Au lendemain des annonces d’Edouard Philippe, les députés Les Républicains ont présenté un livret qui recense toutes leurs propositions pour réformer le système de retraite. Réaction de Frédéric Saint Clair, analyste politique.
« LR passe à l’offensive ». « Les Républicains dévoilent un contre-projet ». « Les Républicains revendiquent « l’audace réformatrice ». » Autant de titres qui traversent toute la presse, et qui soulignent la détermination des Républicains de ne pas laisser l’exécutif naviguer seul face aux syndicats en matière de réforme des retraites. Un livret d’une vingtaine de pages a ainsi été présenté jeudi 12 décembre par les députés LR ; il devrait servir, selon France info, « de « brouillon » à un programme plus complet sur les retraites que Les Républicains dévoileront en janvier, quand le projet du gouvernement sera présenté en Conseil des ministres. » Au-delà de l’aspect pratique des propositions présentées, quel est l’objectif poursuivi ?
Un objectif politique. Indéniablement.
Un cheval de Troie, voire de Troyes, qui consiste à infiltrer la forteresse macronienne pour en prendre le contrôle, d’ici deux ans.
Une stratégie radicalement différente de celle, beaucoup plus frontale et droitière qu’avait développée Laurent Wauquiez. L’élection de Christian Jacob à la tête de LR a marqué, de façon incontestable, la fin de l’époque précédente. L’option conservatrice n’existe plus. La droite forte non plus. L’éviction du jeune militant médiatique Erik Tegnér, qui peut paraître anecdotique à certains, est en réalité un symbole extrêmement révélateur du recentrage politique de LR. L’objectif affiché demeure cependant identique : prendre le pouvoir et gouverner. Christian Jacob le réaffirmait tout à fait clairement il y a quelques jours dans une interview au Parisien : « Notre ADN est d’être un parti de gouvernement. […] Ma mission est de remettre le parti sur les rails pour qu’il soit en situation d’incarner l’alternance. »
Sur quoi repose cette nouvelle mécanique ? Pour comprendre, il faut identifier le mode de construction des deux mouvements qui se disputent l’électorat de centre-droit : LR et LREM. Brièvement : LR est l’héritier d’un projet d’union des droites : UDF + RPR = UMP. La stratégie qui a permis à Emmanuel Macron de transformer son mouvement (En Marche) en un parti de gouvernement (LREM) a consisté à fracturer cette union, et à récupérer les cadres et les électeurs dont la sensibilité était la plus proche de l’UDF, c’est-à-dire les libéraux et les centristes. Sont restés chez LR ceux dont la sensibilité était davantage tournée vers le RPR de jadis, avec l’inconvénient de voir le socle électoral de LR se réduire comme peau de chagrin au profit du Rassemblement national de Marine Le Pen.
Face à ce constat, deux options. La première, celle de Laurent Wauquiez, a consisté à réactiver le discours du RPR des années 90 en le teintant du conservatisme sociétal dont François Fillon avait fait sa « valeur ajoutée » durant les primaires de la droite, dans le but de récupérer l’électorat enfui au RN. Le score obtenu aux élections européennes, 8,5 %, a sonné le glas de cette stratégie. S’ouvre alors un espace propice à une autre approche : Si l’électorat de la droite dure n’est pas récupérable, alors l’unique solution pour reprendre le pouvoir consiste à fracturer l’autre grand bloc politique : LREM, pour reprendre à un Emmanuel Macron en perte de vitesse les soutiens (voire les cadres) qu’il avait précédemment subtilisés à LR.
A ce titre, la charge que constitue le livret sur les retraites trace peut-être mieux que toute autre thématique – immigration, lutte contre l’islamisme, pouvoir d’achat, éducation ou encore ruralité et agriculture – les contours de la nouvelle ligne politique. Retraite minimum à taux plein de 1 000 € ? Oui pour LREM comme pour LR. Indexation des retraites sur l’inflation ? Oui pour LREM comme pour LR, ces derniers rappelant néanmoins que la désindexation avait été le fait d’Emmanuel Macron. Age pivot à 64 ans, dit Macron ? Non, âge de départ progressivement amené à 65 ans, rétorquent LR. Créer un régime universel, dit Macron ? Non, mettre fin aux régimes spéciaux pour raisons d’équité, et préserver les caisses autonomes, affirment LR. Les contre-mesures s’enchaînent ainsi, à distance raisonnable de ce projet présidentiel critiqué de toutes parts, y compris par les économistes qui l’ont inspiré, Antoine Bozio en tête. Et LR de marteler cet argument visant à renvoyer LREM du côté gauche de l’échiquier : la hausse des dépenses publiques, et la hausse des prélèvements obligatoires, sont omniprésentes au sein de la politique d’Emmanuel Macron, digne héritier de François Hollande.
La tactique ? La similarité. Laurent Wauquiez avait choisi l’opposition de phase : se distinguer à tout prix d’Emmanuel Macron, et aller chasser sur les terres du RN.
Christian Jacob a opté pour le décalage de phase : empiéter sur le territoire conquis par LREM et aller chasser sur les terres centristes et libérales de manière à convaincre les Français encore favorables au président de la République qu’ils ont été trompés.
Leur dire : Emmanuel Macron n’est pas ce qu’il prétend être ; vous êtes victimes d’une illusion d’optique. L’écart entre un vrai programme de droite et le programme présidentiel peut paraître mince parfois, mais il existe, et il est déterminant, car c’est cet écart qui détermine la différence entre une bonne et une mauvaise politique. En un mot : faire du simili-Macron, du Macron sans Macron. Social-libéral ? Non, Gaulliste-social ! Non plus la République en Marche, mais Les Républicains en Marche. Vous aimez Macron, disent-il à leurs anciens électeurs ? Nous allons conserver ce qui vous fait rêver chez lui, et vous offrir en plus tout ce qu’il n’est pas en mesure de produire : de la clarté politique, un discours de vérité et de responsabilité, ainsi qu’une politique efficace et juste. Et nous avons même en réserve un candidat au moins aussi séduisant : quinquagénaire, ancien ministre, plus jeune député de France en son temps, beau gosse, marié à une actrice française très appréciée du grand public, formant un couple à la fois sexy et réservé. Bref, une formule de remplacement « clef en main » promise par la nouvelle direction de LR extrêmement attrayante.
Une seule question demeure sans réponse : En faisant du Macron bis, en séduisant l’électorat centriste et libéral, en cherchant les moyens les plus efficaces d’incarner l’alternance, ne passe-t-on pas à côté des nouveaux défis qui traversent les sociétés occidentales, et que de telles politiques publiques ne permettront pas de résoudre ? Pour le dire autrement : et si l’électorat de droite parti chez Macron n’était détenteur d’aucune vérité politique ?
Frédéric Saint Clair
Analyste politique