Il y a des conflits et des guerres qui sont à la fois dramatiques et médiatiques parce qu’ils mettent en cause la géostratégie mondiale, les intérêts des grandes puissances.
Il existe d’autres conflits qui sont non moins dramatiques, mais qui ne monopolisent pas autant l’attention des opinions publiques et des grandes puissances. Ils présentent, hélas, le double inconvénient d’être à la fois très lointains et presque sans influence sur les équilibres géopolitiques. Il s’agit de territoires entièrement sous la coupe d’un Etat ou d’un pouvoir autoritaire et violent, qui peut se permettre de commettre des actes criminels dans une quasi-indifférence générale. La particularité de ces conflits est d’être majoritairement de nature ethnique partout dans le monde. Celles qui souffrent le plus sont des communautés minoritaires qui subissent des persécutions et ne reçoivent aucune protection ni en droit, ni en fait de la part de leurs autorités nationales.
La situation toujours dramatique des Rohingyas au Bangladesh
Il se n’agit pas de citer tous les affrontements qui existent ce qui nécessiterait un ouvrage entier (le sort génocidaire réservé au Rohingyas a été abordé dans mon livre « vers une nouvelle gouvernance mondiale » paru en 2018 chez Studyrama). Sur ce sujet dramatique, cinq ans après la publication de mon livre, la situation de cette communauté composée majoritairement de musulmans, n’a pas changé.
Elle forme, avec un million de réfugiés, le plus grand camp de réfugiés au monde au Bangladesh dans des conditions très précaires, laquelle aspire à rentrer en Birmanie d’où la junte militaire l’avait fait partir en 2017.
Mais les conditions aujourd’hui ne sont manifestement pas remplies si l’on en croit les propos du rapporteur spécial de l’ONU Tom Andrews, affirmant au mois de juin 2023, que « Les conditions au Myanmar sont loin d’être propices à un retour sûr, digne, durable et volontaire des réfugiés rohingyas ».
Il convient toutefois de citer les conflits les plus emblématiques, à commencer par la guerre au Tigré qui dure depuis des décennies en Ethiopie, largement dominée la communauté Oromo.
La guerre du Tigré en Ethiopie
La minorité tigréenne qui ne représente qu’environ 6% de la population éthiopienne, a commencé à subir des persécutions importantes après la nomination d’Abiye Ahmed en qualité de premier ministre en 2018.
La minorité tigréenne a eu la sensation d’être non seulement écartée de la vie du pays, notamment dans la fonction publique, mais d’avoir été l’objet de persécutions.
Un climat de méfiance s’est installé entre le pouvoir central et le Front de libération du peuple tigré (FLPT) qui a dégénéré en affrontements après que le mouvement a organisé des élections dans ce territoire. Cet affrontement a conduit à une guerre qui dure depuis plusieurs années et a des conséquences humanitaires considérables. De nombreuses exactions ont conduit à des milliers de morts, malheureusement dans un contexte de grande indifférence.
La volonté des Etats et de la communauté internationale de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures éthiopiennes, a pu expliquer cette impunité. Ce n’est qu’au mois de novembre 2022 qu’un accord de cessez-le-feu a été signé en Afrique du Sud suivi d’un traité de paix le 12 décembre.
Dans ce conflit, l’ONU est restée impuissante et ce n’est que grâce à l’action d’autres pays africains que cet accord a pu être signé.
L’ONG Amnesty International a même employé le terme de « nettoyage ethnique » dans cette région. La paix reste aujourd’hui fragile avec une situation où plus de vingt millions de personnes sont en situation de grande détresse. En outre, le Tigré ne dispose d’aucune ressource naturelle exploitée à ce jour et ne représente guère d’intérêt pour les grandes puissances.
La situation des communautés et des régions est souvent instable partout dans le pays comme le montre la déclaration d’urgence décrétée par le gouvernement d’Addis-Abeba en Amhara le 4 août 2023, alors que les combattants de cette région avaient été les alliés des forces éthiopiennes pendant le conflit au Tigré.
Turquie : la répression implacable des Kurdes
Les kurdes sont eux aussi victimes d’une politique de discrimination depuis très longtemps. La difficulté est que s’il existe une culture kurde, une « kurdicité » très forte, celle-ci ne s’incarne pas dans un Etat, d’où la fragilité de cette communauté. Les membres de la communauté kurde sont essentiellement de confession musulmane sunnite. Ils seraient environ 60 millions aujourd’hui, mais répartis sur plusieurs pays dont la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie.
Sa particularité tient au fait qu’elle vit dans des régions stratégiques sur le plan géopolitique, enjeux des grandes puissances régionales où les grandes puissances mondiales que sont les Etats-Unis, la Russie et la Chine se livrent à une concurrence sans limite, y compris sur le plan militaire.
Si les kurdes disposent d’une région reconnue en Irak (le Kurdistan irakien, Kurdistan signifiant pays des kurdes), mentionnée dans la constitution irakienne de 2005 et bien que la situation ne soit pas toujours la plus favorable pour eux, tel n’est pas le cas en Turquie où le président Recep Tayyip Erdoğan, leur voue une haine sans limite. Le président turc a été réélu dans les conditions que l’on sait dans un pays où la presse libre n’existe plus, où les fonctionnaires et les magistrats hostiles au régime sont purement et simplement limogés quand ils ne sont pas enfermés dans les prisons, ce qui est le cas aussi des députés d’origine kurde qui siégeaient dans l’ancienne grande Assemblée nationale turque. Là aussi, le pouvoir turc se livre à une véritable persécution de cette communauté.
Dans sa volonté de ressusciter une sorte d’empire ottoman musulman néo-conservateur, son premier objectif est de nier toute forme de culture kurde en éradiquant les traces de ce peuple. La persécution du peuple kurde n’est pas nouvelle ; elle est même séculaire. Rappelons l’action de Danièle Mitterrand qui, à la tête de la Fondation France Libertés, avait fait de la défense du peuple kurde l’une de ses actions majeures. D’ailleurs, à sa mort en 2018, le Kurdistan irakien avait décrété un deuil national et les drapeaux avaient été mis en berne.
Recep Tayyip Erdoğan a toujours fait, à dessein, la confusion entre le PKK le parti des travailleurs du Kurdistan classé organisation terroriste par une majorité de la communauté internationale (bien que la question soit aujourd’hui portée devant la cour de justice de l’Union européenne) et le parti politique qui représente les kurdes, le HDP ou le parti démocratique des peuples. Dans cette région située dans le sud-est de la Turquie, le HDP a obtenu des résultats électoraux importants, élisant des maires et des députés. La plupart des maires élus ont été destitués et beaucoup de députés du HDP ont été purement et simplement arrêtés, autorisant, là aussi, à parler de « nettoyage ethnique ».
Dans sa volonté d’élargir toujours plus son pouvoir et dans sa haine des kurdes, le président est allé jusqu’à traverser la frontière avec la Syrie pour combattre les combattants kurdes du mouvement YPG, soit les Unités de protection du peuple, branche armée du parti de l’Union démocratique en Syrie, qui s’étaient engagés aux côtés des soldats américains pour lutter contre Daech.
En Turquie, ces organisations sont classées comme terroristes, ce qui conduit Recep Tayyip Erdoğan à vouloir annexer une zone tampon située entre la Turquie et la Syrie pour éliminer les kurdes qui y vivent. Il en a été, pour le moment, dissuadé par les américains, mais aussi en raison de l’avertissement de Moscou allié de la Syrie dans la région, ce qui pourrait en effet conduire à un embrasement de cette partie du Moyen-Orient.
Lors des dernières élections législatives qui ont eu lieu en même temps que les élections présidentielles au mois de mai 2023, le HDP n’a pas eu le droit de se présenter. Au lieu de cela, une coalition dirigée par Kemal Kılıçdaroğlu appartenant lui-même à la minorité alévie, a mené le combat pour l’opposition. Bien qu’ayant mis en ballotage le président turc, ce dernier l’a, au final, emporté.
Les boucs émissaires des difficultés en Turquie sont ainsi tout désignés : les kurdes auquel est venu des rajouter la communauté LGBTQ+ et le président réélu a appelé à les combattre.
La persécution des kurdes à laquelle se livre Erdoğan depuis qu’il est au pouvoir a laissé de marbre la communauté internationale et tout particulièrement l’Europe. Les raisons en sont à la fois simples et cyniques.
La Turquie est un pays d’une importance géostratégique majeure, grande pourvoyeuse de richesses, partenaire commercial très important de l’Union européenne et, surtout, membre de l’OTAN.
Son rôle central fait qu’aujourd’hui, le président turc est intouchable et il a ainsi obtenu carte blanche pour continuer sa politique de persécution des kurdes. Enfin, il dispose de l’arme migratoire, prêt à renvoyer des millions de migrants en Europe, ce qu’il n’a pas fait jusqu’à présent suite aux accords qu’il avait alors négociés avec la chancelière allemande Angela Merkel en 2016. Mais la menace est toujours présente.
L’Europe n’est heureusement, pas complètement indifférente au sort de minorités dans la région. S’agissant de la communauté des Yézidis en Irak, l’Union européenne a, le 3 août 2023, salué la détermination du gouvernement iraquien à protéger et améliorer la situation des personnes appartenant à des minorités vulnérables dans ce pays, dont la communauté Yézidie dont une partie vit dans le Kurdistan irakien et parle le kurde kurmanji.
Le cas désespéré des Ouïghours
Est-il besoin d’insister sur le sort réservé par Xi Jin Ping aux Ouighours à majorité musulmane sunnite, qui vivent dans la région du Xinjiang ? Cette communauté, et cela est prouvé, est également persécutée. Beaucoup d’ONG emploient l’expression de génocide en tout cas de « génocide culturel ».
Le pouvoir de Pékin est décidé à étouffer toute expression singulière de cette communauté, les Ouïghours sont internés dans les camps voire stérilisés, leurs lieux de culte détruits, ainsi que leurs cimetières.
En 2020, selon des estimations d’ONG, entre deux et trois millions de Ouïghours seraient détenus dans des camps. Des trafics d’organes seraient organisés et le travail des enfants est régulièrement dénoncé.
La disparition progressive de cette communauté est ainsi programmée. Ce drame se produit aussi dans la plus grande impuissance voire dans l’indifférence mondiale.
Dans un contexte marqué hélas par la quasi-disparition d’une politique des droits de l’Homme, malgré les faibles dénégations de l’Occident, la question des Ouïghours intéresse peu sur le plan diplomatique.
Lorsque les dirigeants du monde entier se rendent à Pékin, la question principale est le commerce. On a ainsi vu le chancelier allemand Olaf Scholz être reçu dans la capitale chinoise en sa qualité de président du G7 au mois de novembre 2022 pour y défendre les exportations allemandes. Le chef de l’Etat français a également fait le voyage à Pékin accompagné également d’une forte délégation de responsables d’affaires. Au mois de juillet 2023, la Secrétaire aux finances américaine, Janet Yellen, arrivait aussi en Chine avec comme thématique le développement des relations commerciales, le climat, la nécessité d’apaiser les tensions entre la Chine et les Etats-Unis sur la question de Taïwan par un dialogue approfondi.
A chaque fois, sur la question qui concerne les Ouïghours, la réponse est la même « cette question a été évoquée », sans aucune mention dans les communiqués officiels.
On sait très bien que la dictature chinoise n’a que faire des condamnations morales de l’Occident laquelle est parfaitement consciente que la dépendance économique de l’Occident, notamment de l’Europe vis-à-vis de la Chine, est telle que cela interdit toute critique autre que formelle et d’une grande discrétion. La persécution des Ouïghours a donc encore des beaux jours devant elle et cette ethnie a de forte chance de s’éteindre dans la plus grande indifférence.
Les hindous et bouddhistes au Bangladesh
D’autres ethnies sont également persécutées sans que la communauté internationale ne s’en émeuve parce que, au final, l’intérêt stratégique des pays concernés est négligeable. Ainsi en va-t-il des hindous au Bangladesh qui ne représentent qu’environ 9 % de la population bangladaise sur plus de 165 millions d’habitants. Cette haine d’une minorité ethnique hindoue mais aussi bouddhiste et chrétienne, tend à s’élargir aux autres pays situés à proximité comme en Inde et au Pakistan. Mais ce qui concerne ces pays laissent l’Europe et les Etats-Unis de marbre. Il convient de noter toutefois que les demandes d’asile des ressortissants bangladais pour des motifs ethniques et religieux sont nombreuses car, à travers de multiples contentieux a priori purement fonciers, ce sont en réalité les minorités hindoues et bouddhistes qui sont systématiquement visées par les musulmans.
Les crimes contre la communauté Hazara en Afghanistan
En Afghanistan, pays avec qui les relations sont pour ainsi dire interrompues depuis l’accession au pouvoir des talibans en août 2021, une communauté est particulièrement visée : les Hazaras qui représentent environ 30 % de la population, environ un tiers des habitants de Kaboul, majoritairement chiite avec une minorité sunnite. Ils vivent essentiellement dans le centre du pays, mais aussi dans les hautes vallées.
Traditionnellement victimes de discriminations et de persécutions, ils sont de nouveau et depuis le départ des américains, victimes d’actes terroristes de la part de groupes armés talibans et proches de Daech.
Au mois de mai 2020, une maternité située dans le quartier de Dacht-Barchi à Kaboul, composé majoritairement de Hazaras, a été attaquée faisant 24 morts dont des enfants. Aujourd’hui et dans l’indifférence, les assassinats se multiplient contre la communauté hazara qui fuit massivement vers le Pakistan qui tente d’endiguer le flot et, bien évidemment, dans une totale impuissance de la communauté internationale.
Les coptes d’Egypte et les minorités du Sahel
Pour terminer, comment ne pas évoquer la communauté copte en Egypte, majoritairement membre de l’église copte orthodoxe. Ils sont environ 7,5 millions, soit 10 % de la population égyptienne représentant la plus importante minorité chrétienne dans le Proche-Orient arabe.
Passant souvent par les monastères d’Alexandrie pour fuir les persécutions et rejoindre l’Europe, les coptes, enfants, femmes et hommes, sont persécutés dans leur vie quotidienne par les musulmans qui les accusent de proférer des insultes et autres blasphèmes vis-à-vis de l’islam, des accusations évidemment infondées et fallacieuses.
Les chrétiens d’orient sont ainsi chassés sans aucun moyen de protection dans un pays qui disposent de richesses considérables et constituent un point de passage stratégique entre l’Afrique et le Moyen-Orient.
En Afrique, il existe des milliers d’ethnies différentes et les affrontements violents interviennent aussi souvent entre elles. On peut citer par exemple la communauté la minorité ethnique « bassari » en Guinée qui doit trouver ces moyens de subsister et lutter contre les discriminations mais aussi au Mali, au Niger et, de façon plus générale, dans le Sahel. Dans cette région, les minorités ethniques malmenées par les pouvoirs en place largement corrompus, n’ont pas été suffisamment protégées notamment contre la pauvreté, ce qui explique sans doute en partie les déboires de la France dans cette partie de l’Afrique avec des conséquences que ne manquent pas d’exploiter aujourd’hui la Russie et la milice Wagner comme on vient de le constater une fois de plus avec les évènements au Niger, ainsi que la Chine de plus en plus présente dans la région.
On le voit, les minorités ethniques ne disposent d’autres moyens de survie que de fuir ou organiser leur propre lutte politique en sollicitant l’asile et en structurant une opposition dans les pays où ils sont accueillis.
L’abandon dans lequel sont laissées ces communautés n’est pas digne de nos démocraties et de valeurs qu’elles défendent.
Patrick Martin-Genier