Il existe de « bons » et de « mauvais » « réarmements ». Le mauvais réarmement par excellence, c’est le « réarmement militaire », celui qu’imposa par exemple Hitler à l’Allemagne au début des années 1930 et devait conduire à l’épouvantable conflit mondial que l’on sait. C’est encore « la course aux armements » qui caractérisa toute la Guerre froide opposant l’URSS aux USA. Inquiètes (surtout avec la puissance nucléaire) des conséquences de tels conflits armés, les Etats sous tension organisent souvent des « conférences de désarmement », pour au moins ralentir cette course et procéder à des destructions de stocks d’armes. Il y a donc de « bons désarmements » comme, nous allons le voir, il en existe de mauvais.
Dans sa présentation des vœux pour 2024, le président Macron a évoqué l’urgence d’un « réarmement civique ». L’idée n’est pas neuve. En 2013, sept ans après que François Bayrou utilisait cette expression, j’exhumai le terme de « réarmement moral », forgé, on s’en souvient, par le pasteur américain Frank Buchman dans les années 1920, pour désigner un mouvement international religieux et anticommuniste qui se fixait pour objectif de développer la paix entre les nations ainsi que de recentrer le monde sur les individus et le développement de leurs valeurs fondamentales.
Oui, l’état moral de la France est gravement atteint. Il suffit de regarder autour de soi pour constater l’ampleur des dégâts. Les symptômes de cette démoralisation, Renan les avait clairement définis en 1871 dans son livre La Réforme intellectuelle et morale de la France. Les voici en 2024 aussi « gaillards » qu’il y a un siècle et demi : « présomption, vanité puérile, indiscipline, manque de sérieux, d’application, d’honnêteté, faiblesse de tête, incapacité de tenir à la fois beaucoup d’idées sous le regard, absence d’esprit scientifique, naïve et grossière ignorance. Bref, concluait Renan, « tout a croulé comme une vision d’Apocalypse ».
Le « réarmement moral » (terme que nous avons réutilisé récemment dans notre livre La Crise morale de la France et des Français (Ed. Mimésis, 2017) est probablement un « réarmement » plus ambitieux que le « réarmement civique » prôné par Emmanuel Macron : celui-ci vise avant tout à remettre du civisme dans les relations interindividuelles, à faire reculer les violences qui assombrissent quotidiennement notre vie sociale.
Le « réarmement moral », lui, veut changer le social en profondeur, dans n’oublier aucune institution, aucun secteur (politique, économie, religion…). C’est à un bouleversement complet auquel il aspire.
Le président Macron qui, on le sait, aime le vocabulaire guerrier (n’avait-il pas dit, au moment de la crise du covid, que la France était en guerre ?), devant le bon accueil (politique, médiatique) réservé au « réarmement civique » a cru bon de réutiliser le terme pour parler notamment de « réarmement démographique » ou de « réarmement culturel ». Pourtant, nul n’ignore qu’à trop utiliser un terme on lui fait perdre son crédit et son efficience. Ainsi en est-il par exemple du mot « résilience » qui, désormais « mis à toutes les sauces », ne veut plus rien dire de clair, n’est plus qu’un « tic de langage ».
Il faut donc user du mot « réarmement » à bon escient. Evoquer la nécessité d’un « réarmement démographique », après avoir fait le constat d’une baisse historique (depuis 1946) du taux de natalité, n’est pas sans nous rappeler les politiques natalistes forcées/ou valorisées par certains gouvernements comme celui de Vichy durant l’Occupation. Comme l’ont rappelé plusieurs féministes ces derniers jours, les femmes ne sont pas des « ventres » : elles disposent librement de leur corps. Qu’un État mette en place des politiques familiales incitatives permettant à des femmes – qui le désirent naturellement – de procréer, n’a en revanche rien de scandaleux.
Enfin, s’agissant de la culture, il n’est nul besoin de parler de « réarmement » pour signifier (à Mme Dati en l’occurrence) la nécessité, d’une part de faire accéder le plus grand nombre des Français aux œuvres d’art, et d’autre part de faire évoluer le regard que l’on peut avoir sur ce que l’on nomme « culture », laquelle ne saurait plus se résumer à une collection d’objets de musées ou de pièces de théâtres ou de concerts enfermés dans des espaces spécifiques. La culture doit irriguer le quotidien en l’embellissant. La société doit, en ce sens, retrouver le goût du beau, et cela à chaque coin de rue (le graphisme a participé de cette juste emprise culturelle sur la ville).
Pour revenir au « réarmement » civique ou moral, qui est, de notre point de vue, un « bon » réarmement, donc une bonne idée, il faut l’acter comme une « ardente » nécessité. Le « désarmement civique » n’est jamais une bonne chose pour une société – qui ne peut vivre sans sociabilité ni convivialité. La « régénération » dont a parlé aussi le président de la République (malgré, pour ce mot, son relent IIIème République conservatrice, cher à Ernest Renan) est un « bon » cap pour une France en souffrance, et notamment gangrénée par les violences.
Il faut chasser la violence – quelle qu’en soit la forme – et réapprendre à mettre des mots sur les conflits (cela évitera d’y mettre les poings !). Ne nous laissons pas absorber par la « civilisation de l’image », retrouvons le chemin de cette civilisation, qui fut brillante, celle des « mots ». Redonnons de la brillance aux discussions.
Redonnons enfin à la ville et aux espaces publics en général le visage du lieu de la rencontre et non de la seule circulation (des hommes et des machines).
Renan avait finalement raison, c’est bien d’une Réforme intellectuelle et morale dont ce pays a besoin.
Michel FIZE,
Sociologue et politologue,
Auteur de « De l’abîme à l’espoir » (Ed. Mimésis, 2021)