Depuis le 13 octobre, le Chili connaît une crise sociale sans précédent. Cette situation compliquée a poussé le gouvernement de Sebastian Pinera à annuler la COP25 et le sommet de l’APEC. Pour mieux comprendre la situation, la Revue Politique et Parlementaire est partie à la rencontre de Mario Desbordes, président du parti Renovación Nacional. Entretien.
RPP – Quel regard portez-vous sur les manifestations qui se déroulent lors de cette fin d’année 2019 ?
Mario Desbordes – Pour comprendre la crise sociale et la crise politique au Chili, je la diviserai en deux parties. D’un côté, il y a eu une grande manifestation pacifique avec des centaines de milliers de personnes qui cherchent à faire valoir leurs revendications. Durant les premiers jours, environ deux millions de personnes étaient dans les rues, soit 15 % de la population. De l’autre côté, il y a eu de la violence à certains endroits. On observe une violence supérieure à ce qui se passe en France avec les « gilets jaunes », en Catalogne avec les indépendantistes, en Équateur ou encore à Hong Kong. Le jour le plus compliqué fut le 18 octobre où une grande partie du réseau du métro a été détruite. Plusieurs magasins et supermarchés ont été incendiés ou pillés. Cependant, on remarque que les manifestations sont globalement pacifiques bien que certains groupes profitent de l’occasion pour dégrader les bâtiments publics. Il faut écouter ce qui se passe dans les différentes manifestations. Personnellement, mon fils était présent à la marche du 18 octobre. Donc, je comprends les revendications qui émanent du peuple et elles sont légitimes. Les mesures n’ont pas toujours été prises au bon moment.
RPP – Depuis le début de cette crise sociale au Chili, 23 personnes ont été tuées en marge des manifestations. L’économie a été durement atteinte, avec une chute de l’activité de 3,4 % en octobre sur un an, selon le gouvernement. Un plan économique a récemment été annoncé. Pensez-vous que cela va calmer la situation ?
Mario Desbordes – La majorité des décès ayant eu lieu durant les manifestions sont à mettre en lien avec les incendies et les pillages. Pour le reste, environ sept décès, des investigations sont en cours pour savoir si il y a un abus du côté de l’Etat. Renovación Nacional, le plus grand parti du Chili, travaille sur quatre grands chantiers pour aider le gouvernement à trouver une sortie de crise. Le premier concerne la reforme sociale qui doit se confronter à la réforme des retraites. Nous voulons avancer sur un système mixte avec une solidarité intergénérationnelle. Ensuite, nous devons nous occuper de la réforme du système de santé. Nous avons un fonctionnement très segmenté : 30 % privé et 70 % public. Il faut également travailler avec les industries pharmaceutiques pour baisser le prix des médicaments. Nous sommes l’un des pays d’Amérique latine où les médicaments coûtent les plus chers. Enfin, nous devons réduire les abus. Au Chili, il y a un sentiment d’abus tant dans le secteur public que dans le secteur privé. En parallèle de toutes ces réformes, nous devons moderniser la police et donner plus de ressources aux procureurs pour condamner les délits. Pour finir, le dernier grand chantier qui nous attend, c’est de consolider une stabilité constitutionnelle pour arriver à un changement de Constitution l’année prochaine. La Constitution chilienne est bonne, selon moi, mais elle ne reflète pas ou n’identifie pas la majorité des Chiliens.
RPP – En avril 2020, le gouvernement organise un référendum pour un changement de Constitution. Pensez-vous que c’est une bonne solution ?
Mario Desbordes – Nous (Renovación Nacional) avons aidé à la création du mécanisme pour une nouvelle Constitution. Nous voulons une démocratie représentative avec une convention ou une assemblée constituante. Nous avons de bonnes relations avec les partis d’opposition. Si le oui l’emporte, une nouvelle Constitution sera écrite. C’est un processus que les Français ont vécu avec la IVe et la Ve République. Nous espérons qu’il y aura une grande participation à ce référendum. La démocratie participative c’est également les cabildos (réunion entre les habitants pour évoquer les améliorations possibles et les problèmes rencontrés) organisés dans les quartiers de manière autonome ou non. Si le non l’emporte, il n’y aura pas de nouvelle Constitution mais des réformes. Pour ma part, je crois que le oui va l’emporter. Le Chili a besoin d’un changement.
RPP – En 2019, le Chili a connu une crise sociale et politique sans précédent. Quels changements pour 2020 ?
Mario Desbordes – Il faut aborder la crise avec une approche positive. C’est à dire, transformer la crise en une opportunité pour le pays. Je suis issu de la classe moyenne et j’ai étudié dans une école publique pauvre. Mon fils manifeste car mon père a une faible retraite. J’ai la conviction que cette crise est une opportunité pour le Chili. Si on écoute les demandes légitimes de la société civile, on peut avancer. Nous avons fait des progrès, dans les années 90 il y avait 40 % de personnes en dessous du seuil de pauvreté, aujourd’hui nous sommes à moins de 10 %. Le problème, c’est que les aides ne profitent pas à toutes les personnes. En 1910, le Chili a connu une crise due à la population des campagnes venue s’installer dans les villes. Cette crise, c’est la crise du bicentenaire. C’est une remise en question de notre société.
Propos recueillis par Guillaume Asskari
Journaliste, producteur
Chroniqueur Amériques Latines