires réserves énergétiques de la région caspienne. Des richesses qui permettent, très souvent, de bénéficier du silence embarrassé de ceux-là mêmes qui devraient rechercher une solution politique équilibrée fondée sur la reconnaissance du droit de chacun à vivre en paix en cohabitant dans le respect des différences mutuelles.
J’ai eu l’occasion, voilà deux ans, de me rendre en Arménie et au Haut-Karabakh à la rencontre de ce peuple à la culture pluri-millénaire qui entretient avec la France, en général, et la Loire, en particulier, des liens d’amitié au moins aussi puissants que ceux entretenus par les habitants ayant des attaches avec la Turquie. J’ai voulu comprendre les racines de ce conflit tout en favorisant l’émergence de projets civils destinés à faire émerger des formations professionnelles autour des métiers du bâtiment.
Même si le sentiment d’une paix toute relative était palpable, j’ai découvert un peuple profondément attachant et extraordinairement accueillant désireux de construire une société authentiquement pacifique. Il ne m’a pas été donné de pouvoir me rendre en Azerbaïdjan, mais je reste convaincu que les azerbaïdjanais sont animés d’un même désir de paix. Au cours de ce trop bref voyage, j’ai forgé une intime conviction sur le rôle que doit jouer la France.
En effet, il est temps que les belligérants acceptent le principe que seule une solution politique offrira les garanties indispensables à une paix réelle. Le recours à la force ne fera que nourrir une mécanique incontrôlable de destruction.
La France doit peser de tout son poids diplomatique en faisant valoir ses liens historiques d’amitié tant avec l’Arménie qu’avec la Turquie. Notre pays doit faire entendre la voix de la fermeté et du respect des valeurs de la Charte des Nations Unies au moment où le Conseil de Sécurité examine la situation dans le Caucase. C’est notre devoir de tout mettre en œuvre pour protéger les populations civiles. Nous devons tout essayer or, comme l’écrit Ionesco, «pour essayer, il faudrait avoir de la mémoire».
Oui, il est impossible d’occulter les faits historiques si on souhaite réellement offrir une chance à la paix. Nombreux sont ceux qui pourront taxer une telle démarche d’utopie. Est-il si utopique de penser que ces ennemis puissent reconnaître l’impasse que constituerait la poursuite d’une guerre, ayant déjà fait plusieurs dizaines de victimes, essentiellement du côté arménien, à l’image de ce que firent, en 1977, l’Egypte et Israël ? Souvenons-nous des mots prononcés par Anouar el-Sadate, à la tribune de la Knesset, le 20 novembre 1977 : « Parlons franchement, en utilisant des mots directs et des idées claires sans quelque déformation que ce soit. […] Le premier fait est qu’il ne peut y avoir de bonheur pour quiconque au prix du malheur d’autrui. »
Ces paroles, empreintes de sagesse, prononcées par un grand soldat ont ouvert le chemin de la paix entre deux nations que tout opposait. Une paix qui, 50 ans plus tard, perdure au mépris des terribles soubresauts qui secouent la région. Il est temps que la France ouvre, dans le Caucase, cette même voie, celle du respect de la dignité humaine et du droit pour chaque peuple à vivre en paix.
Gaël Perdriau
Maire de Saint-Etienne
Président de Saint-Etienne Métropole
vice-président Les Républicains