À propos de….
Jean-Pierre Lledo nous livre ici une recension touchante de l’oeuvre de Maia Alonso
« De sable et de vent »
Il y a deux manières de partir.
Je ne parle pas ici de l’ultime, « ce bateau qui dérive et nous isole bien plus que les prisons des vivants ».
Partir volontairement (même si les circonstances nous y poussent). Ou être chassé, évincé, effacé du paysage. Chassée, évincée, effacée du paysage, dans le cas de Maia.
Et dans ce cas, mille manières de réagir. Pleurer, consentir, s’éteindre, se dissoudre, se déguiser, se métamorphoser, changer d’identité… Ou bien crier, hurler, haïr, se venger, tuer… Ou bien encore, résister, comprendre, relativiser, s’affirmer, écrire en sortant de sa petite histoire, au moins durant un temps, pour se tremper dans la grande, l’Histoire. « Car si l’exil ne vous tue pas sur le coup, il vous donne des ailes ».
Sur le bateau de l’arrachement de 1962, Maia, 15 ans, impuissante dans sa rage, jette furieusement dans les vagues le caillou rouge que lui avait offert sept ans plus tôt (juste avant que la guerre d’Algérie n’éclate, ou juste après ?) Rachid, son meilleur ami qui l’appelait Oukhti, ma sœur, en ces confins où le Sahara commence…
Un jour un psychiatre m’expliqua que pour un enfant muré dans le mutisme de l’autisme, se débarrasser d’un objet, est le prélude à la parole. Et ce nouveau livre de Maia, qui résume tous les autres, ne démentira pas le propos. Le deuil fut long, soixante ans, mais finalement, son caillou rouge, elle se l’est réapproprié. Sous la forme d’un grain de sable… Un grain de sable, femelle, pour être précis, témoin oculaire de tous les Temps, et qui, parce que « parcelle de cette terre », ne pourra jamais prendre parti, puisque particulièrement bien placé pour savoir que « toujours l’Histoire est édictée par les vainqueurs alors qu’elle est seulement de vent et de sable ».
Commence alors l’histoire, ou plutôt l’Histoire de cette Numidie, terre ancestrale des Amazigh (appelés plus tard Berbères) : ‘’Moi Ifriqiya, berceau noble de tant de souches différentes, de tant de frères ennemis pourtant tous mes enfants, j’ai été convoitée par toutes les nations conquérantes. Certaines m’ont fertilisée et d’autres dévastée…’’
« Car toujours violée, outragée. Adorée », cette Terre est Femme… Réelles, comme les Reines Didon, Cléopâtre de Séléné, Julia Urania, Drasilla, Cava, Kahena, ou plus proche de nous Isabelle Eberhardt, ou mythologiques comme les Déesses Kaos ou Tanit… Mais gare à leurs séductions, car qui croyait conquérir, sera conquis…. Par l’amour. « Je me suis faite courtisane pour endormir leur vigilance. Je leur ai donné le titre d’amants quand ils n’étaient que violeurs… ». Ancestrale recette !
Gare aussi à l’effet boomerang que l’on peut facilement prédire puisque « l’histoire manque d’imagination… Les envahisseurs d’une époque deviennent par leur descendants les enfants de la terre conquise, et, quand à leur tour ils sont chassés par de nouveaux envahisseurs, ils revivent le drame que leurs ancêtres ont infligé aux précédents enfants delà terre… ».
Et au final, une centaine de pages de flamboyante prose poétique (s’y intercalent de suggestives aquarelles), où alterneraient l’énonciation au scalpel d’un Camus dans Noces à Tipasa, la profération d’un Kateb Yacine dans Nedjma, le prophétisme d’un Millecam dans Et je vis un cheval pâle ou La quête sauvage, tous trois enfants de la même terre que Maia, et la philosophie naïve en apparence d’un Saint Exupéry avec son Petit Prince, frère aussi en Sahara, ici de Grain de Sable, « le seul à avoir le privilège de se balader dans toutes les gammes du Temps… ».
La dernière phrase aurait très bien pu bien être « La seule qui soit victorieuse, c’est moi Ifriqiya l’altière. ». Ou bien encore, qui résume toute la ‘’philosophie’’ de Maia : « La filiation ne vient pas des hommes mais bien de la terre qui voit naitre ».
Sentence à laquelle j’ai aussi longtemps voulu m’accrocher…
Jean-Pierre Lledo