Le contrôle de la police se présente comme l’un des éléments essentiels de la question policière. En effet, la force de la police s’est développée considérablement ces dernières années, rendant les « dérapages » (on disait « brutalités » ou « bavures » autrefois), réellement plus fréquents, mais aussi, soyons honnêtes, plus visibles avec le développement des réseaux sociaux et d’un filmage quasi-systématique (grâce aux smartphones individuels et aux nombreuses caméras de surveillance dans les espaces publics notamment).
Ces « dérapages » sont la conséquence, d’une part d’une augmentation des armements dangereux mis à disposition des policiers (comme les LBD ou les grenades lacrymogènes) et d’autre part d’un élargissement des tâches et des pouvoirs des membres des forces de l’ordre (notamment par l’extension de l’usage de la légitime défense depuis la loi Cazeneuve de 2017), enfin d’une formation, surtout initiale, insuffisante et d’un recrutement moins exigeant en termes de niveau (avec moins de 10 sur 20 un candidat peut devenir policier aujourd’hui).
Le contrôle de la police devient donc une nécessité pour la protection des citoyens d’autant que – redisons-le – les violences policières ne sont plus à démontrer : l’actualité nous en fournit des exemples à peu près tous les jours. Ces violences sont d’ailleurs régulièrement dénoncées par les organismes internationaux (comme l’ONU dernièrement) ou Amnesty international. En somme, s’appuyant peut-être sur le principe que l’État (et donc la police) dispose de ce que Max Weber appelait « le monopole de la violence légitime », la police française est passée maître dans l’art des « dérapages ».
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Avançons.
La police contrôle (les citoyens) mais elle n’aime pas être contrôlée. – et encore moins sanctionnée [par tradition, les corps de police sont des organisations très fermées, axées sur elles-mêmes, donc hypersensibles à toute critique extérieure].
Il faut préciser que la police ne se vit pas comme un service mais comme un pouvoir – de surcroît pas « ordinaire » puisque dotée, répétons-le, de la fameuse « violence légitime », assimilée probablement, dans l’esprit des policiers, au droit d’exercer la violence, autrement dit à commettre des violences « excusables ». Le directeur général de la police nationale ne déclare-t-il pas que les policiers – surtout quand ils sont soumis à de fortes pressions – peuvent (ont le droit ?) faire des « fautes » – ou, je cite encore – des « erreurs d’appréciation » dans l’exercice de leurs missions. A suivre ce raisonnement, la dureté du métier justifierait une sorte d’« excuse de brutalité ».
Non évidemment. Comme vient de le rappeler le président de la République (assez timidement, il est vrai), les policiers ne sont pas au-dessus des lois, même s’il y a de la part de leurs syndicats une volonté d’obtenir un « statut spécial » pour les membres des forces de l’autre. Mais, en réalité, les policiers sont à la fois des policiers comme les autres et différents des autres : le pouvoir dont ils disposent leur impose en effet un devoir supplémentaire, celui d’exemplarité.
Mais revenons au contrôle.
Comme toute institution étatique, la police est soumise à un contrôle, et même à plusieurs. Il y a d’abord le contrôle hiérarchique, sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, un contrôle renforcé par les règles disciplinaires prévues dans le droit commun de la fonction publique.
Ensuite il y a un contrôle judiciaire : ainsi, comme tout citoyen, un policier peut-il faire l’objet de poursuites pénales.
A tous ces contrôles, s’ajoute le contrôle spécifique de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale). Jusqu’à ces dernières années, les enquêtes de cet organisme – interne à la police -, suivies quelquefois d’enquêtes judiciaires, ne menaient pas à grand-chose de probant, les peines prononcées contre les policiers incriminés étant généralement tardives et légères [ce qui traduisait clairement l’absence de volonté conjointe de l’IGPN et de la Justice de sanctionner fermement les manquements des agents, à la fois à la loi pénale et à leur mission de protection des citoyens. Tout se passait donc un peu comme si la police avait le droit de commettre des brutalités – principalement contre des jeunes issus de l’immigration maghrébine ou subsaharienne, voire antillaise].
Le récent placement en détention provisoire du meurtrier présumé du jeune Nahel à Nanterre, en juin dernier, puis celui du « policier-tabasseur » d’Helin à Marseille, marque peut-être un tournant dans l’attitude judiciaire à l’égard de la police.
Le temps de la fermeté, ou plus exactement de l’application de la loi, va-t-il remplacer enfin le temps de la complaisance ou de la complicité ? Les juges vont-ils se sentir moins tenus de protéger les policiers pour ne pas perdre leur soutien et leur confiance ? Allons-nous sortir d’un temps où, souvent sous la pression des policiers et de leurs syndicats -qui mettaient en avant les difficultés d’exercice des missions policières, les magistrats prononçaient comme une absolution à l’encontre de ces fonctionnaires ?
Aujourd’hui, malgré ces mêmes pressions policières, malgré ce même argument avancé de difficulté du métier, la Justice semble clairement déterminée à faire valoir son indépendance, et à poursuivre tous les contrevenants à la loi, fussent-ils policiers.
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Une réforme en profondeur de la police s’impose désormais afin qu’elle redevienne un vrai service public (aux citoyens) et ne soit plus (seulement ?) le « bras armé » de l’Etat et une force répressive.
Cela suppose d’abord une refonte complète de la formation des policiers, par un relèvement de l’âge au concours (17 ans, c’est trop jeune), par un rallongement de la durée de formation (15 ou 18 mois serait l’idéal), par un enrichissement des contenus enseignés (notamment un meilleur apprentissage de techniques de maîtrise de soi), par l’instauration d’un organisme de contrôle indépendant à la place de l’IGPN.
L’on pourrait imaginer ici une commission multipartite composée de magistrats en exercice (ou pas), de parlementaires, d’avocats, d’anciens policiers, d’experts scientifiques, de représentants des médias et de citoyens tirés au sort.
Le contrôle en effet, un contrôle efficace, objectif s’entend, est plus nécessaire que jamais. Il ne faut plus que la police dispose d’un pouvoir discrétionnaire d’appréciation des situations ; elle doit avoir, en toutes circonstances, des directives claires sans pouvoir agir selon l’humeur de l’instant. Les policiers, ne l’oublions pas, sont des exécutants, pas des décideurs. Si le contrôle est certes souvent ressenti par les policiers comme une contrainte, il est absolument nécessaire – dans l’intérêt même des policiers. D’où l’utilité que tous les agents soient à l’avenir équipés d’une « caméra-piétons », ce qui les obligera d’abord au « bon comportement » en toute circonstance et leur permettra ensuite de faire valoir leurs propres droits au cas de violence subie.
La police, institution sociale de protection de l’ordre public, doit se comporter comme un service public dont le rôle premier est de prévenir les conflits, les désordres et toutes les violences susceptibles de troubler la vie en société. En cas d’échec, elle a pour tâche le rétablissement de l’ordre mais, rappelons-le, dans le strict respect des lois. S’il est normal que la police ait une culture propre, un « esprit de corps », cette culture doit conserver un caractère républicain. Le défi est immense. Représentant l’autorité publique, la police doit redevenir l’agent privilégié des relations sociales, le premier agent de proximité de la population.
Michel Fize
Sociologue
Politologue
Auteur de Colères (Independently published, 2023)