Le gouvernement Barnier, laborieusement nommé 9 semaines après le second tour des élections législatives de juillet 2024 par un président de la République isolé et démonétisé, est fortement menacé de censure. Les Français, auxquels il s’est pourtant adressé solennellement ce mardi à 20h sur TF1, leur prédisant « une tempête et des turbulences graves » si son gouvernement tombait, lui sont majoritairement hostiles et souhaitent, à 53% selon un sondage Ipsos pour la Tribune du dimanche, qu’il soit renversé. Une crise institutionnelle se profile ? Oui. Et il ne faut pas l’éviter, afin que les principaux responsables en tirent les conséquences politiques qui s’imposent. Explications.
La crise politique et institutionnelle que nous traversons, expliquait ce matin Charles de Courson sur le plateau de LCI, est à l’initiative du président de la République, lequel devrait donc en tirer les conséquences et, selon les propres termes du député de la Marne, « démissionner ». Chacun sait qu’Emmanuel Macron ne s’y résoudra pas ; en tout cas pas tout de suite et pas dans ces circonstances. Occupons-nous donc de « la crise dans la crise » : le cas Barnier.
Michel Barnier est une erreur de casting politique. Et la crise que nous traversons est principalement due au manque d’habileté de celui qui a été présenté aux Français comme ayant été le magistral « négociateur du Brexit ». Grave erreur ! La raison ?
La négociation du Brexit a été un ratage monumental, et pas seulement du point de vue britannique ; du point de vue européen également.
Barnier a opposé hier aux Anglais la même rigidité idéologique qu’il oppose aujourd’hui à tous ceux qui émettent des critiques sur sa méthode, ses arbitrages, son budget. Il se fixe, pour mettre en place ce budget, des objectifs qui ne sont ni ceux de la France – partis politiques d’opposition et de coalition compris – ni ceux de l’Europe, ni ceux des marchés financiers. Face à un pays dont la dette colossale le positionne au bord de la banqueroute, comment a-t-il pu imaginer que la constitution d’un budget était une affaire d’Etat, surtout pour un gouvernement sans majorité à l’Assemblée ? Il fallait la jouer à minima, sur du velours, s’intéresser davantage aux susceptibilités politiques, françaises et européennes, plutôt qu’aux comptes publics qui de toute façon ne bénéficieront pas davantage de son budget que de tout autre tant le mal français est profond et massif. Il fallait faire preuve d’intelligence politique, ce dont Michel Barnier a été incapable tant son degré d’idéologie libérale est sclérosant. Il est un pur produit de la technocratie sociale-libérale européiste et mondialiste, ce qui explique aisément les points de rupture successifs lors des négociations du Brexit – un concept dont il est tout à fait incapable d’accepter, et même de comprendre, la logique. Les mêmes points de rupture idéologico-politiques demeurent aujourd’hui face à un parti politique tel que le RN ; sauf que Barnier n’a plus la main. Exit donc.
La question qui se pose à Emmanuel Macron est simple : Qui pour lui succéder ? La tentation de nommer un homme de gauche, façon Bernard Cazeneuve, sera forte. Mais, après consultation des chefs de partis, il est très probable qu’une censure quasi immédiate se profile et que le chef de l’État se résigne, ne souhaitant pas ajouter de la confusion à la confusion. Le NFP s’est en effet transformé en machine à censurer n’importe qui, y compris ceux qui pourraient permettre à cette gauche radicale d’apparaître constructive en soutenant à minima un Premier Ministre issu de sa zone d’influence idéologique, si ce n’est de son camp. L’option Lucie Castets, ou tout lapin tiré du même chapeau, étant impensable pour le centre et la droite, nommer un Premier Ministre de gauche, radicale ou libérale, est une gageure.
Conséquence ? À moins d’assumer politiquement le chaos, ou de relancer l’éternelle rengaine d’un gouvernement technique – dont il faudrait prendre le temps de démontrer que cette idée est absurde tant rien n’est « technique » dans la crise politique que nous traversons –,
Emmanuel Macron est donc prisonnier du RN.
Le jeu d’aimantation partisane consiste à placer les jetons de manière à créer un équilibre – provisoire mais le plus pérenne possible. Pour ce faire, il faut que la censure gauchiste reste lettre morte. La réponse, l’unique, est droitière en raison de la configuration des rapports de force parlementaires. Et elle réside dans un responsable politique qui a déjà été intégré dans le gouvernement Barnier, c’est-à-dire plus ou moins validé par le bloc centriste – malgré un ancrage conservateur qui fait grincer des dents à gauche : Bruno Retailleau.
Un Retailleau tapant fort sur la question sécuritaire et migratoire – dont les sondages montrent qu’elle emporte désormais l’assentiment d’une partie conséquente de l’opinion de gauche – et capable de naviguer en habile tacticien sur les canaux économiques et sociaux – canaux dont on sait qu’ils rapprochent parfois les sensibilités RN et NFP, comme en matière d’abrogation de la réforme des retraites – pourrait constituer une martingale gagnante à moyen terme. D’autant plus quand on sait son influence au sein du groupe le plus important du Sénat. Unique inconvénient : Emmanuel Macron verrait se réduire un peu plus sa sphère d’influence, et serait accusé de préparer le terrain à « l’extrême droite » pour 2027. Y consentira-t-il ?
Frédéric Saint Clair
Politiste, auteur de L’extrême droite expliquée à Marie-Chantal (Editions de la Nouvelle Librairie)
Source : Antonin Albert